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avoir occupé d'abord tout ce qui est a pied des montagnes, ils s'étendirent de proche en proche dans l'Insubrie, dans l'Ombrie, dans le pays des Sabins, des Étrusques, des Osques, etc. Dans ce même temps, des Grecs abordaient à l'extrémité orientale de l'Italie; ils y formaient des colonies et des établissemens. Ils quittèrent bientôt les bords de la mer, et, s'avançant toujours, ils rencontrèrent enfin les Celtes, qui, de leur côté, continuaient aussi de s'avancer.

fois avec le celtique, source commune des dialectes barbares des Goths, des Lombards, des Francs et des Germains, pour devenir peu de temps après la langue du Dante, de Pétrarque et de Boccace.

« Les invasions, a dit ingénieusement le président De Brosses, sont le fléau des idiômes comme celui des peuples, mais pas tout-à-fait dans le même ordre. Le peuple le plus fort prend toujours l'empire. La langue la plus forte le prend aussi, et souvent celle du vaincu soumet celle du conquérant. La première espèce de conquête se décide par la force du corps, la seconde par celle de l'esprit. Quand les Romains conquirent les Gaules, le celtique était barbare; il fut soumis par le latin. Lorsqu'ensuite les Francs

Après quelques guerres, car tel a toujours été l'abord de deux peuples qui se rencontrent, ils se réunirent dans l'ancien Latium, et n'y formèrent plus qu'une société qui prit le nom de peuple latin. Les langues des deux na tions se mêlèrent, et se combinèrent avec celle des habitans primitifs. N'ou-y firent leur invasion, le francisque des blions pas de remarquer que, dans cet amalgame, le celtique avait un grand avantage. Le grec, qui n'était pas encore à beaucoup près la langue d'Homère et de Platon, devait, de son côté, la naissance à un mélange de marchands phéniciens, d'aventuriers de Phrygie, de Macédoine, d'Illyrie, et de ces anciens Celto-Scythes, qui, tandis que leurs compatriotes se précipitaient en Europe, s'étaient jetés sur l'Asie occidentale, d'où ils étaient ensuite descendus jusqu'au pays qui fut la Grèce ; il y avait donc dejà du celtique altéré dans ce grec qui se combinait de nouveau avec le celtique.

De cette combinaison multiple naquit la langue latine, qui, grossière dans l'origine, mais polie et perfectionnée par le temps, devint enfin la langue de Térence, de Cicéron, de Virgile et d'Horace; et c'est cette même langue latine, qui, après un si beau règne terminé par un long et triste déclin, venait s'amalgamer encore une

vainqueurs était barbare; il fut encore subjugué par le latin. Cette collision des langues étouffe la plus faible et blesse la plus forte: cependant, celle qui n'avait guère acquiert beaucoup; c'est pour elle un accroissement; et celle qui était bien faite se déforme; c'est pour elle un déclin : ou bien le choc se fait au profit d'un tiers langage qui résulte de cet accouplement, et qui tient de l'un et de l'autre en proportion de ce que chacun des deux a contribué à sa génération. »

Dans cette ingénieuse explication, on voit que le dernier cas est exactement celui de la langue italienne sortant du choc ou de la collision de deux ou plusieurs langues, les unes encore barbares, l'autre affaiblie par une longue décadence.

Leonardo Bruni d'Arezzo, le plus ancien auteur qui ait écrit en italien sur ces matières, entreprit de prouver que l'italien était aussi ancien que le latin, qu'ils furent tous les deux en

usage à Rome dans le même temps; le premier parmi le peuple, et dans les entretiens familiers; le second, pour les savans, dans leurs ouvrages, et pour les discours prononcés dans les assemblées publiques. Le cardinal Bembo soutint depuis la même opinion dans ses dialogues, et d'autres encore l'ont adoptée après lui. Scipion Maffei, le même dont la Mérope a si heureusement inspiré le génie de Voltaire, mais qui est encore plus célèbre dans sa patrie comme érudit que comme poëte, en rejetant cette prétention, en a élevé une autre qui paraît beaucoup moins raisonnable. Il veut que la langue latine, noble, grammaticale et correcte, se soit corrompue d'elle-même, peu à peu, par ce mélange avec le le langage populaire, irrégulier, et par ces prononciations vicieuses, qui durent exister à Rome comme partout ailleurs. Chaque mot s'altérant de cette manière, et prenant des formes et des inflexions nouvelles, une nouvelle langue, selon lui, se forma ainsi avec le temps, sans que ces altérations aient été en rien le produit du commerce avec les barbares.

