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le corso, où se promènent les nobles dans leurs voitures, et les jeunes étudians de l'université, que je pris d'abord pour des officiers à la demisolde. Rien de plus militaire que leur air et leur démarche, grâce à leur petit chapeau retroussé; car l'université de Pavie n'a pas repris le costume monacal, et les jeunesgens ressemblent aux élèves de l'école polytechnique de Paris. Voici comment M. de Stendhal a tracé le portrait de ces étudians de Pavie: «Ils ne sont point couleur de rose comme ceux de Gottingue, leur œil ne semble pas égaré dans la contemplation tendre du pays des chimères. Ils sont des chimères. Ils sont défians, silencieux, farouches; une énorme quantité de cheveux noirs, ou châtain foncé, couvre une figure sombre, dont la pâleur olivâtre annonce l'absence du bonheur facile et de l'aimable étourderie des jeunes Français. Une femme vient-elle à paraître dans la rue, toute la gravité sombre de ces jeunes patriotes se change en une autre expression. Une petite maîtresse de Paris, arrivant ici, aurait une peur mortelle; elle prendrait tous ces jeunes-gens pour des brigands. La haine pour les Tedeschi est furibonde parmi les étudians de Pavie. Le plus considéré est celui qui a pu, de nuit, dans une rue peu fréquentée, donner une volée de coups de canne à quelque jeune Allemand, ou le faire courir, comme ils disent. Ces jeunes gens savent tout Pétrarque par cœur : la moitié au moins fait des sonnets. » Voilà un portrait à faire envie à nos jeunes-france.

Au Corso, les piétons de tous rangs et de tous âges sont mêlés avec les carrosses, et sortent per pigliar fresco: « prendre le frais » ; c'est ainsi qu'on désigne l'action d'avaler de la pous

sière, et de se promener péniblement entre deux rangées de hautes murailles échauffées, qui forment une espèce de four. Pendant ces allées et venues, les officiers autrichiens s'étendent sur les bancs placés sous les tentes des cafés, fument leur cigarre au nez des passans, et parlent allemand.

La principale rue de Pavie est coupée à angles droits par d'autres rues encore plus anciennes, où tout est triste, désolé et silencieux ; quelquesunes sont terminées par des places qui s'ouvrent devant des palais massifs, dont les fenêtres sont dégarnies de châssis, les portes démontées, et les balcons tombant sur de beaux portiques ruinés. L'herbe couvre le sol de tous côtés. Dans une de ces rues latérales on montre l'emplacement du palais impérial, dans le temps où Pavie était une capitale royale. Ce palais était celui de Théodoric, souvent cité dans l'histoire de plusieurs invasions barbares. Ce monument existait encore dans toute sa grandeur gothique, au onzième siècle, époque à laquelle il fut détruit par une insurrection du peuple, soulevé contre la tyrannie de Henri п. Ce qui rend l'architecture de Pavie intéressante pour l'observateur ordinaire, ou l'amateur de souvenirs historiques, est ce qui la rend défectueuse aux yeux du pédant virtuose: elle est principalement dans ce style semi-barbare, nommé parmi les italiens Longobardesco.

C'est, en effet, un style barbare et souvent grotesque; mais il donne l'idée du point précis auquel la civilisation était arrivée dans ces jours de hardiesse et de perversité; il montre les progrès des arts à travers toutes les difficultés qui retardaient leur perfectionnement.

La cathédrale de Pavie est un vaste

et vilain édifice, commencé dans le quinzième siècle, sous le gouvernement épiscopal du cardinal Visconti, frère du duc régnant de Milan, Giovanni Galeazzo Visconti. Il n'est rien resté de cet exemple dans ma mémoire (dit lady Morgan, à laquelle, on le voit, nous sommes redevables de bien des emprunts), si ce n'est que nous l'avons visité le jour de la fête du Rosaire, et que, comme je me baissais pour lire une inscription près du maître-autel, une vicille dame qui était à genoux un peu plus loin, se relevant tout-à-coup, vint me prendre sous les bras, et m'entraîna vers une autre châsse, devant la quelle, meforçant à me prosterner, elle s'écria: ecco l'altare del Rosario, voulant faire entendre qu'il n'y avait qu'un seul autel dans l'église ce jour-là où l'on pût offrir au ciel des prières efficaces.

