Page images
PDF
EPUB

concrète, c'est-à-dire si l'idée même du sujet est comprise dans l'attribut. On dit très-bien: L'homme est raisonnable; on ne peut dire : L'homme est la raison; les corps sont étendus, non les corps sont l'étendue; le papier est blanc, non le papier est la blancheur. Pourquoi ? La raison n'appartient-elle pas à l'homme, la blancheur au papier, l'étendue au corps (1)?

Ces propriétés leur appartiennent, on ne le saurait nier; toutefois, si nous ne percevons l'identité entre le sujet et l'attribut, c'est assez pour que l'affirmation devienne impossible; nous pouvons même dire: L'homme n'est pas la raison; le papier n'est pas la blancheur; un corps n'est pas l'étendue.

On dit : Le papier est blanc, parce que cette dernière proposition signifie : Le papier est une chose blanche. Dans l'attribut concret blanc, nous faisons entrer l'idée générale chose, c'està-dire l'idée d'un sujet qui se peut modifier, et ce sujet est identique au substantif papier, modifié par la blancheur.

267. Ainsi l'on voit que cette expression : Union de l'attribut avec le sujet, est au moins inexacte. Toute proposition affirmative exprime l'identité de l'attribut avec le sujet; l'usage seul autorise ces façons de parler qui ne laissent point d'engendrer une certaine confusion, lorsqu'on veut se rendre un compte rigoureux des choses. Ici, comme en bien d'autres circonstances, nous trouvons le langage usuel d'une exactitude et d'une propriété merveilleuses. Il ne dit point: Le papier est la blancheur, mais le papier est blanc; seulement, lorsqu'il renchérit sur la perfection avec laquelle le sujet possède une qualité, il exprime cette qualité d'une manière abstraite en ajoutant le pronom même. Ainsi l'on dit hyperboliquement : Il est la beauté même, la blancheur même, la bonté même.

268. Jusque dans l'expression des valeurs mathématiques, il serait facile de prouver que le rapport d'égalité n'est au fond qu'un rapport d'identité. Ceci a besoin d'explication.

Si je dis 6+ 3 = 9, j'exprime la même chose que 6 + 5

(1) Oui, mais ni l'homme, ni le papier, ni les corps ne sont le principe de la raison, de la blancheur, de l'étendue.

est identique à 9. Il est évident, en effet, que l'affirmation d'égalité ne porte point sur la forme dans laquelle les quantités sont exprimées, mais sur les quantités elles-mêmes. S'il en était autrement, il deviendrait impossible, non-seulement d'affermir l'identité, mais encore l'égalité; car il est évident que 63 n'est identique ou égal à 9 dans aucune de ses formes écrite, parlée ou pensée. L'égalité s'applique aux valeurs; ces valeurs sont en même temps égales et identiques; 6+3 est la même chose que 9. Le tout ne se distingue point de la totalité de ses parties; 9 est le tout, 6+3 exprime les parties de ce tout.

Dans ces formules 9 et 6 + 3, je vois deux manières différentes de concevoir une même chose, ce qui n'exclut point l'identité. Cette différence est relative à la forme intellectuelle et se produit dans la perception des choses les plus simples; il n'est rien que nous ne concevions sous des aspects divers et dont nous ne puissions décomposer l'idée de différentes manières; nonobstant cela, on ne dit point qu'une chose diversement conçue cesse d'être simple et identique à ellemême.

Ce que nous constatons des équations arithmétiques se peut étendre à la géométrie et à l'algèbre. Que si l'on suppose une, équation dont le premier terme soit très-simple, Z par exemple, et le second très-compliqué, comme le développement d'une série, on n'entend point que la première expression soit semblable à la seconde; l'égalité se rapporte non à l'expression, mais à ce qu'elle exprime, c'est-à-dire à la valeur dont les lettres sont la manifestation.

Deux circonférences ayant le même rayon sont égales; il semblerait qu'il s'agit simplement ici d'égalité : nous voyons en effet deux objets distincts, les circonférences, que l'on peut ou tracer réellement ou se représenter par la pensée. Toutefois, même dans ce cas, la distinction est plus apparente que réelle; il en est de ces deux cercles comme des équations arithmétiques et algébriques; distinction, diversité même dans les formes, identité dans le fond. En effet, les circonférences

tracées ou représentées sont des formes de l'idée, mais non l'idée elle-même. Qu'on les représente ou qu'on les trace, elles auront une grandeur déterminée, elles occuperont une certaine position; dans l'idée et dans la proposition qui traduit l'idée, rien de tout cela; le sens est général, absolu; on fait abstraction de toute grandeur, de toute position. Il est vrai que les représentations de l'idée peuvent être en nombre infini, soit extérieurement, soit dans l'imagination; mais ce fait, loin de prouver l'identité entre la représentation et l'idée, révèle leur différence; car, l'idée est unique, les représentations sont infinies; l'idée est indépendante des représentations, celles-ci sont dépendantes de l'idée, n'ayant le caractère, ne recevant le nom de circonférences qu'en tant qu'elles se rapprochent de l'idée et représentent ce qu'elle contient.

