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ciale. Cette insurrection de salon cette liberté réfugiée dans l'opinion du beau monde, que les divers partis ont toujours opposées, en France, au pouvoir qui déplaisait, n'existent point en Italie. L'opposition exilée, mpuissante, voyage ou se tait; et le petit ramage des loges, perpétuellement interrompu par l'arrivée des derniers venus ou le départ forcé des premiers, attendu l'exiguité de l'espace, n'est guère propre à développer le talent de la grande conversation ou des discussions politiques. En revanche, le crocchio ristretto, la causerie privée, gagne beaucoup à cet arrangement. Veut-on avoir une idée exacte de l'intérieur d'une loge milanaise à la Scala, il n'est pas nécessaire de faire un voyage en Italie; il suffit de lire les lignes suivantes puisées dans la macédoine de bons mots, que le baron de Stendhal a intitulée: Rome, Naples et Florence. «Au commencement de l'hiver, une femme fait faire quatre ou cinq robes de trente francs. Les robes de son trousseau qui datent de l'époque de son mariage sont précieusement conservées pendant huit ou dix ans; elles servent les jours de première représentation à la Scala et pour es feste di ballo. L'on est connu personnellement, à quoi bon la toilette? Une femme reçoit une seule personne à midi, ses amis intimes de deux à quatre. Le soir elle reçoit ses connaissances dans sa loge, de huit heures et demie à minuit. Lorsque la lege, qui a dix ou douze places, est remplie et qu'il survient quelqu'un, le plus ancien arrivé s'en va. A son départ, tout le monde fait un petit mouvement vers le parapet de la loge, et le nouvel arrivé a sa place près de la porte C'est ainsi que chacun se trouve à son tour à côté de la maitresse de la loge.

Le vestibule de la Scala (l'atrio) est le quartier-général des fals; c'est là que se fabrique l'opinion publique sur les femmes. On attribue pour ami à chacune d'elles l'homme qui lui donne le bras pour monter dans sa loge. C'est surtout dans les jours de première représentation que cette démarche est décisive. Une femme est déshonorée quand on la soupçonne d'avoir un ami qu'elle ne peut engager à lui donner le bras à huit heures et demie lorsqu'elle monte dans sa loge...... La Scala peut contenir trois mille cinq cents spectateurs. Le parterre de ce théâtre est ordinairement à moitié vide, c'est ce qui le rend si commode. Dans les loges, vers le milieu de la soirée, le cavalier servant de la dame fait ordinairement apporter des glaces; il y a toujours quelque pari en train, et l'on met pour enjeu des sorbets; il y en a de trois sortes, gelati, crepè et pezzi-duri; c'est une excellente connaissance à faire. Je n'ai point encore décidé la meilleure espèce, et tous les soirs je me mets en expérience.»

Tous ces détails, racontés avec cette manière piquante dont l'anonime qui se cache sous le nom de Stendhal possède le secret, sont vrais généralement. Peut-être certains voyageurs ne trouveront-ils pas trèsexact ce qui est relatif au départ d'un visiteur dans l'intérieur des loges, lorsqu'un arrivant se présente. Cet usage, qui n'est pas une loi, est cependant observé par une sorte de convention tacite. Outre la Scala Milan possède trois autres grands théâtres, qui avec le Corso suffisent aux plaisirs des habitans. On a vu que dans la plupart des villes d'Italie, c'était la rue principale qui servait de corso. Ici il a lieu sur le bastion entre la

porta Rensa et la porta Nuova. Voici, à

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propos de cette promenade, quelques détails piquans que nous empruntons encore à l'ouvrage de M. Stendhal.

En été après dîner, à la chute du jour, à l'ave Maria, comme on dit ici, toutes les voitures du pays se rendent au bastion di porta Rensa, élevé de trente pieds au .dessus de la plaine. La campagne vue de là ressemble à une forêt impénétrable; mais plus loin on aperçoit les Alpes avec leurs sommets couverts de neige. C'est un des plus jolis lointains dont l'oeil puisse jouir. Du côté de la ville, ce sont de jolies prairies, et par-dessus les arbres de la villa Belgiojoso, la flèche du dôme. Cet ensemble est joli, mais ce n'est point pour en jouir que toutes les voitures font halte pendant une demi-heure sur le Corso. On y passe en revue la bonne compagnie. J'ai surpris souvent de l'attachement dans les réflexions du peuple sur les promeneurs. Le charpentier, le serrurier de la maison, font un petit salut d'amitié au domestique qui, depuis vingt ans, monte derrière la voiture d'un vieux noble, et si le maître aperçoit le marangon di casa (le menuisier de la maison), il lui fait un signe de tête plein de bonté. Les femmes âgées ont une sorte de conversation singulière avec leur valet-de-chambre, dont le poste, dès que la voiture s'arrête, est à la portière, pour l'ouvrir si madame veut faire un tour à pied, ce qui n'arrive pas une fois tous les dix ans. Pla cé ainsi à deux pas de la portière, le valet de chambre répond sans s'avancer, aux réflexions que sa vieille padrona fait de l'intérieur de la voiture.»

