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SECONDE PROPOSITION.

256. S'il existe dans le moi des phénomènes d'un autre ordre, c'est-à-dire si l'âme subit des modifications non représentatives, le témoignage de la conscience ne s'étend point à ces phéno

mènes.

Ce n'est pas sans motifs que j'établis cette proposition; il est possible, on pourrait dire il est certain, qu'il existe dans notre âme des facultés actives dont elle n'a point conscience; comment expliquer autrement les mystères de la vie organique? L'âme unie au corps est le principe de sa vie; leur séparation détermine la mort, c'est-à-dire une décomposition complète des organes; or l'âme n'a conscience de son action vivifiante ni quant au mode, ni quant à l'existence.

Il y a là, dira-t-on peut-être, un ordre de perceptions confuses, comme celles dont parle Leibnitz dans sa Monadologie; ou bien encore : ces perceptions sont tellement insaisissables, qu'elles ne laissent point de traces dans la mémoire et ne peuvent ètre objet de réflexion. Conjectures sans fondement. Il m'est difficile de croire que le foetus, dans le sein de sa mère, ait conscience de l'activité vitale qui préside à sa formation. Les adultes eux-mêmes ont-ils conscience de l'activité qui produit la circulation du sang, la nutrition et tous les phénomènes de la vic?

Si ces phénomènes sont produits par l'àme, ce qui est certain, elle est donc le siége d'une activité dont elle n'a point conscience.

TROISIÈME PROPOSITION.

257. Le témoignage de la conscience, considéré en lui-même, est limité d'une manière si absolue aux phénomènes purement subjectifs, que seul il n'a de valeur objective d'aucune sorte, soit relativement à l'évidence, soit relativement au témoignage des sens.

QUATRIÈME PRoposition.

Le témoignage de la conscience, considéré comme un fait, est le fondement indispensable de tous les autres criterium.

CINQUIÈME PROPOSITION.

238. Tous les criterium relèvent de la conscience combinée avec l'instinct intellectuel (1).

CHAPITRE XXIV.

CRITERIUM DE L'ÉVIDENCE.

239. L'évidence est de deux sortes: immédiate et médiate. Immédiate, lorsqu'elle est produite par la seule compréhension des termes; médiate, lorsqu'elle relève du raisonnement. «< Le tout est plus grand que sa partie ; » vérité d'une évidence immédiate. « Le carré de l'hypothénuse est égal à la somme des carrés construits sur les deux autres côtés; >> proposition d'une évidence médiate, c'est-à-dire qui demande une démonstration.

240. Parmi les caractères distinctifs de l'évidence, soit médiate, soit immédiate, nous avons déjà nommé la nécessité et l'universalité de son objet.

Mais il est un caractère plus fondamental encore, bien qu'il soit difficile de constater s'il s'applique ou non à l'évidence médiate; à savoir que l'idée de l'attribut se trouve contenue dans l'idée du sujet. Ce caractère est essentiel; il donne la notion la plus parfaite du criterium de l'évidence immédiate,

(1) Voir la note XXIII à la fin du volume.

et le distingue ainsi des criterium de la conscience et du sens

commun.

:

J'ai dit il est difficile de savoir si ce caractère s'applique à l'évidence médiate, laissant entendre que, même dans les propositions, évidentes de cette manière, l'idée de l'attribut peut être contenue dans celle du sujet. Je suis loin, toutefois, de confondre les théorèmes avec les axiomes. J'ai voulu seulement appeler l'attention du lecteur sur une doctrine que je me propose de développer en traitant de l'évidence médiate. Mais il ne s'agit, dans ce chapitre, que de l'évidence immédiate ou de l'évidence en général.

241. L'évidence exige un rapport puisqu'elle implique une comparaison. Sans comparaison, il ne peut y avoir évidence, mais simple perception, c'est-à-dire un fait de conscience; de sorte que l'évidence n'est pas seulement une perception; elle suppose ou produit un jugement.

Il y a deux choses dans l'évidence: intuition pure de l'idée, et décomposition de cette idée en ses parties; sorte d'analyse accompagnée de la perception des rapports que ces parties ou idées nouvelles ont entre elles.

Donnons un exemple. Un triangle a trois côtés. Proposition évidente, car, dans l'idée triangle, je vois l'idée trois côtés. En pensant au triangle, je pensais, en quelque sorte, aux trois côtés. Si je m'en étais tenu à la contemplation de l'idée simple de triangle, j'aurais eu l'intuition de cette idée, mais non l'évidence. L'évidence se produit lorsque, décomposant l'idée triangle et considérant, dans cette idée, celle de figure, en général, les idées particulières de côté, de nombre trois, l'esprit les trouve contenues dans l'idée primitive. La perception claire de l'ensemble, voilà l'évidence.

