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SI. MUSIQUE ITALIENNE. - PREMIERS OPÉRAS.

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De tous les arts, celui qui frappe les sens de la manière la plus directe, musique, a conquis depuis quelques années une place importante dans la société moderne. Autrefois c'était une étude et un plaisir de prince, un art réservé à un petit nombre d'élus; aujourd'hui c'est le complément nécessaire de l'éducation. La demeure des femmes retentit des sons du piano; les amateurs composent, les femmes du monde font des romances et même des partitions. Rien ne prouve mieux la prépondérance du matérialisme sur le temps où nous sommes. La poésie, chose tout intellectuelle, est passée de mode; la littérature n'est plus qu'un métier, c'est la peinture et surtout la musique que l'on cherche et que l'on aime. Elles ne tiennent à l'âme que d'une manière secondaire c'est par l'entremise des sens qu'elles pénètrent jusqu'à l'intelligence. Aussi devaientelles conquérir tout leur pouvoir à une époque où le spiritualisme, étouffé par l'analyse et la philosophie, cède la place aux intérêts matériels.

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Quelques contrées privilégiées se sont depuis long-temps livrées aux études musicales avec un goût et un zèle au moins égal à celui que nous manifestons aujourd'hui. A la tête de ces pays éminemment artistiques, il faut placer l'Italie; on y a de tout temps fait de la musique, de la peinture, de la sculpture et de la belle et noble architecture. Chez nous, l'appréciation de ces arts est souvent proportionnée aux dépenses qu'ils entraînent, beaucoup plus qu'aux jouissances qu'ils procurent; en Italie, au contraire, les

P.

arts ont été cultivés pour eux-mêmes, et cette tendance libérale du génie de ce peuple nous est démontrée par les plus lointains souvenirs de l'histoire.

Une foule d'écrivains et d'artistes ont déjà maintes fois analysé le génie de la musique italienne. Tantôt douce et insinuante, tantôt folâtre et gaie, tantôt simple et naïve, tantôt enfin sublime et pathétique, tour à tour elle nous charme et nous enlève : des hardiesses expressives, des licences heureuses, des routes de modulations détournées et savantes, ct néanmoins toujours naturelles, voilà son caractère et ses richesses. Pour connaître d'une manière plus approfondie ses ressources intimes, il faut consulter les partitions de ses compositeurs et les critiques admirables de Jean-Jacques Rousseau, de Fétis et de Castil-Blaze. Nous avons étudié les ouvrages théoriques de ces divers auteurs, et

nous

avons trouvé plus facile pour nous, et plus avantageux pour le lecteur curieux de s'instruire, de le renvoyer directement à ces œuvres que de lui en faire l'analyse. Un tableau rapide de la naissance de l'art musical en Italie, de ses progrès et de ses développemens, et un coup d'œil sur son état actuel, telle est la tâche que nous nous sommes imposée, et dont nous viendrons facilement à bout, car nous avons sous les yeux le précieux travail de M. Castil - Blaze sur le même sujet.

Les premiers opéras établis en Italie, vers 1430, eurent pour objet les mystères. On conçoit sans peine que la religion dut exercer une sublime in

la

fluence sur les œuvres musicales. Aussi, tandis que l'église protestante, dont toutes les cantilènes sont fixées par loi, s'oppose par cela même aux progrès de la musique, ces progrès sont vivement favorisés par le catholicisme qui s'adresse surtout à la passion. Un paysan italien, qui a entendu la messe en musique depuis son premier âge, qui, à force d'écouter chaque partie exécutée avec précision et netteté, a reçu le complément de son éducation musicale, assiste à la première représentation du Barbier de Séville de Rossini, rien ne lui échappe, il est bon juge, il comprend toute la partition, même dans ses finesses et ses délicatesses. Mettez à sa place un gentilhomme de Glascow, bien élevé, instruit, philosophe, poëte, si vous voulez, il sera de beaucoup inférieur au dilettante grossier dont nous venons de parler. La faculté d'entendre et d'apprécier la musique s'est perfectionnée et développée chez le paysan, elle est restée ensevelie chez l'Ecossais.

