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reçoivent la même impulsion, tous votent de la mème manière. Lamennais a dit : chacun vote d'une même manière, parce que tous votent ainsi, ne remarquant point que, de la sorte, le vote ne pourrait ni commencer ni finir. Cette comparaison n'est pas un à-propos satirique, c'est un argument rigoureux auquel on ne peut répondre. Il suffirait seul à montrer le peu de fondement et les contradictions de ce système.

336. L'auteur en appelle au témoignage de la conscience pour prouver que ce criterium est unique; il me semble que ce témoignage enseigne le contraire. A-t-on jamais attendu le témoignage d'autrui pour s'assurer de l'existence des corps? Les animaux eux-mêmes objectivent les sensations, à leur manière, en vertu d'un instinct naturel. Si nous n'avions, pour croire au témoignage des hommes, d'autre criterium que le consentement commun, nous ne pourrions croire à autrui, par cette raison toute simple, qu'il nous est impossible de nous assurer de ce que les autres disent ou croient, si nous n'avons commencé par croire en quelqu'un. L'enfant, avant de croire à la parole de sa mère, en appelle-t-il au témoignage d'autrui? Non; il cède à l'instinct naturel qu'il a reçu de la bonté du Créateur. Il ne croit point parce que tous croient, tous croient parce que chacun croit. La foi individuelle ne relève pas de la foi générale; mais la croyance générale se forme de l'ensemble des croyances individuelles; cette foi n'est point naturelle parce qu'elle est générale; elle est universelle parce qu'elle est imposée par la nature.

337. Voici l'argument principal de Lamennais : Dans certaines circonstances nous en appelons, pour nous assurer de la vérité des autres criterium, au consentement commun. La folie n'est autre chose que l'opposition de la raison à ce consentement. On avertit un homme que sa vue le trompe, qu'il voit mal un objet; d'instinct, il interroge, il s'enquiert autour de lui si l'on voit de la même manière; que si les témoignages sont unanimes et sérieux, s'il ne peut parvenir, à l'aide des moyens que la nature lui fournit, à corriger son erreur, il remplace, par le témoignage d'autrui, le témoignage de sa vue auquel il n'a plus confiance.

Que conclure de là? Rien en faveur du consentement commun. Il est certain que le criterium des sens, comme les autres criterium, peut nous tromper en des circonstances exceptionnelles; il est certain que, dans ces circonstances, le doute se faisant jour, on en appelle au témoignage d'autrui. Mais pourquoi? pour s'assurer que l'on n'est point sous l'influence de l'une de ces perturbations naturelles, qui sont le triste apanage de la faiblesse humaine. Les lois de la nature sont universelles. Celui qui doute s'enquiert si, par accident, il est en dehors des lois universelles de la nature. Ne serait-il point insensé d'élever une exception au rang de criterium général et unique; d'affirmer que le témoignage des sens relève de l'autorité, par cela seul qu'en des cas extrêmes, et lorsque nous craignons une perturbation dans nos organes, nous demandons à autrui s'ils voient les choses comme nous les voyons?

338. L'auteur de l'Essai sur l'Indifférence affirme « que les sciences exactes ne jouissent d'aucun privilége, et s'appuient sur le consentement commun; que le qualificatif exactes est un de ces vains titres par lesquels l'homme cherche à déguiser sa faiblesse ; que la géométrie elle-même n'existe qu'en vertu d'une convention tacite, convention qui se pourrait exprimer en ces termes : Nous nous obligeons à tenir tels principes pour certains, et nous déclarons rebelle au sens commun, c'est-à-dire à l'autorité du nombre, quiconque demandera qu'on les lui démontre. »

Que répondre à de telles exagérations? Les arguments que l'auteur ajoute, dans ses notes, pour prouver l'incertitude intrinsèque des mathématiques, ont la même valeur.

On a beaucoup écrit contre la certitude des sciences exactes; je suis loin de méconnaître les difficultés qu'elles présentent lorsqu'on les soumet au creuset de la métaphysique. Dans le premier volume du Protestantisme comparé au Catholicisme, j'ai consacré un chapitre à ce que je nomme l'instinct de la foi, où j'espère avoir prouvé que les vérités scientifiques ellesmèmes relèvent, en partie, de cette faculté. Ne plaçons point les sciences naturelles au-dessus des sciences morales; estimons davantage ces dernières; mais sachons nous garder d'une exagération qui détruit toute science et toute vérité.

CHAPITRE XXXIV.

RÉSUMÉ ET CONCLUSION.

339. Je veux terminer ce livre par un résumé de mes opinions sur la certitude; on y pourra suivre l'enchaînement des doctrines exposées dans les chapitres précédents.

c'est

Lorsque la philosophie se trouve en présence d'un fait nécessaire, elle a pour devoir de le constater. La certitude est un fait de ce genre disputer sur l'existence de la certitude, mettre en question la lumière du soleil sous le feu de ses rayons. Le genre humain sait, de science certaine, beaucoup de choses; les philosophes, y compris le sceptique, partagent la certitude du genre humain; le scepticisme absolu est une impossibilité.

