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soumet le monde extérieur à l'idée ; l'homme fait les choses à son image. L'intelligence de l'homme est comme le soleil autour duquel le monde objectif doit graviter; scepticisme irremédiable et sans terme. Kant est un Copernic en philosophie; mais le Copernic de l'erreur.

Je voudrais dire un mot de la manière dont notre auteur expose le célèbre principe de Descartes : « Je pense, donc je suis. » Selon lui (et il le prouve par des textes formels), ce principe n'est point, dans la pensée du philosophe français, une abstraction de l'esprit, un pur raisonnement, mais un fait qu'il constate. Vous pouvez douter de l'existence de Dieu, de la réalité du monde extérieur, et quoi que vous fassiez, vous ne pouvez douter de vous-même; et, ce fait de votre existence établi, vous êtes forcé de revenir à Dieu, etc. Qui ne connaît les batailles livrées autour de ce principe qu'il fallait enlever à tout prix !

Voici les titres des livres qui forment les trois derniers volumes de la Philosophie fondamentale; ils nous donnent la marche et le plan de l'auteur les Sensations, l'Idée, l'Etendue et l'Espace, l'Étre, l'Unité et le Nombre, le Temps, l'Infini, la Substance, la Nécessité, la Causalité, questions qui l'amènent à traiter du Panthéisme, cette grande erreur de notre temps.

Lorsque Balmès ouvrait un livre pour l'étudier, il commençait par la table des matières; et, s'arrêtant à l'intitulé du Ier chapitre, il appuyait sa tête dans ses mains, dit un habile historiographe (M. de Blanche Raffin, auteur de l'ouvrage ayant pour titre Jacques Balmès, sa vie et ses écrits), et composait le chapitre avant de lire l'auteur. On comprend quels trésors il dut amasser par cette méthode, toute lecture devenant ainsi pour lui une composition originale et une œuvre critique. Devons-nous reprocher à Balmès de négliger quelquefois la forme et d'avoir trop écrit? - Il s'agissait de venir en aide à la société ébranlée; le mal était partout, Balmès ne pouvait s'empêcher de le voir. Il s'est prodigué ; c'est la tentation des natures généreuses. Le temps manquait; la vie s'en allait; ajoutons qu'ils est mort à la fleur de l'âge et quand son talent pouvait grandir.

Un mot encore: Balmès avait eu le bonheur de recevoir une édu

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LETTRE A MONSEIGNEUR L'ÉVÊQUE D'ORLÉANS.

cation religieuse et austère. Ce grand esprit ne connut jamais ni l'indifférence ni le doute, cette lèpre de notre temps; le doute, négation honteuse, sorte de compromis entre les faiblesses de l'intelligence et celles de la volonté. Il a cherché la vérité non dans les ténèbres mais à la lumière; heureuse condition des esprits chrétiens; cachet particulier des grands siècles et des grands caractères. Balmès appartient, par l'ampleur et la sérénité de son esprit, à l'école philosophique dont l'auteur de la Connaissance de Dieu et de soi-même est l'un des plus illustres représentants. Il sait, il croit, et la science et la foi rayonnent doucement dans sa parole.

Heureux ceux qui croient! Heureux ceux dont la jeunesse a reçu les enseignements féconds de la foi; heureux ceux qui n'ont point épuisé dans les énervantes obsessions de l'orgueil cette sève de vérité! C'est au parti pris énergique de la volonté sur les passions, que sont dues les grandes vertus; c'est au parti pris vigoureux de la raison sur elle-même, sur son insuffisance ou son orgueil, que l'esprit humain doit ses grandes découvertes et ses progrès. Qu'il me soit permis de finir, Monseigneur, en souhaitant à mon pays l'ordre et l'apaisement dans la foi; à ceux qui liront ces lignes, ce don de Dieu dans leur intelligence.

Veillez agréer le respect profond et filial avec lequel j'ai l'honneur d'être,

Monseigneur,

De Votre Grandeur,

Le serviteur très-humble et tout dévoué,

Orléans, 29 janvier 1852.

MANEC (EDOUARD).

AVANT-PROPOS.

Philosophie fondamentale! Ce titre indique l'objet du traité ; qu'on ne me l'impute point comme une prétention vaniteuse. Je ne me flatte pas de fonder en philosophie; j'ai voulu seulement examiner les questions fondamentales de la philosophie; trop heureux si je contribue, mème pour une faible part, à élargir le cercle des saines études, à prévenir un péril grave, l'introduction, dans nos écoles, d'une science chargée d'erreurs, et les conséquences désastreuses de ces erreurs. Malgré le trouble des temps, il s'opère dans mon pays un développement intellectuel dont on connaîtra plus tard la portée. Il faut empêcher des sophismes que la mode a propagés de s'établir un jour comme principes. Seules, des études fortes et bien dirigées peuvent prévenir ce malheur. Réprimer ne serait pas assez, aujourd'hui; étouffons le mal sous l'abondance du bien. L'œuvre que j'essaye aidera-t-elle à ce résultat? je ne sais; j'aurai du moins le mérite de l'avoir tenté.

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PHILOSOPHIE FONDAMENTALE.

LIVRE PREMIER.

DE LA CERTITUDE.

CHAPITRE PREMIER.

IMPORTANCE DES QUESTIONS RELATIVES A LA CERTITUDE.

1. J'ai dù commencer ces études philosophiques par l'examen des questions relatives à la certitude; avant d'élever un édifice, il faut songer aux fondements.

Dès l'origine de la philosophie, c'est-à-dire depuis que les hommes réfléchissent sur eux-mêmes et sur les êtres qui les entourent, on s'est préoccupé de la base de nos connaissances; il y a donc là des difficultés sérieuses. La stérilité des travaux philosophiques n'a pas ralenti l'ardeur des recherches; d'où il est manifeste que dans le dernier terme de l'investigation on voit un objet de la plus haute importance.

Ajoutons qu'il n'est pas de sujet où l'esprit humain soit tombé en de plus nombreuses et de plus lamentables aberrations. On en conclura, peut-être, que les études philosophiques, aliment éternel de l'orgueil de l'homme, ne présentent

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