Page images
PDF
EPUB

tique, d'où il se rendit à Mantoue, et s'y fixa. Comme il craignait surtout de perdre les trésors précieux qu'il avait conservés, il les enferma dans une boîte de plomb; il se retira alors dans une petite île du Mincio, où est à présent Gradato, qu'il avait choisie pour sa demeure, et s'y livra à la prédication des fidèles et à la conversion des idolâtres.

Tout cela s'était passé sous Tibère.. Un certain Octavius fut nommé préfet de Mantoue, sous le règne de Claude. Instruit de l'ardeur et du zèle de Longin, il ordonna qu'on lui coupât la langue. A la voix du saint, devenue miraculeusement plus forte après cette opération, des légions de démons assaillirent Octavius. Ce préfet fut d'abord effrayé; mais, par l'inspiration d'un de ces mêmes démons, il fit trancher la tête à Longin, et l'on voit à Gradato une colonne qui marque le lieu de l'exécution. Ces détails ne se trouvent point dans les livres saints; mais leur tradition est d'une haute antiquité dans Mantoue, et même elle est consignée dans un des plus anciens bréviaires de la ville. Les faits suivans sont racontés par plusieurs historiens. La caisse, qui renfermait le sang et l'éponge, fut retrouvée en 804, ainsi que le corps de Longin. Cette précieuse relique obtint de jour en jour plus d'importance: le pape Léon la visita, et se prosterna devant elle avec ses cardinaux.

Jules Romain, mort dans la force de son talent, fut enterré à l'ancienne

église San-Barnaba. Le marbre qui indiquait le lieu de sa sépulture fut détruit par une barbare négligence lors de la construction de l'église nouvelle; la tradition a conservé l'épitaphe

suivante :

Romanus moriens secum tres Julius Artes,
Abstulit; haud mirum e quatuor, unus erat.

Une simple inscription sur le pavé à l'église Santo-Egidio indique la place où repose le père de l'auteur de la JERUSALEM, Bernardo-Tasso, bon poëte lui-même, et dont la renonimée a comme disparu dans la gloire de son fils. Singulier rapprochement entre les deux grands poëtes de l'Italie ancienne et moderne: le berceau du Tasse est en face du tombeau de Virgile, et la tombe de son père est voisine du lieu où Virgile a pris naissance!

Le château, les portes, les ponts de Mantoue, sont d'un aspect imposant, Au milieu d'une ville de garnison telle qu'est aujourd'hui Mantoue, et après les fréquens désastres qu'elle a soufferts, on éprouve quelque surprise d'y retrouver encore autant de traces et de souvenirs de la littérature et des arts, La plus remarquable des maisons illustres qu'elle possède est celle de Jules Romain, demeure élégante, bâtie par lui, et dans laquelle il mourut comblé de biens et d'honneurs. Malgré son génie, Jules Romain ne rougissait point d'être propriétaire; il savait fort bien se faire payer, et l'on voit par un grand nombre de lettres de sa main, conservées dans les archives de Mantoue, la liberté avec laquelle il déclare nettement au duc Frédéric, que si l'argent n'arrive point il ne pourra continuer

[blocks in formation]

qui semble assez naturelle à l'ancienne demeure d'un tel écrivain, narrateur élégant de jeux, de fêtes et de spectacles. Je vis représenter et applaudir dans la patrie de Virgile un assez mauvais mélodrame, dont l'auteur était un duc. La Compagnia, journal de Mantoue, indiquait dans son annonce qu'elle comptait sur l'indulgence du public et sur le goût éclairé de la garnison autrichienne. Le souffleur, ainsi qu'à Parme et dans d'autres villes d'Italie, lisait la pièce à haute voix et suivait les acteurs. Avant d'être fait à un usage aussi ridicule, on ne sait véritablement quel est ce troisième personnage, cette espèce d'écho partant de la terre et sortant du sein d'un énorme soufflet; car on a cru devoir en donner exactement la forme au trou du souffleur. En face des spectateurs; au-dessus de la toile, apparaissait une horloge fort bien montée, afin que les classiques scrupuleux pussent s'assurer aisément si la pièce était dans les règles, et ne manquait point à cette unité de cadran dont Mme. de Staël a parlé.

La place Virgiliana, qui était autrefois un véritable marécage, est devenue, grâce à la dépense faite par la commune de Mantoue et à l'enthousiasme du général Miollis pour le prince des poëtes, une agréable promenade. Dans les environs on trouve le Ghetto, orné de riches et jolies boutiques, et bien différent de l'infect Ghetto de Rome. Quoique la population israélite de Mantoue ne dépasse point deux mille habitans, ils ont fondé une maison de refuge et de travail, où cinquante personnes trouvent un asile commode et une nourriture abondante.

Traversons maintenant la ville, et rendons-nous au faubourg Cirèse. Là, au milieu d'une île, s'élève un édifice

L.

qu'on peut mettre hardiment à la tête de tous ceux dont Mantoue s'honore. Malgré l'erreur à peu près générale, le nom du palais du Té ne peut lui venir de la forme de son plan, qui serait, dit-on, celle de la lettre T, puisque le plan même de l'édifice dément une pareille étymologie.

