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genre pathétique. La scène est trop longue cependant, et l'on sent que Pergolèse, malgré ses efforts, n'a pu trouver encore assez de couleurs pour varier son tableau sans sortir de la vérité. » Comme un nouvel hommage à la mémoire de ce grand maître, citons aussi quelques vers extraits d'un fragment publié jadis dans la Revue de Paris, par une de nos jeunes muses contemporaines, M. Antoni Deschamps :

Quand à Naples, autrefois, le jeune Pergolèse
De son génie ardent, ainsi qu'une fournasie,
Fit sortir du stabat les versets gémissans,
En extase ravi par ses propres accens,

Il n'appercevait pas, à cette heure suprême,
L'envie à l'œil de plomb, au teint livide et blême,
Qui l'écoutait chanter, et tenait à la main
Le poison qu'il devait boire le lendemain.

Pergolèse n'était plus, mais son génie avait survécu, et devait inspirer ses descendans. En 1714, la même année qui donnait au monde celui qui devait un jour acquérir tant de célébrité sous le nom de Gluck, les environs de Naples virent naître Jomelli. Instruit par les savantes leçons de Léonard Leo, Nicolo Jomelli Nicolo Jomelli composa des opéras et des ouvrages religieux dans un âge encore peu avancé. Plus heureux que Pergolèse, dont le premier et seul opéra avait échoué, grâce à une faction ennemie, Jomelli eut le plaisir d'entendre applaudir l'Erreur amoureuse, l'opéra d'Actéus, celui d'Eumène, de Mérope, d'Achille à Scyros, etc., en même temps que ses nombreux motets édifiaient les fidèles en les inondant de la plus douce har

monie.

Mais tous ces triomphes, si éclatans qu'ils fussent, ne sont pourtant pas comparables à ceux qui étaient réser

vés à Gluck. Sans doute, en formant cet habile compositeur, la nature imprima sur son front le sceau du génie; mais ce feu sacré ne devait se manifester en lui que dans un âge où depuis long-temps nos facultés intellectuelles ont acquis tout le développement dont toyen de Genève, Gluck avait plus de elles sont susceptibles. Comme le ciquarante ans lorsqu'il mérita de fixer l'attention publique. Peut-être n’aurions-nous pas dû ranger son nom parmi les artistes italiens, puisqu'il est né dans le Haut-Palatinat, sur les frontières de la Bohême; mais nous n'avons pas oublié qu'il composa les opéras italiens d'Hélène et Páris, d'Alceste et d'Orphée; le reste de ses œuvres appartient à la scène française. On se rappelle quelles innovations il y introduisit. Qui n'a entendu parler de cinistes? La faction de Gluck et celle la querelle des gluckistes et des picde Piccini ( né en 1728, à Bari, elles des différences si grandes, qu'il royaume de Naples), présentent entre est impossible de s'entendre quand on veut rapprocher les procédés employés dire les partisans du dernier, ses jolis par chacun d'eux. Quoi qu'en puissent chants ne sont que de la musique italienne. Mais les vieux amateurs tenaient aux trilles et aux cadences que venaient leur faire entendre les Fel et les Géliot.

D'autre part, les partisans de Gluck défendaient avec un acharnement in

croyable la nouvelle école, appuyée sur le bon goût et sanctionnée par des progrès réels. Pauvre Piccini! combien tu eus à gémir de cette lutte où tu faillis perdre le succès de ton Roland! En vain la réconciliation entre les deux rivaux se fit-elle dans un souper et d'après les sollicitations empressées de Marie-Antoinette; la guerre

recommença bientôt avec plus de fureur que jamais. Tandis que Gluck jetait noblement dans l'arène, comme gant du combat, son magnifique opéra d'Armide, Piccini répondait par Iphigénie en Tauride! Mais n'insultons pas un vaincu; n'oublions pas que, sans Gluck, Piccini aurait été l'homme unique de son siècle. D'ailleurs, le caractère dominant de ce maître est une mélodie touchante, un style clair et facile, une grande élégance de formes; et toutes ces qualités demandent après tout un éclatant hommage. Piccini mourut en France le 7 mai 1800. On peut voir son tombeau à Passy, dans le cimetière commun.

Un élève du conservatoire de Loreto, en 1735, après s'être fait remarquer pendant dix ans par la plus grande paresse, parut tout d'un coup un homme supérieur : c'était Guglielmi.

