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tolique, mais fier et terrible, comme dans la vision mystique d'Ézéchiel, et sous la forme d'un lion rampant, la crinière flottante et les ailes déployées, tenant un peu de l'enseigne d'une ménagerie, et, suivant le mot de Lady Morgan, un peu du dragon de Wantley à la foire de Saint-Barthélemy.

L'enlèvement du corps de San-Marco, apporté d'Alexandrie, est représenté en mosaïque sur la façade de l'église Saint-Marc. En voici l'histoire : Comme les Turcs ont le porc en horreur, les chrétiens imaginèrent d'intercaler leur saint entre deux pièces de lard, pensant bien que les douaniers musulmans n'y toucheraient pas, et cette fraude pieuse eut un plein succès. Notre guide nous fit remarquer l'air benet des infidèles qui s'étaientlaissés attraper, et la mine joyeuse des chrétiens qui leur avaient joué ce

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Dandolo est un si beau personnage (1) que j'aimais à répéter son nom sous les voûtes de Saint-Marc. J'avoue que j'éprouvai une impression bien différente lorsque, regardant la porte de bronze de la sacristie, derrière l'autel, ouvrage de trente années de la vie de Sansovino; je vis surgir en relief la tête toute vivante de l'Arétin à côté de celle du Titien.

L'Arétin, cet homme qui fit métier de la diffamation, et dont les louanges étaient taxées, est le représentant de la licence et des vieilles mœurs dissolues de Venise. Vous ne voyez en lui qu'un type ignoble. Il a dominé le seizième siècle littéraire. François 1er l'honorait. Arioste l'appelait divin. Charles-Quint causait familièrement avec lui. De niveau avec toutes les puissances, ami de Titien, correspondant de MichelAnge, bravant les foudres papales, plus riche qu'un prince, plus insolent qu'un condottière, plus admiré que Tasse, plus célèbre que Galilée, qu'était donc cet homme? d'où lui venait sa puissance? de quelle force disposaitil? quelle terreur et quelle tyrannie

le

se concentraient dans ces taches d'encre calomniatrices et immondes qui dégouttaient de sa plume? que résumait-il? que représentait-il? Il représentait la presse. Il fut terrible comme elle. Né au moment précis où cette force inattendue sortait des langes, se développait, grandissait, devenait redoutable, étendait son influence il comprit le premier quel levier ce serait que l'in

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(1) Henri Dandolo, élu doge en 1192, à l'âge de 84 ans, fit encore briller dans ce poste éminent la prudence unie à la vigueur et à la fermeté. On doit à sa valeur prodigieuse la prise de Constantinople par les croisés. Ce vieillard, presque aveugle, dirigea l'assaut à la tête de ses braves, s'approcha

un des premiers des murs qu'il fit escalader, et y planta l'étendard de Saint-Marc. Il refusa la couronne de l'empire grec, et mourut à 97 ans.

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Avant de juger l'Arétin, montez chez lui. Il demeure à Venise, sur le Canal-Grande, en 1530. Vous reconnaîtrez sa maison, ou plutôt son palais, à la belle tenture de soie rouge rayée de bleu qui se joue au soleil, que le vent soulève, et que le marquis du Guast lui a donnée. Deux statuines couronnent l'édifice, dont les piliers, les colonnettes, les corniches bronzées par l'humidité, dorées par le soleil, bravent toute la richesse des paroles et toute l'afféterie du langage. Rappelezvous Canaletti, le seul artiste qui ait fait fuir et glisser jusqu'à l'horizon les quais ondoyans de Venise et reproduit leurs mille détails.

Quand Arétin vint habiter la ville libre de l'Italie, déjà l'Orient et le moyen-âge lui avaient imprimé son caractère propre. Il y avait long-temps que le trèfle et l'ogive, la colonnette et la dentelure laissaient passage au soleil et à l'azur du ciel, long-temps que Venise était Venise. Sansovino et Palladio n'ont fait que compléter l'œuvre; les croisades l'avaient commencée.

La porte est ouverte à deux battans; le grand homme reçoit tant de monde, qu'il épargne à ses domestiques la peine de l'ouvrir. Ces jolies femmes, ce sont les Arétines; on les connaît sous ce nom dans Venise l'Arétin les a baptisées. Le soleil qui tombe de trois grandes fenêtres, voisines du plafond, éclaire ce groupe dont la beauté peut vous séduire.

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Vous n'arriverez jamais jusqu'à l'A

rétin. Voici des Orientaux en grandes robes, des Arméniens révérencieux, un envoyé de François 1er, des peintres célèbres, de jeunes sculpteurs avides de gloire, des femmes éprises de son grand nom, des prêtres, des valets - dechambre, des moines, des pages, des musiciens, des soudards, qui tous attendent, dans la salle où vous êtes, le moment d'être introduits. La plupart sont chargés de cadeaux; ils apportent tous leurs tributs; qui, un vase d'or; qui, un tableau de prix; qui, une bourse pleine de ducats; d'autres une robe, un manteau, une toque, une pierrerie, une agrafe, un collet de velours, un pourpoint une baüta: ouvrages rares, matières précieuses; présens dignes d'être offerts à un prince, dignes de cette époque où le gentilhomme portait sur son dos, comme dit d'Aubigné, la meilleure partie de son revenu. Mais voici descendre un grand jeune homme débraillé, vêtu de noir, à l'air impertinent et indolent, qui prie ces messieurs d'attendre. C'est le secrétaire et l'élève de ce grand-maître de la littérature et des arts Lorenzo Veniero. L'Arétin a eu plusieurs secrétaires et beaucoup d'élèves.

Cette figure de loup qui va mordre, c'est lui. Le front recule, le sourcil surplombe, l'œil est creux et ardent, la narine s'entr'ouvre, la lèvre inférieure s'abaisse et laisse paraître les dents; des rides nombreuses plissent le coin des yeux, la racine du nez est enfoncée, le crâne s'enfuit vers le sinciput, l'angle facial est très-aigu, partie postérieure du crâne, siége des appétits sensuels, est d'une prodigieuse grosseur; et la tête, privée de cheveux sur le devant, semble se renverser en arrière par un mouvement naturel. Vous ne croirez jamais que c'est là un grand homme. Les passions brutales

la

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