En 1440, sur une place publique de Rome, on représente la Conversion de saint Paul, drame lyrique de Francesco Baverini. D'autres opéras du même genre succèdent à celui-là. Les opéras profanes ne paraissent que vers 1475. On cite à cette époque l'Orfeo, d'Ange Politien, et une tragédie en musique, exécutée à Rome en 1480, dont le cardinal Riatti, neveu du pape Sixte Iv, avait fait les paroles. Plus tard, le pape Clément vi écrivit des livrets d'opéra, parmi lesquels on distingua Didone. Aux noces de Ferdinand de Médicis avec Christine de Lorraine, à Florence, on mit en scène un de ces drames en musique ou mêlés de musique. Tout n'était pas chanté dans ces premiers ouvrages; celui-ci

avait pour titre : Combat d'Apollon et du Serpent. On sait quelle magnificence don Garin de Tolède, vice-roi de Sicile, déploya pour faire représenter l'Aminta du Tasse et une autre pastorale de Transille; elles étaient accompagnées d'intermèdes et de chœurs, dont le jésuite Marotta fit la musique. Les papes avaient déjà un théâtre à décorations et à machines en 1500; et quand le cardinal Bertrand de Bibiena fit jouer devant Léon x la comédie de la Calandra, on y admira les peintures de Peruzzi. La science des machines et des décors sembla naître comme par enchantement. La magnificence et la variété des changemens de scène employés alors tiennent du prodige.

Quelques scènes d'une pastorale intitulée le Sacrifice, d'autres scènes de l'Infortunée et d'Arethuse, furent représentées à la cour de Ferrare, vers 1550. Toute cette musique était dans le genre madrigalesque; c'était du contre-point, et les instrumens de l'orchestre jouaient les mêmes parties que les acteurs, et chantaient sur le théâtre.

Emilio del Cavaliere, célèbre musicien de Rome, réussit à donner une allure moins lourde au contre-point de ses madrigaux dramatiques; mais il ignorait l'art de débiter rapidement les paroles au moyen du récitatif. Toutefois, la tentative de ce maître fit grand bruit en Italie; elle fixa l'attention de Jean Bardi, comte de Vernio. Les savans, les artistes, se réunissaient chez lui à Florence; et, dans cette société d'hommes de mérite, on distinguait Vincent Galilée, père du célèbre astronome, Mei et Caccini. Le contrepoint introduit dans le drame les révoltait; ils voulurent remonter à la déclamation musicale des Grecs, et trouvèrent le récitatif. Galilée en fit

d'abord l'essai dans Ugolin, épisode de la Divine Comédie qu'il mit en musique, et chanta lui-même en s'accompagnant de la viole. Il réussit complétement; on admira sa découverte, et, sur-le-champ, Pierre Strozzi et Jacques Corsi, seigneurs florentins, partagèrent la noble ambition de leur compatriote Jean Bardi, et, concevant de grandes espérances au sujet du drame chanté, s'efforcèrent de l'élever à son plus haut degré de perfection. Pour y parvenir, ils choisissent Ottavio Rinuccini, le meilleur poëte de leur temps, et Giacomo Peri, de Florence, Giulio Caccini, de Rome, musiciens célèbres, et les engagent à composer pour eux un opéra que l'on exécuta à Florence, dans le palais Corsi. Le grand-duc de Toscane et sa cour, beaucoup de cardinaux et la plus brillante société suivirent les représentations de cet ouvrage, qui surpassa tout ce que l'on avait vu. La conduite de la poésie et la beauté de la musique le firent considérer comme un chefd'œuvre. C'est sur ce modèle que les mêmes auteurs, proclamés avec raison comme les créateurs du genre composèrent leur opéra d'Eurydice, joué publiquement à Florence, à l'occasion du mariage de Henri IV, roi de France, avec Marie de Médicis. Giulio Caccini donna ensuite l'Enlèvement de Céphale, et Peri, Ariane.

Les cinq actes d'Eurydice se terminent chacun par un chœur. Tircis y chante des stances anacréontiques, précédées par un prélude de symphonie, le dialogue est récité sur les tenues de la basse. Voilà donc le chœur, l'air, le récitatif, les ritournelles trouvées et employées dès les premiers temps du darme lyrique. Les partitions de Daphné, d'Ariane, de Céphale, de Méduse et sainte Ursule,

l'attestent encore. L'art du chant était à peu près inconnu, les instrumens, trop imparfaits, ne permettaient pas de tenter des efforts hardis. Malgré tant d'obstacles, l'opéra fut reçu avec un enthousiasme prodigieux.

