Page images
PDF
EPUB

commençait à devenir célèbre, prêcha. en Italie avec tant de succès, fit tant de conversions et de miracles, qu'étant mort en 1231, à l'âge de trente-six ans, il fut canonisé l'année suivante.

Casanova rapporte qu'à Padoue l'on croit que saint Antoine fait trente miracles par jour : la quantité de ses messes ne doit pas surprendre; elle est si considérable qu'il n'y a point as sez d'autels pour les célébrer, ni de prêtres pour les dire, et qu'une bulle du pape autorise le chapitre à dire, vers la fin de l'année, certaines messes qui comptent pour mille, seul moyen d'acquitter cette sorte d'arriéré.

L'église du patron de Padoue (Pl. 208) fut commencée en 1255, par Nicolas Pisano, et terminée en 1307. Sa construction, un peu orientale, offre six coupoles. Mais, ce qui me frappa surtout, ce fut de voir dans l'intérieur de la basilique quatre orgues extraordinaires, auxquelles quarante personnes sont constamment employées. Il est impossible de parler de musique sans citer le nom du célèbre Joseph Tartini qui, pendant plus de trente ans, demeura attaché à l'église de Padoue. Tout le monde sait aujourd'hui, grâce à M. Delalande, comment ce violoniste célèbre, d'une imagination et d'une organisation toute musicale, composa sa fameuse sonate du diable: « Une nuit, en 1713 (c'est Tartini lui-même qui parle), je rêvais que j'avais fait un pacte, et que le diable était à mon service; tout me réussissait à souhait, mes volontés étaient toujours prévues, et mes désirs toujours surpassés par les services de mon nouveau domestique; j'imaginai de lui donner mon violon pour voir s'il parviendrait encore à me jouer de beaux airs. mais quel fut mon étonnement lorsque j'entendis une sonate si singu

lière et si belle, exécutée avec tant de supériorité et d'intelligence, que je n'avais même rien conçu qui pût entrer en parallèle. J'éprouvais tant de surprise, de ravissement, de plaisir, que j'en perdais la respiration : je fus réveillé par cette violente sensation; je pris à l'instant mon violon, espérant de retrouver une partie de ce que je venais d'entendre; mais ce fut en vain: la pièce que je composai pour lors est à la vérité la meilleure que j'aie jamais faite, et je l'appelle encore la sonate du diable; mais elle est si fort au-dessous de ce qui m'avait frappé, que j'eusse brisé mon violon et abandonné pour toujours la musique si j'eusse été en état de m'en pas

ser. »>

Je ne m'arrêterai pas à énumérer les tableaux ou les fresques qui ornent dans il Santo, la chapelle de SaintAntoine, ou celle du Saint - Sacrement; je ne parlerai ni du chœur ni de son magnifique candelabre de bronze, d'André Riccio, ouvrage qui coûta dix années de travail à l'artiste. Qu'il suffise au lecteur de savoir que les pinceaux de Sansovino, de Pierre Liberi, et le burin de Donatello, et d'une foule d'autres artistes célèbres, ont concouru à enrichir cette église. Avant de la quitter, allons voir au trésor SaintAntoine, la langue encore vermeille du saint. On montre aussi le recueil de ses sermons, corrigé par lui, et dont l'écriture est lisible et même élégante. Nous voici arrivés à la porte: n'accorderons-nous point un regard à la sépulture de ce jeune Français de vingt ans, Arminius d'Orbesan, dont l'épitaphe est si touchante:

N'arrose de tes pleurs ma sépulcrale cendre, Puisque un jour éternel d'un plus beau royaume luit, Mais bénis le cercueil, où tu as à descendre;

Car il n'est si beau jour qui ne mène sa nuit.

[merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][graphic][ocr errors][merged small][merged small]

La Scuola del Santo, la confrérie de Saint-Antoine, voisine de l'église, offre au premier étage de belles et curieuses fresques du Titien. Nous nous plaisons à les citer, car, outre leur mérite, elles sont les scules fresques que le Titien nous ait laissées.

Padoue célèbre chaque année, au mois de juin, des fêtes joyeuses, ou plutôt des jeux olympiques, en l'honneur de saint Antoine. Je n'ai pas eu, comme M. Valery, le bonheur de rencontrer le char de sapin du maquignon vainqueur, qui parcourait les rues aux acclamations de tous les polissons dont il était escorté.

Un grand nombre d'autres églises sont répandues dans la ville: c'est l'Annunziata nell' Arena, aux formes orientales; c'est l'église de Saint-André; celle de Sainte-Lucie; les Eremitani, si célèbres par ses tombeaux, par ses fresques et par son petit cimetière; c'est Saint-Canziano, Saint-François, aux riches tableaux; Saint-Clément; Sainte-Croix; Sainte-Justine, avec ses huit coupoles à jour et ses riches chapelles; Sainte-Sophie, qui conserve d'antiques débris; Saint-Thomas, remarquable par ses peintures; SaintJoseph, aux fresques curieuses; SaintFermo, qui se glorifie avec raison de son magnifique crucifix en bois; enfin c'est la petite église Saint-Maxime, qui contient le tombeau du savant anatomiste Morgagni.

