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pour le faire; veuillez soumettre à votre analyse le fruit d'études consciencieuses, et si vous pouvez en tirer quelque parti, je vous livre avec grand plaisir un travail qui, sans vous, courrait le risque de mourir aussi obscur qne moi. Je remerciai bien vivement le curé. Je m'emparai de son manuscrit, ou je recueillis d'excellentes choses. Contre ma première opinion, il me donna effectivement l'idée d'ajouter à la relation de mon voyage y quelques aperçus sur la langue et sur la musique italiennes. Si donc on trouve dans le travail suivant (que nous avons divisé par paragraphes, pour plus de clarté), quelques vues nouvelles, et une réunion de docu-. mens complets, le lecteur sait d'avance à qui il doit rendre hommage de

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Deux cents ans ne se sont pas encore écoulés depuis que les savans de l'Europe, dédaignant leur siècle et leur langue, ne s'occupaient que de l'antiquité dont ils empruntaient le langage, comme le seul qui fût digne et même capable de répandre et leur ouvrage et leur réputation. On sentit enfin combien il était contraire à la dignité de l'esprit humain de subordonner l'objet aux moyens, et la pensée à la mémoire. On dut être surtout frappé de l'impossibilité qu'il y a de faire passer son âme, sa physionomie, dans la langue d'un peuple dont les mœurs n'existent plus.

On mit à pénétrer et à étendre les ressources de sa propre langue, la

meilleure partie du temps qu'on employait à l'étude des anciennes. Les hommes de génie auxquels il est donné de renverser et d'établir, osèrent faire parler, dans tous les genres, leur langue naturelle, et les sciences, les lettres et les arts, dont les seuls alphabets de la Grèce et de Rome, avaient été jusqu'alors dépositaires, se présentèrent sous toutes les formes des différens idiômes de l'Europe.

Dès lors le génie, l'esprit et le caractère des peuples, passèrent dans leurs écrits dont la connaissance devint ainsi l'objet le plus digne de l'attention des philosophes et des gens de lettres.

Il n'est pas douteux que la langue la plus propre à faire connaître ces ouvrages ne soit la langue française. Ce que la langue de Virgile et d'Horace obtint des conquêtes du peuple romain, qui, moins jaloux de subjuguer les hommes que de commander à l'esprit humain, mit ses lois dans le cœur, et son langage dans la bouche de toutes les nations de la terre; la langue française semble l'avoir obtenu du consentement universel de l'Europe.

Ainsi, avant qu'Alexandre eût porté la langue grecque dans les vastes contrées quelui fit parcourir son ambition, on la vit se répandre dans plusieurs parties de l'Asie et de l'Europe, où les Grecs n'avaient jamais pénétré. Ainsi des princes barbares qui détestaient et les mœurs et la liberté de la Grèce, s'empressèrent d'apprendre son langage, et se plurent à le parler. Plut au ciel qu'en succédant au bonheur de vulgarité des langues grecque et latine, la nôtre eút les mêmes avantages et les mêmes ressources !

Il n'est pas possible de connaître la langue grecque et d'y réfléchir, sans partager l'enthousiasme avec lequel en ont parlé presque tous ceux qui

l'ont approfondie. Elle ne fut pas l'ouvrage des dieux, sans doute; mais elle fut admirablement inspirée par eux, à coup sûr, aux hommes les plus heureusement organisés qui aient jamais existé. On dirait que la nature s'était offerte à eux sous ses aspects les plus riches, tant cette langue est l'image fidèle de l'action des objets sur les sens.. Des mots qui, par le mélange heureux de leurs élémens, forment ou plutôt deviennent des tableaux, qui s'étendent, se nuancent et se ramifient conformément à la nature; qui, de leur aptitude à s'unir avec une infinité d'autres mots, obtiennent le double avantage de rapprocher, de multiplier les idées, et de devenir en même temps plus majestueux, plus sonores; qui, par la transposition à laquelle ils se prêtent, tantôt procèdent, comme la raison tranquille, tantôt s'élancent, se troublent et se désordonnent comme les passions; des systèmes entiers renfermés, si j'ose m'exprimer ainsi, dans leur sein (voy. le Cratyle de Platon); des combinaisons variées d'où résulte une harmonie enchanteresse, mais dont la partie la plus sensible (les accens) a péri; une marche pleine de mouvemens inattendus; une multitude de formules qui, semblables à ces plantes spontanées qu'on voit embellir et vivifier les corps auxquels elles s'attachent, portent le mouvement et la grâce dans toutes les parties du discours; tels sont les caractères variés de cette langue qui, pour me servir d'une expression déjà heureusement employée, est aux sciences et aux arts ce que la lumière est aux couleurs.

