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C'est sur cette dernière circonstance, c'est-à-dire sur cette condition de raisonner d'après des définitions, que la véritable théorie de la démonstration mathématique doit être fondée. C'est ce que je vais développer ici tout au long, en indiquant en même temps quelques-unes des conséquences les plus importantes qui en découlent.

» Et d'abord, je dois déclarer, pour n'avoir pas l'air de réclamer à tort les honneurs de l'invention de cette doctrine, que l'idée mère qui la constitue a été plus d'une fois émise et même développée avec une certaine étendue par divers auteurs tant anciens que modernes ; mais j'ajoute que chez tous elle est tellement confondue avec d'autres considérations tout à fait étrangères au point en discussion, que l'attention de l'auteur, aussi bien que celle du lecteur, est détournée du principe d'où dépend la solution du problème.

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» On l'a vu déjà dans le premier chapitre de cette partie; tandis que, pour les autres sciences, les propositions à établir expriment toujours des faits réels ou supposés, celles que les mathématiques démontrent énoncent seulement une connexion entre certaines propositions et certaines conséquences. Ainsi donc, en mathématiques nos raisonnements portent sur un objet entièrement différent de celui que nous avons en vue dans les autres emplois de nos facultés intellectuelles ; ils ont pour but, non de constater des vérités concernant des existences réelles, mais de déterminer la filiation logique des conséquences qui découlent d'une hypothèse donnée. Si, partant de cette hypothèse, nous raisonnons avec exactitude, il est manifeste que rien ne saurait manquer à l'évidence du résultat ; car ce résultat se borne à affirmer une liaison nécessaire entre la supposition et la conclusion. Dans les autres sciences, au contraire, en admettant même que l'ambiguité du langage fût écartée, et que chaque pas de la déduction fût rigoureusement exact, nos conclusions seraient toujours plus ou moins incertaines, puisqu'elles reposent en définitive sur des principes qui peuvent correspondre ou ne pas correspondre avec les faits (p. 2, c. 2, sect. 3). »

C'est la doctrine de Vico sur les divers degrés d'évidence et de certitude; mais le philosophe italien formule en un système général, à l'aide duquel il résout le problème de l'intelligence, ce que Dugald Stewart se contente de signaler comme un fait propre à donner la raison de l'évidence mathématique. Le père Buffier (Traité des Vérités premières, p. 1, chap. II) expose le même système avec beaucoup de clarté.

J'ai dit pareillement, qu'attendu l'infatigable ardeur pour l'étude qui distingue les Allemands, il ne faudrait point s'étonner qu'ils eussent lu les scolastiques. Leibnitz recommande en plusieurs endroits cette lecture. Est-il croyable que les Allemands modernes aient dédaigné les conseils d'un homme si compétent? Parmi de nombreux passages de Leibnitz sur les scolastiques, je choisis le suivant qui me paraît extrêmement curieux :

« La vérité est plus répandue qu'on ne pense; mais elle est trèssouvent fardée, et très-souvent aussi enveloppée et même affaiblie, mutilée, corrompue par des additions qui la gâtent ou la rendent moins utile. En faisant remarquer ces traces de la vérité dans les anciens, ou, pour parler plus généralement, dans les antérieurs, on tirerait l'or de la boue, le diamant de la mine et la lumière des ténèbres, et ce serait, en effet, perennis quædam philosophia. On peut même dire qu'on y remarquerait quelques progrès dans les connaissances. Les Orientaux ont de belles et de grandes idées de la Divinité. Les Grecs y ont ajouté le raisonnement et une forme de science. Les Pères de l'Eglise ont rejeté ce qu'il y avait de mauvais dans la philosophie des Grecs; mais les scolastiques ont tâché d'employer utilement pour le christianisme ce qu'il y avait de passable dans la philosophie des païens. J'ai dit souvent, aurum latere in stercore illo scholastico barbarico; et je souhaiterais qu'on pût trouver quelque habile homme versé dans cette philosophie hibernoise et espagnole, qui eût de l'inclination et de la capacité pour en tirer le bon. Je suis sûr qu'il trouverait sa peine payée par plusieurs belles et importantes vérités. Il y a eu autrefois un Suisse qui avait mathématisé dans la scolastique. Ses ouvrages sont peu connus; mais ce que j'ai vu m'a paru profond et considérable. »

Ai-je tort, après Leibnitz, après l'un des plus grands esprits des temps modernes, de qui Fontenelle a pu dire, « qu'il menait de front toutes les sciences, »> ai-je tort, dis-je, de recommander la lecture des scolastiques? Abstraction faite de l'utilité intrinsèque, n'est-il pas convenable de se mettre en état de juger, en connaissance de cause, des écoles dont la place est marquée, n'importe leur valeur réelle, dans l'histoire de l'esprit humain?

SUR LE CHAPITRE XXXII, page 199.

L'auteur auquel je fais allusion est Fénelon qui, sous le nom de sens commun, comprend le criterium de l'évidence tout entier, comme on le peut voir dans le passage suivant :

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« Qu'est-ce que le sens commun? N'est-ce pas les premières >> notions que tous les hommes ont également des mêmes choses? Ce » sens commun qui est toujours et partout le même, qui prévient tout » examen, qui rend l'examen même de certaines questions ridicule, qui fait que malgré soi on rit au lieu d'examiner, qui réduit l'homme » à ne pouvoir douter, quelque effort qu'il fit pour se mettre dans » un vrai doute; ce sens commun qui est celui de tout homme; ce » sens qui n'attend que d'être consulté, qui se montre au premier » coup d'œil et qui découvre aussitôt l'évidence ou l'absurde de la » question, n'est-ce pas ce que j'appelle mes idées? Les voilà donc >> ces idées ou notions générales que je ne puis ni contredire, ni exa› miner; suivant lesquelles, au contraire, j'examine et je décide tout; » en sorte que je ris au lieu de répondre, toutes les fois qu'on me › propose ce qui est clairement opposé à ce que ces idées immuables >> me représentent. » (Traité de l'existence de Dieu, page 2, no 33.)