Pavie a long-temps été un lieu de désordres et de guerres sanglantes: les hautes tours carrées en briques, dont on voit encore çà et là des fragmens, attestent le passage de ces temps orageux. Mais aujourd'hui la ville est livrée à de plus douces occupations. Le Dieu des combats l'a cédée aux muses, et Pavie ne se distingue plus que par la célébrité de son université. Elle est pour le Milanais ce que Gottingue est pour le nord de l'Allemagne, et Pise pour le duché de Toscane.

L'université de Pavie est une des plus anciennes et des plus célèbres de l'Europe. C'est à sa brillante réputation que la cité, qu'elle a ennoblie, doit le titre d'Athènes insubrienne. Son antiquité et son importance sont

prouvées par le diplôme impérial de Charles IV, en 1361, que la ville demanda du temps de Galéas Visconti le second, alors vicaire-général d'Italie. Pendant plusieurs siècles du moyen âge, les savans de l'Europe avaient coutume de venir exprès à Pavie pour rompre des lances dans le champ de la controverse. Là, se rendaient des lutteurs métaphysiques, de toutes les parties de la France et de l'Italie; les Alciati et les Baldus altiraient dans leurs écoles des disciples de tous les coins du monde. A une certaine époque, dans le temps du savant Giazone Maino, Pavie contenait trois mille étudians; mais le nombre des écoliers et la réputation de l'université déclinèrent, comme tout le reste, sous l'influence espagnole et autrichienne; et vers la fin du dix-huitième siècle, elle était tellement tombée que, sans égard pour son ancienne renommée, ce grand établissement, si magnifique dans le quatorzième siècle, n'avait ni bibliothèque, ni musée, ni collections. Le comte Firmian, ministre plénipotentiaire en Lombardie, fut le premier qui, après ce laps de temps, donna quelque attention à une institution qui avait fait la gloire de l'Italie septentrionale, et, avec l'assistance de plusieurs illustres savans étrangers et nationaux, tels que wich, Spallanzani, Tissot,Frank, Volta, Scarpa et autres, il rendit à cette université une grande partie de son ancienne importance, et jeta pour elle les fondemens d'une nouvelle et brillante réputation.

Bosco

La route de Pavie à Plaisance est tellement facile et attrayante qu'elle pourrait être longue impunément. Partout la campagne est riante, agréable, semée d'habitations et de villages: partout les vignes, suspendues aux arbres, présentent de riches et gracieuses guirlandes. Les villageoises ont un costume pittoresque, un air vif, et sont généralement jolies l'air de contentement qui règne sur chaque visage, annonce l'heureux état du pays.

mages,

Avant d'arriver à Plaisance, détournons-nous un peu de notre route, pour aller visiter un de ces lieux que les aigles françaises ont immortalisés en Italie. Je veux parler de Lodi ville assez importante, bâtie par l'empereur Barberousse, et qui ne contient pas moins de 12,000 habitants. Cette cité, malgré son commerce de frodits parmesans, malgré ses palais et ses fabriques de faïence, mériterait à peine de trouver place dans cette histoire, si l'on n'y voyait un pont bâti sur l'Adda, que les Français emportèrent en 1797 sur les Autrichiens, malgré leur supériorité numérique et les trente pièces de canon dont ils foudroyaient nos cohortes. Depuis cette bataille mémorable, Lodi est devenu un beau nom à citer dans nos fastes militaires. On pardonnera sans doute à notre patriotisme de mentionner à côté de ce souvenir un simple village du Véronais, Arcole, devenu célèbre par la bataille livrée en 1796, et dans les environs duquel les Français remportèrent une victoire complète sur les Impériaux.