Il y a des hommes qui sont destinés à la célébrité. Plus de deux cents ouvrages de Guglielmi furent joués et applaudis dans l'espace d'un petit nombre d'années. Turin, Vienne, Dresde, Brunswick, Londres, se disputaient l'honneur et l'avantage de jouir de son talent fécond. A cinquante ans il était comblé d'éloges, de distinction et d'argent : une immense réputation le précédait. Paisiello et Cimarosa, qui se partageaient la palme et sur le théâtre de Naples, et sur tous ceux d'Italie, en furent alarmés. Le premier forma une cabale puissante contre son ancien camarade. Cimarosa, d'un caractère plus doux, resta tranquille. Guglielmi allait faire représenter un opéra bouffon, et, suivant l'usage italien qui condamnait chaque compositeur à diriger lui-même les trois premières représentations de son ouvrage, il se tenait près du clavecin de l'or

chestre lorsqu'il pressentit l'orage qui allait éclater contre lui. La toile est levée; les sifflets commencent. Guglielmi veut leur imposer silence; ils redoublent. Enfin il est prêt à renoncer à poursuivre la pièce, lorsque le roi entre dans sa loge. Chacun se tait. On écoute, d'abord avec mécontentement, puis avec calme, enfin avec plaisir. Un admirable quintette est commencé : on le redemande; on le couvre d'applaudissemens. Divers morceaux se succèdent; même approbation, même triomphe. Les acteurs s'enhardissent; ils font des merveilles, et quand la toile est tombée, amis et ennemis s'unissent en un concert de louanges pour féliciter l'auteur d'un ouvrage qui a ramené tout le monde au même sentiment d'admiration

Paisiello le Tarentin, Cimarosa, l'élève de Sacchini, ce brillant auteur d'OEdipe à Colonne, ouvrage dont le succès fut aussi complet qu'extraordinaire, sont les deux noms qui terminent notre courte notice sur les meilleurs compositeurs de l'Italie. Qu'on ne nous accuse pas d'omettre des noms dignes d'une égale célébrité. Maint ouvrage a déjà signalé les progrès que l'art a fait sous l'influence des Traetta, des Scarlatti, des Duranti, des SanMartini, des Majo, et de tant d'autres illustres compositeurs. Nous aurions désiré aussi consacrer quelques lignes à chacun des habiles exécutans qui ont concouru à l'illustration de l'Italie musicale; mais, pour rendre un digne hommage à chacun d'eux, ce sont des volumes qu'il faudrait, et nous n'avions qu'un chapitre à donner à ce sujet intéressant.

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Les plus grands changemens de la musique moderne datent de Haydn, de Mozart, de Rossini. Les deux premiers maîtres appartiennent à d'autres historiens. Occupons-nous du dernier. Voici bientôt quinze ans qu'on ans qu'on ne peut plus donner un concert sans que Rossini en fasse les frais. Je me souviens qu'il y a peu de temps, l'académie de Londres essaya de composer son concert annuel de morceaux empruntés à tous les maîtres, excepté à Rossini. Telle est la fascination exercée par ce maître, qu'à peine put-on écouter le concert jusqu'au bout. Les plus beaux morceaux de Jomelli, de Gluck et de Cimarosa semblaient pâles et sans vie. On était déjà blasé par l'auteur de la Cenerentola; les traits brillans, la rapidité et la verve de ses mélodies avaient gâté le public. Il lui fallait les triolets, les arpèges, l'accentuation forte, vive et brillante de Rossini. Sa magie est pour ainsi dire physique et sensuelle. Le charme de Mozart est plus intellectuel et plus passionné, celui de Haydn est plus vif et plus pittoresque. Mozart correspond à la révolution française, et à cette animation turbulente des esprits qui entraîna l'Europe dans son tourbillon; Rossini appartient à une époque de matérialisme achevé, de corruption décisive, de repos sensuel; c'est le musicien des hommes qui ne veulent que jouir et demander à la vie autant de volupté matérielle qu elle peut en donner. Quand les autres compositeurs se contentent de marcher au pas, il court, il bondit, il galope, il prodigue les mélodies aventurées! Et ce ne ne sont pas seulement les voix de ses acteurs qu'il charge

de chanter ces mélodies si variées et si brillantes; c'est dans l'orchestre qu'il = les jette au hasard, c'est à tous les instruments qu'il les confie tour à tour. Il sème les motifs de chant avec une profusion sans égale; on voit que les richesses de son génie l'entraînent; il ne craint pas de répandre au hasard les trésors qu'il possède. Son accentuation est plus vive, son rhythme est plus marqué, sa marche plus fougueuse, son style pathétique même plus violent et plus emporté.... Il fait de la musique comme Bonaparte gagnait des batailles-à la course.