Les inventions de Claude Monteverde, dans l'harmonie, donnèrent de nouvelles formes à la musique dramatique, en la débarrassant peu à peu du contre-point dont on était fatigué. Cet illustre maître établit à Venise un théâtre lyrique, où l'on joue, en 1630, l'Enlevement de Proserpine, dont il était l'auteur. Soriano et F. Cavalli, ses contemporains, composent aussi pour la scène. En 1639, on y représente les noces de Pelée de Cavalli.

On employait alors un grand nombre d'instrumens qui ne sont plus admis dans la symphonie. Chaque personnage dramatique avait son orchestre particulier, qui lui était départi selon les sentimens que sa voix devait exprimer. Ce moyen servait à varier les jeux de la symphonie ; il annonçait le retour du personnage que avait déjà vu, et faisait succéder les groupes de trompettes aux sons filés des violons, aux arpèges des luths, à la douce mélodie des flûtes et des

musettes.

l'on

La partition de l'Orfeo de Monteverde fait connaître la composition de l'orchestre qui l'exécuta en 1607. On y voit les parties de deux clavecins, deux contre-basses de viole, dix dessus de viole, une harpe double à deux rangs de cordes, deux petits violons à la française, deux grandes guitares, deux orgues de bois, trois basses de viole, quatre trombonnes, un jeu de régale (petit orgue), deux cornets, une petite flûte, un clairon, et trois trompettes à sourdines. Ces instrumens

jouaient par groupes séparés, attachés à chaque personnage, à chaque chœur d'un caractère différent. Ainsi les contre-basses de viole accompagnaient Orphée, les dessus de viole Eurydice, les trombonnes Pluton, les jeux de régale Apollon. La petite flûte, les cornets, les clairons, les trompettes à sourdines, sonnaient avec le chœur des bergers, etc. Le chant de Caron, sou, tenu par les deux guitares, est ce que je trouve de plus singulier dans ces associations instrumentales et vocales.

Après les premiers résultats obtenus d'une manière si brillante par les découvertes et les travaux de Galilée, de Peri, de Caccini, de Monteverde, il semble que les progrès de l'opéra ont dû être très-rapides point du tout. La stupidité des poëtes et l'incapacité des musiciens de l'Italie arrêtèrent cette précieuse invention pendant le dix-septième siècle, et, comme aujourd'hui, on se jeta à corps perdu à travers les machines, les décorations, les effets de spectacle.

Saint Paul et Vénus, Apollon et sainte Ursule, Neptune et Belzebuth figuraient dans ces opéras, et les poëtes, les musiciens, ne pouvant plus charmer l'esprit et le cœur, imaginèrent d'amuser, d'étonner les yeux. Plus la lanterne magique offrait de changemens, et plus l'opéra méritait les applaudissemens de la foule ébahie. Dans le Dario de Beverini on voyait le camp des Perses, et les éléphans chargés de tours remplies de combattans; une grande vallée séparant deux montagnes, la place d'armes de Babylone, le parc des machines de guerre, le quartier général des Perses, la tente du roi Darius, le tombeau de Ninus, la cavalerie et l'infanterie rangées en bataille, les ruines d'un vieux fort, la salle du trône du palais de Babylone,

enfin l'extérieur du palais. La pièce est
ce qu'on peut imaginer de plus ridi- =
cule, et la musique en est languis-
sante et monotone. Les chanteurs pro-
fitèrent de la situation déplorable de la
poésie et de la musique pour secouer
le joug des faiseurs de livres, des com-
positeurs, pour conquérir l'estime du
public, captiver son attention, et ré-
gner sur la scène. Caccini perfectionna
le chant à voix seule; il sut l'embellir
de trilles, de traits employés avec
goût; et ces ornemens ajoutèrent au
charme, à l'expression de la mélodie.