Cette petite description est pleine de mouvement et de vérité.

Notre-Dame de San-Celso (Pl. 240) doit à ses colonnes de marbre, à

L.

ses belles statues, aux sculptures qui décorent sa façade, à la magnificence des peintures et des fresques de la voûte et des chapelles, enfin à la richesse de son ornement, une grandeur et un éclat qui rivalisent déjà avec ceux des églises de Rome. Si nous comparons à Notre-Dame de San- Celso Sainte-Marie des Gráces (Pl. 240), autre monument dédié à la reine du ciel, nous trouverons que le second de ces temples n'a plus que l'ombre de sa 1 eauté première. Le Cenacle de Léonard de Vinci, placé dans le réfectoire de l'ancien monastère de Santa-Maria delle Grazie, n'est point aussi méconnaissable que je l'aurais cru: à travers le nuage de destruction qui l'enveloppe et les restaurations maladroites qu'il a subies, on découvre encore l'expression et la vie de cette admirable composition. « Dans ce lieu où plus d'un enthousiaste, dit lady Morgan, avait erré des heures entières admirant en silence, à la clarté de la lune, les chefs-d'œuvre de Bernardo, en se livrant aux charmes d'une méditation mélancolique, nous ne trouvâmes que le bruit et le tracas d'une existence militaire. D'un côté, un chariot d'artillerie était placé près d'une châsse brisée; d'un autre, un groupe de soldats riaient, chantaient et fumaient leurs pipes assis sur un crucifix renversé; une chemise déchirée séchait sur ce dos écorché de saint Barthélemy, et un fusil appuyé sur l'épaule de la Vierge lui donnait l'apparence d'une sentinelle en faction. En un mot, c'était un quartier-général de la gendarmerie de sa majesté impériale d'Autriche. »

Les seize hautes colonnes antiques de Saint-Laurent (Pl. 241), offrent un superbe débris, et prouvent la grandeur, l'importance et la magnificence

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Une dissertation sur les colonnes de Saint-Laurent a été publiée par M. l'abbé A. Guillon, dans laquelle il établit avec sagacité jusqu'à la distinction des diverses pièces de ces anciens thermes herculiens, qu'il attribue à Maximien Hercule, et qu'il regarde comme une imitation rivale des thermes de Dioclétien. Les nouvelles fouilles de Brescia ont depuis confirmé cette conjecture.

A peu de distance de Sainte-Marie Jes Grâces se trouve l'ancien château, forteresse dont il ne reste plus que le carré intérieur qui sert de logement aux troupes. L'impossibilité de soutenir un siége préserve aujourd'hui la ville des inconvéniens d'un assaut et des suites d'une prise. L'immense esplanade qui entoure le château est devenue une place qui a été couverte d'arbres; elle reçut, à l'époque de la paix de Lunéville, le nom de Foro Bonaparte. Ce lieu, qui était humide et malsain, est aujourd'hui une promenade agréable, ombragée de plus de dix mille pieds d'arbres, dont les espèces sont variées, et qui forment des allées et des bosquets agréablement distribués (Pl. 242). Là est une immense place d'armes large de onze cents brasses, et longue de mille. Non loin est le grand cirque appelé vulgairement l'arena( pour Arena), bâti par Canonica, à l'imitation des amphithéâtres antiques : on y arrive par une allée d'érables, d'ormes et de chênes. L'Arena pourrait contenir vingt-quatre mille spectateurs; ce lieu est ombragé par des arbres à sa partie supérieure et entouré de murs, dans lesquels il y

a des portes d'entrée qui font l'office des anciens vomitoires. Il est destiné à des courses, à des combats d'animaux, et même à des naumachies, car l'arêne peut être inondée en trèspeu de temps.

A l'endroit où la grande route du Simplon vient aboutir à Milan, un superbe arc-de-triomphe a été commencé d'après le dessin du marquis L. Cagnola. Cette porte, appelée d'abord arc du Simplon, puis arc de la paix, a été ordonnée par Napoléon et achevée aux frais de la ville (Pl. 243). La statue de la Paix, comme au Carrousel, remplace celle de Napoléon; le char est tiré par six chevaux de bronze, nombre supérieur à celui des attelages antiques; quatre autres chevaux sont placés aux angles; plusieurs de ces chevaux sont vraiment superbes, et honorent le ciseau italien. Cet arc-de-triomphe, qui est tout éblouissant de marbre et de sculpture, qui est le plus grand souvenir moderne d'une époque de conquête et de renommée, semble contraster avec le courage simple, patient, modeste, et sans enthousiasme, du soldat autrichien employé à sa garde.

Arrêtons ici cette esquisse de Milan. Si nous ne consultions que le nombre des monumens et des souvenirs intéressans de cette belle cité, notre travail serait loin d'être terminé. D'un autre côté, les catalogues et les guides en Italie ont si bien et si souvent décrit les merveilles de Milan, que sous ce rapport il reste peu à glaner pour les voyageurs actuels; mais si l'on ne tient compte que des objets mouvans et respirans, ce pays, tout exploré qu'il est, peut offrir encore au politique et au philosophe la plus abondante moisson

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