La plupart de ces admirables propriétés se retrouvent dans la langue la tine, qui dut aux Grecs la plus grande partie de ses mots et surtout l'art de les

ordonner. Rome envoyait le plus grand nombre de ses enfans à Athènes, et la bonne société, chez le peuple de Quirinus, affectait de parler en toute occasion la langue des Grecs.

Mais, en passant aux Latins, cette langue subit les altérations que dut nécessairement lui faire éprouver la différence du génie et du caractère des deux peuples. Les élémens furent transposés ou dénaturés, les inflexions devinrent plus dures et les terminaisons plus sourdes et plus traînantes. Il s'en faut beaucoup qu'on trouve dans la langue latine l'abondance, la hardiesse et la mélodie du langage des Grecs; mais ce qu'elle perdit du côté de l'agrément et de la fécondité, elle le gagna peut-être par la pompe et la magnificence de son style, où se réfléchissent encore l'éclat et la majesté de la république romaine.

Cette langue, après avoir atteint toute sa perfection sous Auguste, dégénéra insensiblement avec l'âme du peuple qui la parlait. La translation du siége du royaume dans le bas-empire, et l'irruption des barbares, en achevèrent la décadence. L'édifice de la langue tomba, et entraîna dans sa chute, et les sciences et les lettres, et les arts et les mœurs, et les lois dont elle était dépositaire. Forcés de recourir à ses ruines, les maîtres du monde y recueillirent un langage plus doux, plus gracieux peut-être, mais dont le manque d'énergie prouvait des hommes dégénérés par l'ignorance et la servitude.

C'est ici qu'il faut placer le berceau de la langue italienne : berceau douteux, perdu dans l'obscurité d'une époque éclipsée par la gloire des siècles précédens.

Si la question de l'origine de la langue italienne n'est pas douteuse quant

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pour le faire; veuillez soumettre à votre analyse le fruit d'études consciencieuses, et si vous pouvez en tirer quelque parti, je vous livre avec grand plaisir un travail qui, sans vous, courrait le risque de mourir aussi obscur qne moi. Je remerciai bien vivement le curé. Je m'emparai de son manuscrit, ou je recueillis d'excellentes choses. Contre ma première opinion, il me donna effectivement l'idée d'ajouter à la relation de mon voyage quelques aperçus sur la langue et sur la musique italiennes. Si donc on trouve dans le travail suivant (que nous avons divisé par paragraphes, pour plus de clarté), quelques vues nouvelles, et une réunion de docu-. mens complets, le lecteur sait d'avance à qui il doit rendre hommage de

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Deux cents ans ne se sont pas encore écoulés depuis que les savans de l'Europe, dédaignant leur siècle et leur langue, ne s'occupaient que de l'antiquité dont ils empruntaient le langage, comme le seul qui fût digne et même capable de répandre et leur ouvrage et leur réputation. On sentit enfin combien il était contraire à la dignité de l'esprit humain de subordonner l'objet aux moyens, et la pensée à la mémoire. On dut être surtout frappé de l'impossibilité qu'il y a de faire passer son âme, sa physionomie, dans la langue d'un peuple dont les mœurs n'existent plus.

On mit à pénétrer et à étendre les ressources de sa propre langue, la

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meilleure partie du temps qu'on employait à l'étude des anciennes. Les hommes de génie auxquels il est donné de renverser et d'établir, osèrent faire parler, dans tous les genres, leur langue naturelle, et les sciences, les lettres et les arts, dont les seuls alphabets de la Grèce et de Rome, avaient été jusqu'alors dépositaires, se présentèrent sous toutes les formes des différens idiômes de l'Europe.

