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CHAPITRE XVI.

CONFUSION D'IDÉES DANS LES DISCUSSIONS SUR LE PRINCIPE FONDAMENTAL.

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160. Il n'existe point de premier principe, ou plutôt il n'existe point de principe qui jouisse exclusivement du privilége d'ètre le premier; mais il en existe plusieurs auxquels on peut donner ce nom, soit parce que dans l'ordre des faits ordinaires ou dans l'ordre scientifique ils servent de fondement à nos connaissances, soit parce qu'ils ne s'appuient eux-mêmes sur aucun autre principe. On a coutume d'avertir, dans les écoles, qu'il ne s'agit point ici d'une vérité source de toutes les autres vérités, mais d'un axiome qui leur puisse servir, au moins indirectement, de point d'appui, de telle sorte que ce point d'appui venant à manquer, toute vérité s'écroule; d'où il suit que, cet axiome une fois admis, il devient possible, par un raisonnement ad absurdum, de ramener au vrai quiconque s'en éloigne, et de prouver qu'on ne saurait refuser d'admettre les autres principes, sans aller contre la vérité précédemment

reconnue.

On a beaucoup disputé pour savoir lequel, entre tel ou tel principe, méritait le premier rang ou la préférence; véritable confusion d'idées. Il eût fallu ne point confondre des témoignages aussi distincts que ceux de la conscience, de l'évidence et du sens commun.

Voici les trois principes sur lesquels les écoles se sont partagées celui de Descartes, « Je pense, donc j'existe; » le principe de contradiction : « Il est impossible qu'une chose soit et ne soit pas en même temps; » et celui que l'on nomme principe des cartésiens : « Ce qui est contenu dans l'idée claire et distincte d'une chose se peut affirmer de cette chose avec certitude. » Tous trois appuyés sur des raisons puissantes, tous trois con

cluants contre leurs adversaires, attendu le terrain sur lequel la question se trouvait posée.

Si vous n'avez la certitude de votre pensée, disent les partisans de Descartes, vous ne pouvez affirmer ni le principe de contradiction, ni même le criterium de l'évidence; pour savoir, il faut penser; quiconque affirme ou nie, pense; si l'on ne suppose la pensée, l'affirmation comme la négation sont impossibles; admettez la pensée, vous avez un point d'appui; ce point d'appui, nous le trouvons en nous-mêmes, attesté par le sens intime, et nous imposant la certitude de son existence avec une force irrésistible. Le fondement une fois établi, l'édifice s'élève comme par enchantement. L'homme n'a pas besoin de sortir de sa propre pensée; là est la flamme qui éclaire toute vérité; marchons à sa lumière; attachons à son foyer immobile le fil mystérieux qui doit nous guider dans le labyrinthe de la science. Ainsi, notre principe est le premier; il se scutient en vertu d'une force qui lui est propre; et cette force, il la communique à tous les autres principes dont il est Tinébranlable fondement.

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Ce langage est raisonnable, on ne peut le nier. Mais écoutons un défenseur du principe de contradiction; peut-être notre confiance sera-t-elle ébranlée.

« Si vous n'admettez qu'il est impossible qu'une chose soit et ne soit pas en même temps, il sera possible, qu'en un mème temps, vous pensiez et ne pensiez point. Donc, votre affirmation,« je pense, » ne renferme aucun sens, car on peut la faire suivre immédiatement de celle-ci : « Je ne pense pas, » et dans ce cas, la conséquence, j'existe, cesse d'ètre logique. En effet, même en admettant la légitimité du principe, « je pense, donc j'existe,» si cette prémisse, je ne pense pas, m'est connue comme possible, il n'y aura pas de conclusion. Nous pouvons raisonner de même à l'égard du principe cartésien. Si l'être et le non être sont possibles simultanément, une idée pourrait être à la fois claire et obscure, distincte et confuse; un attribut pourrait être et n'être point contenu dans son sujet ; il pourrait y avoir à la fois certitude et incertitude, affirmation et négation; or qui l'oserait dire? »>

Ce raisonnement vous semble-t-il manquer de logique? Mais, chose étrange! le troisième compétiteur trouve à son tour des objections non moins puissantes contre ses adversaires. << Comment savez-vous que le principe de contradiction contient la vérité? Parce que, dans l'idée de l'ètre, vous voyez l'impossibilité du non être et vice versâ; donc vous n'êtes certain de la vérité de ce principe qu'en appliquant le mien : « Ce qui est contenu dans l'idée claire et distincte d'une chose se peut affirmer de cette chose avec certitude. » Tout s'écroule en dehors du principe de contradiction, dites-vous; or ce principe s'appuie sur le mien; lequel des deux est le premier?