Un des caractères les plus remarquables de Rossini, c'est le luxe des notes qui distingue ses compositions, luxe tellement exagéré, que souvent le motif principal disparaît et s'efface sous les ornemens qui le surchargent. Les ennemis de Rossini lui ont vivement reproché cette surabondance. Elle tenait sans doute au penchant naturel de son génie; mais il faut le dire aussi, l'état de la musique sur les théatres d'Italie a dû pousser Rossini dans cette voie. Tout chanteur à la mode ne pouvait s'empêcher de dénaturer la cantilène, qui disparaissait comme ces lettres gothiques entourées de mille arabesques bizarres entassés par le talent de l'enlumineur. Souvent le mérite réel des compositions de Rossini s'effaçait aux yeux du public, que séduisaient l'agilité de la voix et les brillantes arppeggiatures des virtuoses. Fatigué de perdre ainsi la récompense de son travail, et de voir ses plus gracieuses créations dénaturées par des chanteurs sans talent, Rossini résolut d'introduire lui-même dans ses ouvrages tous les ornemens possibles : c'est ce qu'on peut appeler sa seconde manière; il ne s'en tint pas là, mais voyant quelle prépondérance le genre

allemand acquérait chaque jour, il s'empara de toutes les ressources et de toutes les combinaisons de l'harmonie. Alors naquit sa troisième manière, celle de Moïse et de Guillaume Tell. Quel homme que ce Rossini! Il s'est assimilé toutes les écoles, il a saisi tous les moyens de succès. A peine quelques compositeurs, Auber, Bellini, MeyerBeer, Hérold, ont-ils pu se faire entendre, encore a-t-il fallu que leurs compositions s'imprégnassent du style à la mode. Quels que soient leurs rangs respectifs et quelque différence que l'on puisse trouver entre eux, leur chef commun c'est Rossini: tous, ils ont été forcés d'adopter sa méthode, de se modeler sur lui, enfin d'imiter sa verve en l'affaiblissant.

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à détailler dans sa mémoire les moindres circonstances qui l'accompagnèrent jadis? Que de fois, en m'éloignant, je répétai ces strophes de Goëthe, dont, à mon arrivée, j'avais salué la noble Italie!

Connais-tu cette terre où les myrthes fleurissent,
Où des sons enchanteurs dans les airs retentissent,
Où la plus belle nuit succède au plus beau jour,
Où le rayon du ciel est un baiser d'amour ?
Ami, la connais-tu ? suis ta fille chérie.
Partons, viens avec moi; viens y passer ta vie !

La terre des parfums, des fleurs et de l'encens,
Où les airs sont plus purs, les flots plus caressans,
Ami, la connais-tu! Là règne le génie.
Symboles immortels d'amour, de poésie,
Là cent marbres muets deviennent éloquens !
Viens, ami, viens, suis-moi; partons pour l'Italie.

L'Italie! heureux ceux qui n'en sortent plus car cette terre sacrée ne peut être abandonnée qu'avec regrets et larmes ! L'Italie ! c'est là l'artisque te, l'homme de poésie et de sentiment aime à fonder son tabernacle! Raphaël songeait au bonheur calme et pur que Rome seule peut donner, lorsqu'il peignit la transfiguration. Michel-Ange mit en œuvre d'architecture la théorie du Thabor, et bâtit à Rome trois tentes, Sainte-Marie-desAnges, le Capitole, le dôme du Vatican, une pour lui, une pour Virgile, une pour Dieu.....

NOTE DE L'ÉDITEUR.

Notre but était de donner un tableau de l'Italie plutôt que de présenter une description détaillée de chaque monument; aussi,pour mettre sur la voie les personnes qui voudraient de plus amples détails, nous avons indiqué, dès notre première livraison, une grande quantité d'ouvrages sur le pays que nous nous proposions de faire connaître; nous ajoutons à cette liste l'indication d'un ouvrage d'érudition architecturale sur le pont de Rialto, monument qui se lie tout à la fois aux arts et à l'histoire de Venise.

ESSAI HISTORIQUE SUR LE PONT DE RIALTo, par Antoine Rondelet, architecte. I vol. grand in-quarto, imprimé par Firmin Didot, et orné de douze planches. Il est peu de monumens qui jouissent d'une aussi grande célébrité. Mais s'il n'est pas du nombre de ceux dont le mérite puisse être apprécié à la première vue; il faut convenir qu'il n'en existe pas dont le souvenir se grave plus facilement dans la mémoire, et qu'il ne lui manquait que d'être mieux connu pour occuper le rang qui lui convient dans les annales de l'architecture.

Nous devons aussi recommander la lecture si attachante de l'ouvrage de M. Charles Desobry, intitulé :ROME AU SIÈCLE D'AUGUSTE, ou voyage d'un Gaulois à Rome à l'époque du règne d'Auguste et pendant une partie du règne de Tibère. C'est, comme on l'a déjà dit, un livre d'une érudition solide et profonde, une mosaïque bril.

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