L'opéra bouffa ne date que de 1597. C'est alors que Brazio-Vecchi mit au jour son Anti-Parnasso, parade insipide, où figurent Arlequin, Briguella et un matamore castillan, personnage obligé de toutes les farces de cette époque. L'espagnol, l'italien, le bolonais, le bergamasque, et même l'hébreu, y sont mêlés dans le dialogue. La musique ne diffère point du genre adopté pour l'opéra sérieux; mais elle paraît plus lourde et plus monotone dans la comédie.

Telle était la situation de l'opéra en Italie, lorsque le cardinal Mazarin fit représenter la Finta pazza, joyeuseté musicale de Strozzi, au Petit-Bourbon, devant le roi et la reine. En 1647, deux ans plus tard, une autre troupe italienne, appelée par le cardinal, et beaucoup mieux composée, débuta par un autre opéra, dont le titre n'a pas été conservé par les historiens, et lui fit succéder bientôt Orfeo et Euridice. Succès d'enthousiasme et de fanatisme que je décrirais d'une manière trop imparfaite.

Tandis que l'opéra s'essayait de la sorte en France, l'Allemagne voulut s'approprier s'approprier ce genre de spectacle: mais on pensait que la langue allemande ne saurait convenir au discours

chanté. Pour faire disparaître cet inconvénient, on imagina de dire en allemand le dialogue et de chanter les airs, les duos, le choeur en italien. Toute la partie dramatique était exposée d'une manière très-intelligible au moyen de la langue du pays, et l'on avait recours ensuite à l'italien pour l'expression des sentimens et des passions. C'était une bigarrure singulière: elle n'était pas plus ridicule que le dialogue parlé qui succède aux morceaux de chant dans nos opéras comiques. Cette absurdité deviendra intolérable, même pour les Français, quand ils auront pris une part plus active aux progrès de la civilisation. Notre opéra comique est encore dans l'enfance; une pièce parlée et chantée ressemble à une statue de marbre que l'on draperait avec de la serge.

s II. De la musique italienne depuis Palestrina jusqu'à Cimarosa.

Nous avons assisté aux débuts de l'art musical en Italie; suivons maintenant à travers les siècles, l'histoire des grands maîtres, qui portèrent cet art enchanteur à un si haut degré d'illustration. En 1529, naît à Préneste (Palestrina) un artiste qui dut à sa réputation précoce l'honneur d'être désigné par le nom du lieu qui lui avait donné le jour. La musique religieuse déclinait; le pape Marcel 11 allait la bannir à tout jamais des temples consacrés au vrai Dieu, lorsque Palestrina lui fait entendre une messe composée d'après ses idées particulières. Cette messe, qui a été conservée sous le nom de Messe du pape Marcel, émut tellement le saint père, qu'il

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combla le musicien de présens et d'honneurs. Palestrina commence donc l'œuvre de la renaissance de la musique religieuse.

Quelques années plus tard, en 1694, Naples se glorifiait d'un grand maître qui suivait les traces de Palestrina, tout en cherchant à le surpasser. Le talent immense de Léonard Leo avait grandi sous les inspirations de Scarlatti. C'est lui qui le premier, en Italie, employa dans sa composition ces accompagnemens expressifs et variés, ce style grandiose et plein d'effet, qui caractérisent sa musique et qui ont servi de modèles à ses successeurs. Son miserere ne le cède ni au stabat de Pergolèse, son contemporain, ni à aucune autre composition du même genre. C'est là qu'il a déposé tout ce que la plus brillante imagination peut exprimer de grand et de sublime. Il attachait tant d'intérêt à l'exactitude de l'exécution, qu'il préparait les répétitions du miserere dès le mercredi des Cendres, et les continuait jusqu'à la semaine sainte, où ce morceau devait être exécuté.

A côté de ce beau nom qui resplendit encore des palmes accordées jadis aux opéras de Sophonisbe, d'Olympiade, de Démophon, etc., citons Pergolèse, l'admirable Pergolèse, le Raphaël de la musique italienne, qui, déchiré par les outrages de l'envie, alla passer ses derniers jours au pied du Vésuve, où, semblable au cigne expirant, qui redouble de mélodie au moment de mourir, il laissa à ses indignes contemporains le stabat et le salve regina comme un dernier et touchant adieu!

Voici le jugement de Grétry sur cette œuvre célèbre de Pergolèse: « Le stabat me paraît réunir tout ce qui doit caractériser la musique d'église dans le

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