Les langues, comme on le voit, ont, aussi bien que les familles et les nations, leurs préjugés de naissance. Mais toutes ces idées romanesques disparaissent devant la raison, appuyée sur des faits.

Le savant Muratori a reconnu positivement la coopération immédiate des langues barbares dans la formation de la langue italienne. Selon lui, le latin, déjà corrompu depuis plusieurs siècles et par différentes causes, ne cessa point d'être la langue commune lors des irruptions successives des peuples du Nord. Les vainqueurs, toujours en moindre nombre que les vaincus, apprirent la langue du pays, plus douce

que la leur, et nécessaire pour toutes leurs transactions sociales; mais ils la parlèrent mal, et avec des mots et des tours de leurs idiômes barbares. Ils y introduisirent les articles, substituèrent les propositions aux désinences variées des déclinaisons, et les verbes auxiliaires à celles des conjugaisons. Ils donnèrent des terminaisons latines à un grand nombre de mots celtiques, francs, germains et lombards, et, souvent aussi, les terminaisons de ces langues à des mots latins. Les Latins d'Italie n'étant plus retenus dans les limites de leur langue ni par l'autorité, ni par l'usage, ou plutôt s'en étant affranchis depuis long-temps, adoptèrent sans efforts, et même sans projet, cette corruption totale.

Entraînés par une pente insensible pendant le cours de plusieurs siècles, ils croyaient n'avoir point changé de langage, quand toutes les formes et les constructions même de l'ancien étaient changées, ils appelaient toujours latine une langue qui ne l'était plus.

On l'écrivait fort mal; mais on l'écrivait cependant encore dans les livres, et même dans les actes publics : les notaires étaient obligés de savoir le latin, et de rédiger dans cette langue tous leurs actes officiels ; mais on peut penser ce qu'était le plus souvent ce latin de notaire. Les mots du langage usuel s'y introduisirent en foule, et Muratori a trouvé dans plusieurs de ces contrats latins, non-seulement du onzième et du douzième siècle, mais de temps antérieurs, un grand nombre de mots non latins restés depuis dans la langue italienne.

Maintenant, si nous considérons avec lui la nature des langues, qui est de faire peu à peu leurs changemens, nous verrons que plus la langue ita

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lienne fut voisine de sa mère, la langue latine, moins elle se distingua d'elle, et moins elle eut de nouveautés; que plus elle s'en éloigna par le cours du temps, plus elle perdit de sa ressemblance; et qu'enfin, à force de mots et de terminaisons étrangères, elle se trouva revêtue des couleurs d'une langue tout-à-fait nouvelle. On la nomma vulgaire pour la distinguer du latin; et elle en était tellement distincte, qu'un patriarche d'Aquilée, Godefroy, vers la fin du douzième siècle, ayant prononcé devant le peuple une homélie latine, l'évêque de Padoue l'expliqua ensuite au même peuple en langage vulgaire. Fontanini dans son Traité de l'éloquence italienne, adopte la même opinion, et reconnaît la même origine et les mêmes degrés d'altération insensible et de formation nouvelle. C'est aujourd'hui le sentiment commun de tous les philologues italiens.

L'esprit sage et la saine critique de Tiraboschi ne pouvaient pas s'y tromper. C'est de cette union d'étrangers barbares avec les nationaux, et de leur long commerce, qu'il fait naître un langage d'abord informe et grossier, sans lois fixes, sans modèles à imiter, et livré aux inspirations du peuple. Il ne faut donc pas s'étonner, dit-il, si, pendant plusieurs siècles, on n'essaya pas d'écrire dans cette langue. D'abord il lui fallut beaucoup de temps pour se séparer totalement du latin, et pour devenir une langue à part. Ensuite, comme elle n'était en usage que parmi le peuple, les savans et les littérateurs n'osèrent pas l'introduire dans les livres; mais il s'en trouva enfin qui eurent le courage de le tenter, et qui osèrent employer, en écrivant, un langage qui jusque-là n'avait pas paru digne de cet honneur.

point osées sans les plus grandes réserves. Les écrivains, en se servant de ce nouveau langage, sollicitaient humblement l'excuse des lecteurs : ils les

priaient de leur pardonner l'injure faite à l'illustre langue latine. La poésie donna la première le signal de l'affranchissement. On fait remonter ses premiers essais à la fin du douzième siècle, mais ils sont tellement informes, et ceux même d'une partie du treizième siècle ressemblent encore si peu à la véritable poésie italienne, qu'il paraît convenable de n'en fixer la naissance qu'au commencement du dernier de ces deux siècles.