Dès lors le génie, l'esprit et le caractère des peuples, passèrent dans leurs écrits dont la connaissance devint ainsi l'objet le plus digne de l'attention des philosophes et des gens de lettres.

Il n'est pas douteux que la langue la plus propre à faire connaître ces ouvrages ne soit la langue française. Ce que la langue de Virgile et d'Horace obtint des conquêtes du peuple romain, qui, moins jaloux de subjuguer les hommes que de commander à l'esprit humain, mit ses lois dans le cœur, et son langage dans la bouche de toutes les nations de la terre; la langue française semble l'avoir obtenu du consentement universel de l'Europe.

Ainsi, avant qu'Alexandre eût porté la langue grecque dans les vastes contrées que lui fit parcourir son ambition, on la vit se répandre dans plusieurs parties de l'Asie et de l'Europe, où les Grecs n'avaient jamais pénétré. Ainsi des princes barbares qui détestaient et les mœurs et la liberté de la Grèce, s'empressèrent d'apprendre son langage, et se plurent à le parler. Plut au ciel qu'en succédant au bonheur de vulgarité des langues grecque et latine, la nôtre eût les mêmes avantages et les mêmes ressources !

Il n'est pas possible de connaître la langue grecque et d'y réfléchir, sans partager l'enthousiasme avec lequel en ont parlé presque tous ceux qui

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l'ont approfondie. Elle ne fut pas l'ouvrage des dieux, sans doute; mais elle fut admirablement inspirée par eux, à coup sûr, aux hommes les plus heureusement organisés qui aient jamais existé. On dirait que la nature s'était offerte à eux sous ses aspects les plus riches, tant cette langue est l'image fidèle de l'action des objets sur les sens. Des mots qui, par le mélange heureux de leurs élémens, forment ou plutôt deviennent des tableaux, qui s'étendent, se nuancent et se ramifient conformément à la nature; qui, de leur aptitude à s'unir avec une infinité d'autres mots, obtiennent le double avantage de rapprocher, de multiplier les idées, et de devenir en même temps plus majestueux, plus sonores; qui, par la transposition à laquelle ils se prêtent, tantôt procèdent, comme la raison tranquille, tantôt s'élancent, se troublent et se désordonnent comme les passions; des systèmes entiers renfermés, si j'ose m'exprimer ainsi, dans leur sein (voy. le Cratyle de Platon); des combinaisons variées d'où résulte une harmonie enchanteresse, mais dont la partie la plus sensible (les accens) a péri; une marche pleine de mouvemens inattendus; une multitude de formules qui, semblables à ces plantes spontanées qu'on voit embellir et vivifier les corps auxquels elles s'attachent, portent le mouvement et la grâce dans toutes les parties du discours; tels sont les caractères variés de cette langue qui, pour me servir d'une expression déjà heureusement employée, est aux sciences et aux arts ce que la lumière est aux couleurs.

La plupart de ces admirables propriétés se retrouvent dans la langue la tine, qui dut aux Grecs la plus grande partie de ses mots et surtout l'art de les

ordonner. Rome envoyait le plus grand nombre de ses enfans à Athènes, et la bonne société, chez le peuple de Quirinus, affectait de parler en toute occasion la langue des Grecs.

Mais, en passant aux Latins, cette langue subit les altérations que dut nécessairement lui faire éprouver la différence du génie et du caractère des deux peuples. Les élémens furent transposés ou dénaturés, les inflexions devinrent plus dures et les terminaisons plus sourdes et plus traînantes. Il s'en faut beaucoup qu'on trouve dans la langue latine l'abondance, la hardiesse et la mélodie du langage des Grecs; mais ce qu'elle perdit du côté de l'agrément et de la fécondité, elle le gagna peut-être par la pompe et la magnificence de son style, où se réfléchissent encore l'éclat et la majesté de la république romaine.