<< Il paraît, dit M. Quatremère de Quincy, et c'est l'opinion d'historiens dignes de confiance, que le mot Té fut une abréviation, ou, si l'on veut, une mutilation de tajetto ou tejetto, qui signifiait, dans le langage du pays, coupure ou passage donné à l'écoulement des eaux, et que cette dénomination locale, appliquée au terrain sur lequel le palais fut construit dans la suite, lui aura, par le fait de l'usage vulgaire, communiqué son nom. » Le palais du Té est le plus mémorable ouvrage de Jules Romain. La régularité, la sagesse de son architecture, contrastent d'une manière frappante avec l'imagination, le feu et presque le délire de quelques-unes des peintures de l'intérieur. La superbe Loggia ( vestibule), qui s'ouvre sur le jardin, offre à sa voûte cinq fresques en divers compartimens, dessinés par Jules Romain, et exécutés par ses élèves. La salle la plus célèbre, la plus extraordinaire, est celle des géans. Une fois entré dans cette pièce, on n'y voit point d'issue; on n'est environné que de rochers qui tombent sur les géans, blessés, écrasés, fuyant ou se défendant en vain; le sol même est formé de débris, et le plafond est l'olympe de Jupiter lançant la foudre.

Clari giganteo triumpho.

HOR., od. 1, lib. 3.

Cette terrible salle des géans, ainsi que les chambres si poétiques de Psyché, de Phaéton, et les élégantes

56

arabesques du casin charmant de la grotte, montrent que Jules Romain était à la fois inspiré de Michel-Ange et de Raphaël; une pareille imitation n'est pas moins admirable que la création. Malheureusement ces peintures ont été retouchées, et elles ne présentent plus que la composition et le dessin de leur immortel auteur.

La promenade di Pietola, à deux milles de Mantoue, est un pèlerinage littéraire, que les voyageurs manquent rarement de faire. On s'éloigne de la ville par une porte dont le nom héroïque, Tirésia, a vulgairement reçu la forme ignoble de Cirèse. Le titre véritable de cette porte rappelle l'origine fabuleuse de Mantoue, et l'antique tradition d'après laquelle on dit qu'elle a été fondée par Ocnus, fils de Tibérinus (qui avait épousé Manto, fille du fameux devin Tirésias), et qu'Ocnus lui donna le nom de sa mère.

Ille etiam patriis agmen ciet Ocnus ab oris,
Fatidica Mantùs etTusci filius amnis,
Qui muros matrisque dedit tibi, Mantua, nomen.
VIRG. En. x, 198.

Avant d'atteindre Pietola, on trouve une grotte regardée par l'enthousias me virgilien des habitans, comme un asile que la nature semblait avoir formé pour être le confident des premières inspirations du cygne de Mantoue. En sortant de cette retraite consacrée par de touchans souvenirs, examinons avec soin le paysage environnant. Le livre de Virgile à la main, nous trouverons à chaque instant l'occasion d'appliquer les vers du poëte. Ici les roseaux « voilent d'une couleur verte le marais où le Mincio s'est répandu; » et plus loin, « le fleuve s'avançant à pas tardifs, et conduisant cinquante soldats au secours de Mézence. >>

Nous pourrions aisément continuer

cetteétude de Virgile, faite sur les lieux mêmes, mais ces souvenirs classiques nous entraîneraient trop loin. Bornonsnous à indiquer au lecteur que, que, malgré la pompe et la richesse prodiguées par le poëte dans les descriptions qu'il fait de sa chère patrie, la nature de Mantoue, douce, simple, féconde, est loin d'avoir l'éclat oriental qu'on pourrait lui supposer, d'après certains traducteurs.

Pietola, qu'une tradition incertaine regarde comme l'ancienne Andès, patrie de Virgile, s'offre maintenant à nos regards. La maison dite Virgiliana et qu'habitait

E quell' ombra gentil per cui si noma
Pietola più che villa Mantorana.

DANTE, Purg. cant. 18 v. 83.

Cette ombre gracieuse, qui rend Pietola plus cé◄ lèbre qu'aucun lieu du Mantuan, me parut fort délabrée, et tout-à-fait digne des soins d'un autre vieillard du Galèse.

Les souvenirs du favori d'Auguste et du chantre de l'Énéide conduisent doucement le voyageur devant Crémone. La route suit les bords du lago di Sopra, et dès qu'on s'en éloigne on entre dans la montagne Borghetto. Cette direction, qui est celle de l'ancienne voie Posthumia, traverse de jolis villages, abreuvés par de nombreux ruisseaux murmurans et limpides. La tour de Crémone, qui se découvre au loin, est une des plus bardies et des plus renommées parmi les tours gothiques de l'Italie.

La ville a la forme d'un vaisseau dont cette grande tour serait le mât. Elle est propre et belle: ses rues sont larges, droites et bordées de grands palais dans un style gothique, un petit canal, appelé la Cremonella, passe sous les édifices, et, après avoir rempli les fossés, va se jeter dans l'Oglio. Ren dons-nous immédiatement à la place

[graphic][subsumed][merged small][merged small][merged small][graphic][merged small][subsumed][merged small][merged small][merged small]
« PreviousContinue »