Telle est l'origine de la langue italienne, et l'histoire de son introduction dans le domaine des arts et des sciences. Si nous étions de simples grammairiens, ce serait ici le cas de développer la composition matérielle de cette langue, et d'établir les principes de sa syntaxe, etc.... Mais il nous semble que la question doit être considérée de plus haut et puisque nous avons commencé l'histoire de la langue, nous ne saurions trouver la continuation de

cet exposé autre part que dans une analyse rapide et chronologique des écrivains qui ont illustré l'Italie.

S II. Des progrès de la langue italienne avant le Dante. Période sicilienne.

Sous les deux Roger et les deux Guillaume, c'est-à-dire dans la première moitié du douzième siècle, la cour de Palerme étant devenue riche et voluptueuse, on y entendit, pour la première fois, retentir les chants des poëtes siciliens. C'est à la même époque qu'on vit les Arabes y acquérir un

Toutefois, ces tentatives ne furent crédit et une influence qu'ils n'ont ja

P.

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mais exercée dans aucune autre cour chrétienne.

Lorsqu'à la fin du douzième siècle Frédéric succéda aux monarques normands, il transporta de puissantes colonies de Sarrasins dans la Pouille; mais il ne les éloigna ni de son service ni de sa cour; il en composa son armée, et il choisit presque uniquement parmi eux les gouverneurs de provinces qu'il nommait justiciers. Ainsi, au levant comme au couchant de l'Europe, les Arabes se trouvèrent à portée de communiquer aux peuples latins leurs arts, leurs sciences et leur poésie.

« La langue latine, dit Sismonde de Sismondi, s'était absolument séparée de la langue vulgaire : les femmes ne l'apprenaient plus, et pour leur plaire, pour leur parler d'amour, il fallait adopter le langage auquel elles donnaient des grâces, le soumettre à des règles, et l'animer par cette sensibilité qu'une langue morte et pédantesque ne pouvait plus admettre. » En effet, toutes les compositions des Siciliens, pendant un siècle et demi, ne furent que des chants d'amour. De savans archéologues, parmi lesquels il faut placer le spirituel Ginguené, nous ont conservé le souvenir de ces chants et de quelques-uns de leurs auteurs.

On cite surtout une chanson d'un certain Ciullo d'Alcamo, Sicilien. Mais on ne sait rien de ce Ciullo, sinon qu'il vivait à la fin du douzième siècle. La chanson de ce poëte est composée de 32 strophes, dont les vers ne ressemblent à aucune espèce de genre connu. Cette chanson, où l'on retrouve de nouvelles preuves de l'influence de la poésie provençale sur les premiers essais de la langue poétique en Italie, commence par ces mots :

Rosa fresca aulentissima.....
Rose fraiche très-odorante,....

Malgré cette chanson, l'honneur de la priorité poétique n'en demeure pas moins, suivant l'opinion de tous les auteurs, à Frédéric п, dont le mérite est d'autant moins contestable, que (suivant un mot connu) le Frédéric de Sicile n'avait pas, comme celui de Prusse, un Voltaire pour confident et

pour maître.

Il n'est resté des poésies de Frédéric II qu'une ode ou chanson galante dans le genre de celle des Provençaux, et que l'on croit un ouvrage de sa jeunesse. On y voit la langue italienne, à sa naissance, encore mêlée d'idio tismes siciliens et de mots fraîchement éclos du latin. Ainsi eo venu d'ego, moi, était prêt à devenir io, et meo, mien, qui est le mot latin même, devint, peu de temps après, mio, mien.