La langue usuelle (nous ferons souvent cette remarque) devient ici, par la force même des choses, merveilleusement philosophique. L'évidence ne s'affirme point d'une idée, mais d'un jugement; on dit d'une proposition qu'elle est évidente; on ne le dit point d'un terme. Pourquoi ? parce que le terme exprime l'idée, simplement, sans aucun rapport, sans la

décomposer. La proposition, au contraire, formule un jugement, c'est-à-dire affirme qu'une idée est contenue dans une autre ou le nie; ce qui suppose une analyse de l'idée totale.

242. L'évidence immédiate est la perception de l'identité entre diverses idées que la force analytique de l'entendement avait séparées. Loin d'ètre, à nos yeux, une contradiction, cette identité combinée avec la diversité doit nous paraitre naturelle, en présence de l'un des faits les plus constants de notre intelligence, à savoir : la faculté de décomposer les idées les plus simples, et de saisir des rapports entre les choses identiques.

Que sont les axiomes? que sont les propositions per se notæ ? Des expressions dans lesquelles on affirme l'existence d'un attribut appartenant à l'essence du sujet ou contenu dans l'idée du sujet. L'idée de celui-ci implique celui-là; le terme qui exprime le premier exprime aussi le second; toutefois, l'entendement en vertu d'une force mystérieuse de décomposition distingue entre ces choses identiques, les compare et, sur le champ, les identifie de nouveau. Le mot triangle désigne une figure comprenant trois angles et trois côtés; mais dans cette idée l'intelligence peut prendre séparément celles de côté, de nombre et les comparer à l'idée primitive. Distinguer ainsi, ce n'est point préparer des erreurs à l'intelligence, c'est étudier une même chose sous des aspects différents, pour en venir à l'intuition claire, à l'affirmation de l'identité des parties qui composent l'ensemble.

243. L'évidence est une sorte de compte rendu, par lequel l'entendement trouve dans l'idée décomposée tout ce que le principe contient. De là, l'universalité, la nécessité de l'objet de l'évidence, en tant et selon que cet objet se trouve exprimé par l'idée. Pas d'exception possible; l'attribut était ou n'était point contenu dans l'idée primitive. S'il y était, il s'y trouve encore, ou le principe de contradiction est violé.

Voilà comment, des deux caractères de l'évidence signalés plus bas, le plus fondamental est celui-ci que l'idée de Tauribut soit contenue dans l'idée du sujet. La nécessité et

l'universalité tiennent à ce caractère; en effet, moyennant cette condition que l'idée de l'attribut soit contenue dans celle du sujet, l'attribut doit convenir nécessairement à tous les sujets.

244. Jusqu'ici, nous n'avons point trouvé de difficultés ; il s'agissait de l'évidence considérée subjectivement, c'est-à-dire en tant qu'elle a rapport aux idées; mais l'entendement ne s'arrête point à l'idée ; il passe à l'objet, et non-seulement il affirme qu'il voit une chose, mais que cette chose est telle qu'il la voit. Dans l'ordre purement subjectif, le principe de contradiction se borne à constater que l'être répugne au non ètre et réciproquement; que leur coexistence établit dans notre entendement une sorte de lutte de pensées qui s'entre-détruisent ; lutte que l'entendement doit subir sans espoir d'établir jamais l'harmonie. On ne peut, jusque-là, rien objecter; nous l'éprouvons ainsi. Mais, en énonçant le principe, on prétend affirmer autre chose que l'incompatibilité des idées; cette incompatibilité, nous la transportons aux choses mêmes, soumettant à cette loi, non-seulement nos pensées, mais tous les ètres, réels ou possibles. En effet, d'un objet quel qu'il soit, et quelles que soient les conditions de son existence, nous affirmons sans hésitation, que pendant qu'il existe, il ne peut point ne pas exister, qu'en même temps qu'il n'est point, il ne peut être.

Nous étendons le principe de contradiction de nos idées aux choses. L'entendement applique à tout la loi dont il reconnait la nécessité pour lui-même. De quel droit? dira-t-on peut-ètre ; du droit de la nécessité; droit suprême! Qu'est-il besoin de raisons; nous touchons aux fondements de la raison. Colonnes d'Hercule de l'intelligence humaine, la philosophie ne va pas plus loin.

Mais quoi! laisserons-nous le champ libre au scepticisme, nous retranchant dans la nécessité? Non. La question se peut résoudre de plusieurs manières. Que si les solutions données ne nous mènent point au delà des limites de l'intelligence, elles ont du moins l'avantage de ruiner de fond en comble la cause du scepticisme.

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