Les palais de Padoue méritent à leur tour de fixer l'attention; nous citerons celui qu'on nomme del Capitano, d'une architecture majestueuse. Quelques parties extérieures de l'architecture du palais du podestat ont paru dignes de Palladio. La maison des comtes Trento-Papa-Fava, la plus belle de Padoue, offre un groupe horrible et pyramidal de soixante démons enlacés les uns

dans les autres. La maison Capodista possède les énormes débris d'un cheval de bois qu'on pourrait prendre pour celui de Troie. Ajoutons encore le palais Giustiniani al Santo, à l'élégante et harmonieuse construction; la maison du chevalier Lazzara, véritable musée de peinture, d'architecture et de sculpture; enfin, un édifice plus moderne semble dominer aujourd'hui tous les autres, par son luxe architectural; c'est le café Pedrocchi; toutes les colonnes, les murailles, le pavé, sont de marbre, et un pareil bâtiment semblerait bien plutôt devoir être un palais ou un temple qu'un café.

J'allais aussi tous les dimanches à Saint-Antoine; la belle statue équestre de bronze, par Donatello, représentant le Condottieri Gattamelata, sur la place de l'église, est la première qui ait été fondue en Italie et chez les mo dernes. Quelque habile qu'ait pu se montrer ce général, il ne paraît point qu'un chef de soldats mercenaires fût digne d'un tel honneur et d'un tel monument.

Avec de pareils combattans, la guerre semble perdre une partie de son héroïs

me;

elle n'est qu'une nouvelle espèce de spéculation et de trafic. Ces Condottieri, aux gages d'états divers, prenaient soin, comme on sait, de se ménager; leurs manœuvres sur le champ de bataille n'étaient fort souvent que de simples évolutions, et leurs campagnes, que de grandes parades. Le fait rapporté par Machiavel, de la bataille d'Anghiari, gagnée par les bandes au service de Florence, sur les bandes à la solde de Milan, quoique contredit par Scipion Ammirato, ne détruit point le raisonnement du publiciste florentin sur l'infériorité de pareilles troupes, et sur leur impuissance à défendre leur patrie les soldats français, qui n'en

[ocr errors]

tendaient rien à ce genre d'exercice et d'arrangement, purent aisément venir à bout de tels ennemis et conquérir ITtalie col gesso (à la craie); ce mot du pape Alexandre vi exprime la rapidité de l'invasion de Charles vm, qui semblait n'avoir rien eu de plus à faire qu'à marquer ses logemens comme un maréchal des logis.

Le commerce de Padoue était trèsrenommé parmi les anciens. Cette ville fournissait à Rome de belles tuniques et d'autres marchandises précieuses; elle est encore aujourd'hui fort commerçante: les draps, ainsi que les bas et les bonnets de poil de castor de ses fabriques, sont estimés.

Ce fut par une belle et brillante matinée que je quittai la patrie de TiteLive et du peintre Tiepolo, laissant derrière moi les bains d'Abano, déjà célèbres du temps de Tibère, la Chartreuse, et enfin les couvens de Praglia et de Monte-Ortone. C'était une chose délicieuse de rouler le long des rives de la Brenta, alors qu'aucun nuage au ciel, aucune image de tristesse n'obscurcissaient le paysage environnant.

Le canal à droite coule à travers une campagne aimable, riante et fertile, où les champs de blé, les vignes, déploient leurs trésors. A gauche, les élégantes villes de marbre, avec leurs façades palladiennes, leurs jalousies vertes, leurs parterres et leurs orangeries, semblent encore habitées par les Foscarini et les Bembi des grands et libres jours de la république vénitienne. La barca corriera, la première gondole aperçue, le barchiello pesamment frêté, glissent, passent, repassent, et quelques airs particuliers à Venise frappent votre oreille pendant ce délicieux petit trajet. Mais les groupes parsemés sur le chemin sont plus délicieux encore. Avec leurs habits et leurs visages de

fête, toutes les femmes sont jolies, tous les hommes agréables : tous les mots sont balbutiés mollement, et le rire même est toute mélodie.

Il eût été doux de terminer le voyage d'Italie sur les bords de la Brenta. Et là, donnant une pensée à la brise qui soupire sur ses eaux, supposer qu'aucun souci ne peut habiter sous ces pavillons légers et frais, et que la prospérité répandue par les rayons du soleil et la nature, ne peut être détruite par les fausses combinaisons de la politique et le renversement de l'indépendance nationale; mais la vue de la grande douane de Fusina, qui se montre comme une prison temporaire sur les rives de l'Adriatique, remplie de figures allemandes, gardée par les armes autrichiennes, dissipe les visions de la Brenta. Là, il faut endurer formalités sur formalités, et le voyageur découragé quitte la côte solitaire et nue pour monter sur une gondole noire, avec l'apparence, sinon les sentimens d'un prisonnier d'état. Cependant, à mesure que la barque s'éloigne du rivage, et que la ville des vagues, cette Rome de la mer, paraît sur l'horizon, l'esprit se ranime; la mémoire, cessant d'être comprimée par les impressions extérieures, renvoie de ses cellules mystérieuses mille souvenirs fantastiques; et quand les clochers et les dômes de Venise brillent sous l'éclat du soleil de midi, et que ses palais, à demi voilés par les teintes aériennes de l'éloignement, déploient graduellement leurs superbes proportions, les rêveries de plus d'une veille de la jeunesse sont réalisées. Des scènes depuis long-temps connues, poétiques ou romantiques prennent une existence réelle, et viennent en même temps enchanter les yeux et délecter l'imagination.

« PreviousContinue »