L.

sur

Reprenons maintenant notre route : après quelque trajet on passe le Pô un pont volant. Au-delà se trouve une plaine aride et inculte, au milieu de laquelle s'élève la ville de Plaisance, avec ses bâtimens d'un rouge-foncé. Sa couleur obscure rappelle l'aspect des cités élevées dans les déserts égyptiens, où le ciel, la terre et les habitations des hommes offrent les mêmes teintes bronzées; ce qui contribue à donner à la ville une apparence assez triste, c'est la disposition des maisons, dont les fenêtres les plus basses n'ont point de vitres, et sont armées de grilles de fer qui les font ressembler à des prisons; les volets des fenêtres des seconds étages sont ordinairement fermés, et le troisième est trop élevé pour attirer l'attention.

Ces désavantages sont compensés par la situation de Plaisance. Cette ville est entourée comme d'une ceinture par deux fleuves importans, le Pô et la Trebia; aussi les Romains considéraient-ils Plaisance comme une de leurs principales colonies dans la Gaule cisalpine. C'est là qu'ils vinrent cacher la honte de leurs défaites successives au Tésin et à la Trebia; et les murs de Plaisance, opposant une barrière infranchissable aux efforts d'Annibal, furent la cause de la retraite de ses armées. Plus tard, Plaisance tomba au pouvoir des Gaulois; mais l'an de Rome 557 le consul Valerius la reconquit sur les Barbares, et elle appartint long-temps à l'empire. Passons rapidement à l'époque où cette ville fut érigée, ainsi que Parme, en duché par le pape Paul III. C'est ici qu'il faut pla

cer l'époque de la puissance des Farnèse. Mais les vices et les crimes de cette famille n'ayant laissé aucun souvenir qui puisse exciter l'intérêt, nous nous bornerons à indiquer, qu'après avoir pris plus ou moins de part aux grandes questions politiques qui se discutaient en Italie, la ville de Plaisance tomba, ainsi que presque tous les autres petits royaumes de l'antique Ausonie, sous le joug de l'Autriche. Parmi les monumens de Plaisance, sur lesquels nous appellerons l'attention du lecteur, aticun n'en est plus digné que l'hôtel-de-ville situé sur la piazza ou place publique. Ce monument est d'une haute antiquité. Quoique bâti en briques, ainsi que tous les autres édifices de Plaisance, son dessin gothique et les détails de ses ornemens d'arǝhitecture sont d'une beauté remarquable. Au centre de ce monument on voit une petite cour carréé, 'entourée d'un des plus beaux portiques que possède l'Italie. Peut-être devrionsnous ne pas ajouter, de peur de nuire à l'intérêt architectural de l'hôtel-deville, que cet édifice contient les cachots de la police.

Le palais du gouverneur date du même temps que l'hôtel-de-ville en face duquel il est érigé. Une inscription taillée dans la pierre, sur la façade, annonce qu'il a été restauré par l'empereur Napoléon., « Cette inscription, s'écrie-t-on avec lady Morgan, doit quelquefois rappeler à MarieLouise celui qui, après l'avoir élevée au faîte des grandeurs, avait ajouté à toute la splendeur de la puissance et de la gloire ce qu'une femme apprécie Beaucoup plus que l'une ou l'autre,

l'estime et l'amour. »

Il est impossible de quitter Plai

sance sans avoir été faire une visite à la cathédrale de la ville. Sa vieille hor

loge mérite d'être observée; elle marque les limites où s'arrêtent les degrés de civilisation et de perfectionnement moderne, qui n'ont pas encore pénétré dans le midi de l'Italie. Sur cet antique cadran, les heures sont marquées depuis une jusqu'à vingt-quatre, et l'on sait que cette manière de compter se retrouve invariablement jusqu'à Naples.

Le chemin de Plaisance à Parme est indiqué, dans tous les itinéraires des voyageurs classiques, comme l'ancienne voie flaminienne. Une belle route s'étend jusqu'à la ville vers laquelle nous nous dirigeons. A gauche, une abondante rivière arrose de riches plaines; à droite l'horizon est borné par la chaîne des Apennins, dont la base est peuplée d'un nombre infini de fermes et de villages. Je ferai grâce au lecteur des noms de ces derniers pour le conduire directement à Parme.