Cette question de l'existence de la certitude écartée, la philosophie rentre dans le domaine de la raison. Libre à nous de demander comment s'acquiert la certitude et sur quoi elle repose.

La certitude est, pour l'homme, comme une annexe de la vie; c'est un résultat spontané du développement des facultés de l'esprit. La certitude est naturelle, indépendante des opinions et, par conséquent, elle précède toute philosophie. C'est pourquoi, bien qu'elles importent à la connaissance des lois qui régissent notre esprit, les questions sur la certitude ont toujours été, seront toujours stériles en résultats pratiques. Il ne faut pas l'oublier; cette ligne de démarcation sauvegarde contre les erreurs de l'abstraction, non-seulement l'individu, mais la société tout entière. De la sorte, avant de commencer les recherches, la philosophie et le bon sens contractent alliance et se promettent de marcher d'accord.

L'examen des fondements de la certitude amène la question

du premier principe des connaissances humaines : ce premier principe existe-t-il? Quel est-il?

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Cette question se peut entendre de deux manières: Il s'agit d'une vérité première contenant toutes les autres vérités comme la semence contient la plante, ou il s'agit seulement d'un point d'appui. A la première interprétation se rapportent les questions sur la science transcendantale; à la seconde les disputes des écoles sur la prééminence de certaines vérités, sur les droits qu'elles peuvent avoir à la dignité de premier principe.

Si la vérité existe, il existe des moyens de la connaître. De là les questions sur la valeur des criterium.

Dans l'ordre des êtres, la vérité, origine de toutes les vérités, c'est Dieu. Dans l'ordre intellectuel absolu, la vérité, principe de toutes les autres, c'est encore Dieu. Dans l'ordre intellectuel humain il n'existe point de vérité première; il n'en existe ni de l'ordre réel ni de l'ordre idéal. La philosophie du moi ne peut fonder la science transcendantale. La doctrine de l'identité absolue est une absurdité; de plus, elle n'explique rien.

Suit le problème de la représentation. Il peut y avoir représentation d'identité, de causalité, ou d'idéalité. La troisième diffère de la seconde, mais s'appuie sur elle.

Indépendamment du problème de la représentation, nous avons examiné celui de l'intelligibilité immédiate; problème difficile, mais sans lequel on n'aurait point la connaissance complète du monde des intelligences.

On ne dispute sur la valeur des différents principes et sur leurs droits au titre de principes fondamentaux, que par une confusion d'idées. Pourquoi comparer des choses profondément distinctes? Le principe de Descartes est l'énonciation d'un simple fait de conscience; le principe de contradiction est une vérité objective, condition indispensable de toute connaissance. Celui qu'on nomme principe des cartésiens est l'expression d'une loi de notre entendement. Tous trois sont nécessaires, chacun dans son espèce, et en son lieu. Nul d'entre eux n'est entièrement indépendant. En détruire un, c'est bouleverser l'intelligence.

Nos divers criterium se peuvent réduire à trois : la conscience ou sens intime, l'évidence, l'instinct intellectuel ou sens commun. La conscience embrasse tous les faits présents à notre âme d'une manière immédiate, comme purement subjectifs. L'évidence s'étend à toutes les vérités objectives sur lesquelles notre raison s'exerce. L'instinct intellectuel est l'inclination naturelle à l'assentiment, dans un ordre de faits placés en dehors du sens intime et de l'évidence.

L'instinct intellectuel nous oblige à donner aux idées une valeur objective; dans ce cas, il se mêle aux vérités d'évidence; on le confond habituellement avec l'évidence.

Lorsque l'instinct intellectuel s'exerce sur des objets non évidents, et qu'il nous incline à croire, on le nomme sens

commun.

La conscience et l'instinct intellectuel forment les autres criterium.

Le criterium de l'évidence implique deux choses : l'apparence des idées, c'est un fait de conscience; et la valeur objective, réelle ou possible des idées, qui relève de l'instinct. intellectuel.

Le témoignage des sens embrasse pareillement deux parties : la sensation, comme purement subjective; elle appartient à la conscience; la croyance à l'objectivité de la sensation; cette eroyance relève de l'instinct intellectuel.

L'autorité du témoignage humain relève des sens qui nous mettent en rapport avec nos semblables, et de l'instinct intellectuel qui nous incline à y croire.

On ne peut prouver toutes choses; cependant, tout criterium doit supporter l'examen de la raison. Le criterium de la conscience est un fait primitif de notre nature; nous trouvons dans celui de l'évidence la condition indispensable de la raison même; l'instinct intellectuel, qui nous porte à objectiver les idées, nous révèle pareillement une imprescriptible loi de notre esprit. Le criterium de sens commun, proprement dit, est l'assentiment instinctif de la raison à des vérités que l'examen reconnait comme hautement raisonnables. Nous constatons,

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