On ne saurait douter que, dans ce passage, Fénelon n'ait voulu parler de l'évidence; non-seulement il emploie le mot, mais il le rapporte aux idées immuables; par sens commun, il entend les idées générales par lesquelles nous jugeons de toute chose; en d'autres termes, les idées desquelles naît l'évidence.

NOTES DU LIVRE DEUXIÈME.

DES SENSATIONS.

SUR LE CHAPITRE II, page 228.

L'immatérialité de l'âme des animaux n'est pas une découverte de la philosophie moderne; les scolastiques avaient émis cette idée; ils sont même allés jusqu'à dire que nul principe vital n'est corps.

Dans leur système, le principe vital ou l'âme des plantes est quelque chose de supérieur à la matière. Saint Thomas (1 p. quest. 75, art. 1er) demande, en général, si l'âme est corporelle «utrum anima sit corpus, et il répond en ces termes :

• Respondeo dicendum, quod ad inquirendum de natura animæ, oportet præsupponere, quod anima dicitur esse primum principium vitæ, in iis quæ apud nos vivunt. Animata enim viventia dicimus, res vero inanimatas vita carentes, vita autem maxime manifestatur duplici opere, scilicet cognitionis et motus. Horum autem principium antiqui philosophi imaginationem transcendere non valentes, aliquod corpus ponebant, sola corpora res esse dicentes, et quod non est corpus, nihil esse, et secundum hoc, animam aliquod corpus esse dicebant. Hujus autem opinionis falsitas, licet multipliciter ostendi possit, tamen uno utemur, quo etiam communius et certius patet animam corpus non esse. Manifestum est enim, quod non quodcumque vitalis operationis principium est anima; sic enim oculus esset anima, cum sit quoddam principium visionis, et idem esset dicendum de aliis animæ instrumentis sed primum principium vitæ dicimus esse animam. Quamvis autem aliquod corpus possit esse quoddam principium vitæ, sicut cor est principium vitæ in animali; tamen non potest esse primum principium vitæ aliquod corpus. Manifestum est enim, quod esse principium vitæ, vel vivens, non convenit corpori ex hoc quod est corpus, alioquin omne corpus esset vivens, aut principium vitæ, convenit igitur alicui corpori quod sit vivens, vel etiam principium vitæ, per hoc quod est tale corpus. Quod autem est actu tale, habet hoc ab aliquo principio, quod dicitur actus ejus. Anima igitur quæ est primum principium vitæ, non est corpus, sed cor

poris actus, sicut calor qui est principium calefactionis, non est corpus, sed quidam corporis actus. >>

Toutefois restait à savoir si la matière n'entrait point comme partie composante dans l'âme, bien que celle-ci ne fût point matière ; c'est pourquoi le saint docteur se pose cette nouvelle question (1 p. q. 75, art. 5): L'âme est-elle un composé de matière et de forme? Remarquez qu'il s'agit ici de l'âme, en général, et comme principe de vie, qu'elle soit ou ne soit pas intellectuelle. Il répond négativement. Voici ses paroles :

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« Respondeo dicendum, quod anima non habet materiam, et hoc potest considerari dupliciter. Primo quidem, ex ratione animæ in communi, est enim de ratione animæ, quod sit forma alicujus corporis. Aut igitur est forma secundum se totam, aut secundum aliquam partem sui. Si secundum se totam, impossibile est quod pars ejus sit materia, si dicatur materia aliquid ejus in potentia tantum, quia forma in quantum forma est actus. Id autem quod est in potentia tantum non potest esse pars actus, cum potentia repugnet actui, utpote contra actum divisa. Si autem sit forma secundum aliquam partem sui, illam partem dicemus esse animam, et illam materiam cujus primo est actus, dicemus esse primum animatum. Secundo specialiter ex ratione humanæ animæ, in quantum est intellectiva. › Les passages que nous venons de citer sont suffisamment clairs. Cependant le saint docteur s'explique d'une façon plus expresse encore; il affirme que les âmes des animaux parfaits sont indivisibles, d'une manière absolue, et que la division ne leur peut convenir ni per se, ni per accidens. A cette question (1 p. q. 76, art. 8) : L'âme, en général, se trouve-t-elle tout entière dans chaque partie du corps ? il répond par l'affirmative en établissant une distinction entre la totalité d'essence et la totalité de quantité, quantitativa. Voici le passage:

«Sed forma quæ requirit diversitatem in partibus, sicut est anima, et præcipue animalium perfectorum, non æqualiter se habet ad totum et ad partes; unde non dividitur per accidens, scilicet per divisionem quan titatis. Sic ergo totalitas quantitativa non potest attribui animæ, nec per se nec per accidens. Sed totalitas secunda, quæ attenditur secundum rationis et essentiæ perfectionem, proprie et per se convenit formis. »

La doctrine de saint Thomas avait trouvé des contradicteurs ; ceuxci ne concevaient point que l'âme des bêtes pût être inétendue, cette

BIBL. HIST. 8° ANNÉE. 4° OUVR.

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