Quel est donc le sens de cette proposition: Deux circonférences ayant un même rayon sont égales? Le fond, l'idée mère, c'est que la valeur de la circonférence dépend du rayon; la proposition énoncée n'est autre chose qu'une application de cette propriété au cas où les rayons sont égaux. Ainsi, les circonférences que nous concevons comme distinctes sont des exemples que nous posons en nous pour nous rendre sensible la vérité de l'application; mais, dans le fond intellectuel, nous ne trouvons rien que la décomposition de l'idée mème de la circonférence ou son rapport avec le rayon appliqué au cas d'égalité. Il n'existe donc point deux circonférences dans l'ordre purement idéal; il n'y en a qu'une dont nous connaissons les propriétés sous différents aspects, et que nous exprimons de diverses manières.

Si, dans tous nos jugements, il y a affirmation d'identité ou de non identité, si toutes nos connaissances naissent d'un jugement, ou vont aboutir à un jugement, il suit que toute science humaine se réduit à une simple perception d'identité. Donc, la formule générale de toutes nos connaissances pourra s'établir ainsi : A est A, ou une chose est elle-même. Ce résultat étonne au premier abord comme un paradoxe. Paradoxe absurde en effet, ou vérité simple, d'une extrême simplicité, selon la ma

nière de le comprendre. Les paragraphes antérieurs ont pu faire entrevoir ma pensée, je vais l'éclaircir; l'importance de la matière l'exige (1).

CHAPITRE XXVII.

SUITE.

269. Prétendre, d'une manière absolue, que les connaissances les plus hautes en mathématiques se réduisent à cette équation: A est A, c'est se jouer de la vérité, c'est blesser le sens commun. Mais, que ces connaissances soient des perceptions d'une mème identité qui, fécondée par l'entendement, présentée sous divers points de vue, revêt une infinité de formes et constitue la science, je crois pouvoir l'établir. Prenons une idée mathématique et suivons-la dans ses transformations.

=

270. Cette équation, cercle = cercle (1) est incontestable, mais elle ne mène à rien. En effet, tout dans les deux termes est identique, idées, conception, expressions. Pour qu'il y ait progrès, il ne suffira pas de changer l'expression; le point de vue sous lequel la chose identique est présentée devra changer pareillement. Abréger la formule et dire : C cercle (2), c'est remplacer un mot par une lettre, voilà tout. Simple abréviation, progrès purement matériel. La différence entre les deux termes est dans l'expression, non dans le point de vue. Mais établissons le rapport entre la valeur du cercle et celle de la circonférence : C = circonférence × 1/2 R (3), c'est-à-dire, la valeur du cercle est égale à la circonférence multipliée par la moitié du rayon. Il y a ici identité, comme dans les équations (1) et (2); car la valeur désignée par C est égale à la valeur de circonférence x 1/2 R. Toutefois, celle-ci diffère

(1) Voyez la note XXVII à la fin du volume.

essentiellement des deux précédentes. L'identité, dans les premières, est conçue sous un même point de vue; dans la troisième, si le second membre de l'équation exprime, comme le premier, un cercle et le mème cercle, il l'exprime dans ses rapports avec la circonférence et le rayon; en même temps qu'il contient une sorte d'analyse de l'idée du cercle, il rappelle une analyse antérieure. Donc, la différence entre les deux termes de l'équation n'est point seulement dans l'expression matérielle, mais dans les points de vue sous lesquels une même chose est présentée.

En désignant par N la valeur du rapport de la circonférence avec le diamètre, et par C le cercle, nous obtenons cette équation : C = N R2 (4). Ici encore, identité dans les valeurs, mais progrès notable dans l'expression du second membre de l'équation, lequel nous montre la valeur du cercle débarrassée de ses rapports avec celle de la circonférence, et ne dépendant que d'une valeur numérique N et d'une droite, le rayon. Donc, en conservant l'identité, par une suite de perceptions d'identité, nous nous sommes avancés dans la science. Partis de cette proposition cercle = cercle, nous avons atteint une proposition à l'aide de laquelle il nous est facile de calculer la valeur d'un cercle quelconque pourvu que le rayon nous soit connu.

Considérons le cercle comme une courbe en rapport avee deux axes, courbe dont les points sont déterminés relativement à ces deux axes; nous aurons Z=2Bx x2 (5). Z exprimant la valeur de l'ordonnée, B celle d'une partie de l'axe des abscisses, x l'abscisse qui correspond à Z. Nouveau progrès d'idées, plus notable encore; les deux membres de l'équation n'expriment plus la valeur du cercle, mais celle de certaines lignes à l'aide desquelles tous les points de la courbe sont déterminés. On comprend dès-lors que la courbe dans laquelle se trouvait circonscrite la figure dont la géométrie élémentaire déterminait les propriétés, puisse être conçue sous une autre forme, qu'elle puisse appartenir à un autre genre de courbes, et même constituer une espèce particulière en vertu du rapport des quantités 2xyB; de sorte qu'en modifiant la formule, par

« PreviousContinue »