Pierre des Vignes, chancelier de Frédéric II, imita son maître, et s'adonna à la poésie avec autant de succès qu'aux affaires politiques. Il nous reste de lui quelques canzoni fort curieuses. On y voit plusieurs comparaisons qui ravivent un peu l'uniformité des idées et des sentimens. Il se compare « à un homme qui est en mer, et qui a l'espérance de faire route quand il voit le beau temps ».

Come uom che é in mare ed ha speme di gire quando vede lo tempo, ed ello spanna. . .

Il voudrait ensuite, ce qui est d'une poésie peu noble, mais d'un sentiment assez délicat, « pouvoir se rendre auprès de sa maîtresse en cachette, comme un larron, et qu'il n'y parût pas. »

Or potess'io venire a voi, amorosa, come il ladron ascoso, e non paresse..

.

Il est douloureux de penser que Pierre des Vignes, qui laissa encore six livres de lettres latines, fort inté ressantes pour l'histoire, mourut dans

une prison, victime d'une affreuse calomnie, après avoir eu les yeux crevés par ordre de son maître abusé!

Pendant un siècle environ, les seuls travaux littéraires que présentent les diverses universités de l'Italie, sont des œuvres de grammaire et de rhétorique. Florence eut un grammairien dont la renommée effaça celle de tous les autres, c'est Brunetto Latini. Il était du parti des Guelfes. Chassé par les Gibelins, il se réfugia en France, et revint quelques années après dans sa patrie. Ce fut pendant son séjour dans le royaume français qu'il composa l'ouvrage auquel il dut ensuite la meilleure partie de sa réputation, il l'écrivit en français, et l'intitula le Tré

sor.

Brunetto fit à son retour en Italie d'autres ouvrages écrits dans la langue de son pays. M. Ginguené donne de curieux détails sur ces productions du treizième siècle. A cette époque quelques poëtes s'obstinaient encore à faire des vers latins. On cite Henri de Septimello, dont le poëme sur l'Inconstance de la fortune, les consolations de la philosophie mérite une place honorable dans la liste des œuvres antiques. Nous avons retenu avec plaisir les vers suivans, extraits d'une pièce adressée par Septimello à l'évêque de

Florence:

Ergò vale, præsul: sum vester: spiritus iste
Post mortem vester, credite, vester erit.

Nous trouvons maintenant quelques poëtes aux noms obscurs, aux ouvrages ignorés. Mais, en même temps, on remarque le style incorrect et grossier, mêlé de sicilien et de provençal. Léon Allaci, ou Allacius, ancien compilateur, qui ne paraît dépourvu ni de saines critiques, ni de goût, place le nom de Mazza di Ricco parmi ceux des plus

anciens poëtes de l'Italie. Des six canzoni de Mazzeo, une seule nous paraît digne de quelqu'attention; encore n'est-ce pas à cause de son mérite, mais parce que la forme provençale y est évidemment empreinte. C'est un dialogue entre deux amans, dans le genre des pastourelles des troubadours.

Guido delle Colonne, qui ne passe. que pour historien, est l'auteur de deux chansons remarquables par la bizarrerie des pensées.

L'un des poëtes les plus féconds du siècle que nous passons en revue, Jacopo ou Giacomo da Lentino, commença à cultiver la poésie dans un moment de perfectionnement. On s'en aperçoit à son style, et surtout à la forme de ses sonnets. Le plus remarquable est celui où il se compare à un peintre qui fait un portrait, et qui le regarde en l'absence du modèle.

Ce que nous venons de dire suffira sans doute à donner une idée de ces anciens poëtes siciliens que l'on reconnaît pour les fils aînés de la muse italienne. Le signal donné par eux avait été bientôt suivi sur le continent. Des poëtes italiens s'étaient fait entendre à Bologne, à Pérouse, à Florence, à Padoue, et dans plusieurs villes de Lombardie. Parmi les poëtes de Bologne, on distingue surtout Guido Guinizelli, qui fut le premier à donner au style plus de force et de noblesse, et qui répandit, même dans ses poésies amoureuses, des sentimens élevés et des maximes que n'aurait pas désavoués l'école platonique.

Guittone d'Arezzo, contemporain de Guido Guinizelli, paraît avoir donné des formes plus fixes aux canzoni ou odes empruntées aux Provençaux. Ces deux personnages, Guido Cavaletti, et quelques autres moins connus, terminent la liste des poëtes italiens de

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