Cette langue, après avoir atteint toute sa perfection sous Auguste, dégénéra insensiblement avec l'âme du peuple qui la parlait. La translation du siége du royaume dans le bas-empire, et l'irruption des barbares, en achevèrent la décadence. L'édifice de la langue tomba, et entraîna dans sa chute, et les sciences et les lettres, et les arts et les mœurs, et les lois dont elle était dépositaire. Forcés de recourir à ses ruines, les maîtres du monde recueillirent un langage plus doux, plus gracieux peut-être, mais dont le manque d'énergie prouvait des hommes dégénérés par l'ignorance et la servitude.

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aux racines grecques d'où elle est dérivée, cette question est rudement controversée quant à l'époque précise de l'apparition de cette langue sur l'horizon du monde civilisé.

<«<Depuis long-temps, dit M. Ginguené, la langue latine proprement dite n'existait plus dans l'Italie du onzième siècle, et cependant une autre langue n'y existait pas encore. Les étrangers qui remplissaient Rome sous ses derniers empereurs, les Goths et les Ostrogoths qui la conquirent, les Lombards, et après eux les Francs, les Allemands, les Hongrois, les Sarrasins, avaient successivement apporté tant d'altération dans le langage national, que ce n'était plus le même langage. On cherchait encore à l'écrire, on n'écrivait même pas autrement; mais, excepté dans les écoles, on ne le parlait plus, on ne l'y parlait pas, on ne l'écrivait pas savamment. C'était pourtant une langue savante ou plutôt une langue morte. Tous les auteurs antérieurs sont Latins, ou tâchèrent de l'être, et l'on peut dire que, du moins quant au langage, il n'y avait pas encore d'Italiens en Italie. » Comment donc, et de quels élémens se forma cette belle langue, reconnue pour la première des langues modernes, et qui, maintenant fixée depuis cinq siècles par des écrivains demeurés classiques, a pour ainsi dire pris place parmi les anciennes? Occupons-nous de résoudre cet intéressant problème.

Soit qu'il n'y ait eu qu'une langue primitive, dont toutes les autres aient été des dérivations et des produits; soit qu'aux diverses peuplades humaines ait été inspirée une langue devenue particulière à cause des climats et des modifications des organes de l'ouïe et de la parole, et que, par des combinaisons multipliées, divers idiômes se

soient unis, confondus pour donner naissance, après de longs intervalles, à un idiôme spécial, devenu nécessaire lors de la formation d'un peuple nouveau ; il est peu de sujets plus dignes de l'attention du philosophe que ces fo mations, séparations et réunions de langage qui marquent les principales époques de la formation, de la séparation et de la réunion des peuples. Ce n'était pas la première fois que l'Italie subissait une de ces grandes révolutions. L'idiôme latin, que la langue italienne faisait disparaître, avait été, dans une antiquité reculée, le produit d'une révolution pareille. Voici l'idée générale qu'en donne Simon Peloutier dans son Histoire des Celtes.

Lorsqu'à une époque prodigieusement éloignée, les anciens Celtes ou CeltoScythes, dont la langue, si elle n'est pas primitive dans un sens absolu, l'est au moins relativement à presque toutes les langues connues, se furent répandus, d'une part dans l'Asie occidentale, et de l'autre en Europe, ils s'étendirent dans cette dernière partie, les uns au nord, les autres le long du Danube. La postérité de ceux-ci, remontant ce fleuve, arriva ensuite aux bords du Rhin, le franchit, et remplit de ses populations nombreuses tout l'intervalle qui s'étend des Alpes aux Pyrénées et aux deux mers partout la langue des Celtes, se mêlant avec les idiomes indigènes, forma des combinaisons où elle domina sensiblement; et même dans des cantons qu'ils avaient trouvés déserts, ou dont ils avaient fait disparaître les habitans, le celtique se conserva dans sa pureté originelle.

Quelques siècles après, la population, toujours croissante de ces Celtes ou Gaulois, les força de passer et les Pyrénées et les Alpes. En Italie, après

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