Une route spacieuse et plantée de beaux arbres se prolonge en ligne droite jusqu'à cette ville, dont on découvre de loin les hauts clochers. L'entrée de Parme est grandiose, et inspire le désir de s'y arrêter. Quel séjour en effet pour un ami des arts! En pénétrant dans cette ville, il songe au plus gracieux des peintres, au Corrège, dont il pourra bientôt admirer les chefs-d'œu

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est aisé de s'apercevoir qu'elle est grande, bâtie dans une plaine agréable, qu'elle est traversée par une rivière qui porte le même nom que la ville, et défendue par une citadelle construite d'après le plan de celle d'Anvers. Après ce premier jugement, on en porte un second sur le triste aspect que présente l'ensemble de cette petite capitale. Mais si de l'ensemble on passe aux détails, alors on a bientôt oublié cette première impression, tant l'esprit trouve ensuite de matériaux propres à occuper son activité. D'abord, que le lecteur nous suive, s'il le juge à propos, au palais ducal. C'est un assemblage de plusieurs bâtimens sans symétrie, dont quelques-uns sont destinés aux lettres et aux arts. L'intérieur du palais proprement dit a été restauré suivant le goût moderne. Les curieux peuvent y voir la toilette et le berceau offerts par la ville de Paris à sa majesté Marie-Louise. Mais cette ruine frivole d'un empire qui a laissé tant de glorieux et d'impérissables souvenirs, n'excite ni intérêt ni pitié, quand on voit les aigles à deux têtes qui dominent cette relique.

La bibliothèque qui fait également partie du palais ducal offre un volume curieux, un coran, dont le P. Pacciaudi raconte ainsi l'histoire : Après la levée du siège de Vienne, l'empereur Léopold étant entré dans la tente du visir Kara-Mustapha, ce coran lui fut of fert; il le fit remettre en présent, ainsi que d'autres objets trouvés dans le camp,

à sa femme Eléonore. L'impératrice le donna depuis à son confesseur, le jésuite Charles Costa de Plaisance, qui l'envoya comme un monument de famille à son frère et à ses neveux, habitans de cette ville. Cene fut qu'en 1767, lors de la formation de la bibliothèque ducale, que le comte

Jacques Costa, arrière-neveu de Charles, en fit hommage au duc Ferdinand, pour être destiné à la nouvelle bibliothèque.

La nouvelle galerie ducale, sanscompter beaucoup de tableaux, est bien choisie et arrangée avec goût. On y admire le S. Jérôme du Corrège, dont l'histoire montre quelle était en 1524 l'existence misérable des artistes : Briséis Cossa, veuve d'un gentilhomme parmesan qui l'avait commandé, n'alloua au Corrège que 47 sequins (environ 552 fr.), et la nourriture pendant les six mois qu'il avait travaillé; elle eut toutefois la magnificence d'ajouter à ces honoraires deux voitures de bois, quelques mesures de froment, et un porc gras. Il fut offert depuis, par le roi de Portugal, 40,000 sequins (plus de 400,000 fr.), de ce même chefd'œuvre, à l'abbé du couvent de SaintAntoine de Parme, qui allait le céder, si l'infant don Philippe, sur les instances de la ville, ne l'eût fait enlever et mettre à la cathédrale,

C'était assurément une bonne, quoique tardive justice, rendue à l'un des plus grands peintres de l'Italie. Le Corrège, plus connu sous le nom de sa patrie que sous le sien, qui était Antoine Allégri, naquit à Correggio, près de Modène, en 1494. Sans avoir été inspiré par les chefs-d'œuvre de Rome et de Florence, il dut à son talent naturel l'avantage d'être regardé comme le peintre des grâces, le prince des coloristes, et le créateur de sa manière. On n'avait point avant lui excellé dans la peinture des plafonds et des coupoles, des raccourcis et des figures en l'air : il fournit le modèle d'un genre que son génie lui avait fait imaginer, et dans lequel on ne l'a jamais égalé.

Près de l'église de Saint-Louis est la

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