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162. Erreur et vérité tout à la fois; vérité, lorsqu'ils affirment que nier le principe qu'ils défendent, c'est ruiner tous les autres; erreur, lorsqu'ils prétendent ruiner les autres sans affaiblir celui qu'ils défendent; la discussion tient à la confusion des idées, à ce que l'on compare des principes d'un ordre très-différent, tous vrais, mais qui ne se doivent point mettre en parallèle. Peut-on comparer la couleur blanche à la chaleur? Toute comparaison demande une certaine opposition entre les extrêmes; cependant, les termes comparés doivent avoir aussi quelque chose de commun. S'ils sont disparates, la comparaison devient impossible.

Le principe de Descartes est l'énonciation d'un simple fait de conscience; le principe de contradiction est une vérité connue par l'évidence; celui des cartésiens est l'affirmation de la légitimité du criterium de l'évidence même; c'est une vérité de réflexion.

L'importance de la question me semble exiger que nous examinions séparément les trois principes; c'est ce que je

me propose dans les chapitres suivants (1).

(1) Voyez la note XVI à la fin du volume.

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CHAPITRE XVII.

L'EXISTENCE ET LA PENSÉE. PRINCIPE DE DESCARTES.

165. Suis-je certain de mon existence? Oui. Puis-je prouver mon existence? Non. Toute preuve suppose un raisonnement, tout raisonnement un principe solide sur lequel il s'appuie; or où prendre ce principe si l'on ne suppose l'existence de l'être qui raisonne? Comment celui qui raisonne sera-t-il certain de l'existence de son raisonnement s'il ne peut l'ètre de sa propre existence? Donc, en dehors de cette certitude, point de principe sur lequel on puisse prendre pied. Tout n'est qu'illusions; que dis-je? l'illusion suppose un être qui se trompe.

164. Croire que nous pouvons prouver toute vérité à l'aide de la raison est une erreur grave. Les principes sur lesquels la raison s'appuie préexistent à l'emploi de la raison; la raison elle-même et l'ètre qui raisonne préexistent à ces principes, comme à l'usage de la raison. Loin que toutes choses se puissent démontrer, on prouve facilement que les vérités les plus certaines échappent à toute démonstration. La démonstration est un raisonnement par lequel certaines propositions évidentes mettent en lumière une proposition évidemment liée à celles-ci. Supposer que les prémisses peuvent ou doivent être démontrées, c'est rejeter la difficulté sur le point de départ, lequel est ou n'est point évident par lui-même; et ainsi toujours. Ou il faut s'arrêter à une proposition qui ne se peut démontrer, ou procéder jusqu'à l'infini, c'est-à-dire renoncer à la démonstration.

165. Il est à remarquer que ce ne sont point, seulement, certaines prémisses qui se montrent ainsi rebelles à toute démonstration; cette impossibilité se retrouve dans la nature mème de tout raisonnnement, abstraction faite des propositions qui le composent.

Nous savons que les prémisses A et B sont certaines, et nous en inférons la proposition C. De quel droit? — Parce que cette proposition se lie avec les prémisses A et B. Comment le savonsnous ? — Si l'évidence est immédiate, par intuition : Eh bien ! que l'on essaie de démontrer comment la conclusion se lie aux prémisses.

Que si nous invoquons la logique, voici deux considérations qui nous amènent à conclure l'impossibilité de la démonstration. 1° Les principes sur lesquels l'art du raisonnement repose ne peuvent-ils être démontrés? Première impossibilité; sils peuvent l'être, nous sommes contraints d'invoquer des principes nouveaux qui puissent leur servir de base, et alors, ou de nous arrêter à un principe rebelle à la démonstration, ou de procéder jusqu'à l'infini. 2o Comment saurons-nous que les principes logiques que nous employons s'appliquent à la circonstance présente? Par un nouveau raisonnement? Mèmes objections que tout à l'heure. « Nous le voyons ainsi, dirons-nous peut-être ; cela est évident d'une évidence immédiate: » nouvelle impossibilité; on ne démontre pas l'évidence. Donc, demander la preuve de toute chose, c'est demander l'impossible.

166. L'être qui ne pense point n'a point conscience de luimême. La pierre existe, mais elle ne sait pas qu'elle existe. Ainsi de l'homme, alors que toutes ses facultés intellectuelles et sensitives sont dans l'inaction.

La conscience intime de nos actes intérieurs, quels qu'ils soient, voilà le point de départ de nos connaissances. Ajoutez au spectacle merveilleux de l'univers une infinité de mondes; si ces actes intérieurs ne nous étaient connus, l'univers serait pour nous comme s'il n'était pas. Nous serions comme le corps insensible perdu dans l'immensité de l'espace. Que tout disparaisse autour de lui, il n'en sera ni plus isolé ni plus solitaire; qu'il s'évanouisse lui-même dans les abîmes du néant, il ne s'en apercevra pas.

Au contraire; que toutes choses s'anéantissent à l'exception de cet être qui, au dedans de nous, pense, sent et veut; il reste un point sur lequel se peut appuyer l'édifice des connais

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