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de la presence des montagnes; mais vers la Suisse, ce coup d'œil est fort beau. On suit du regard le cours sinueux du torrent de la Saltine jusqu'au fond de la vallée. Le flanc de la montagne est garni de forêts, de pâturages et de châlets: le clair feuillage des mélèzes contraste avec la verdure des pelouses. Ces montagnes, en s'élevant à gauche et à droite, terminent leurs sommités par des rochers arides et des glaciers, citoyens des nuages. Que de sensations diverses faité prouver ce spectacle inoui de la nature sauvage et de la nature cultivée, des frais gazons au pied des glaces victorieuses du soleil, et dont l'azur se marie à l'azur des cieux !

Bientôt nous parvenons à une hauteur à laquelle les arbres diminuent, languissent, et cessent enfin de végé ter. Ils sont remplacés par le rhododendron qui brave les froids les plus vifs, et se trouve sur les rochers escarpés, à côté des glaces; son bois entretient le feu des châlets éloignés des forêts, et ses fleurs, appelées roses des Alpes, semées avec abondance sur les flancs des montagnes, forment une immense draperie du rose le plus vif, qui contraste avec l'aspect monotone des glaciers et des rochers stériles. Les Hautes-Alpes sont remarquables par la beauté des gazons qui les tapissent. Les gentianes bleues, les saxifrages, le carnilliet moussier à fleurs roses, s'élèvent sur les montagnes à mesure que les glaces se fondent, semblent reculer et suivre les frimas jusque sur leurs sommités, communiquent leurs parfums au lait des troupeaux qui s'en nourrissent, et forment un tissu qui, brillant encore des teintes les plus vives, disparaît sous les neiges de l'automne. Le col du Simplon est élevé de deux mille cinq mètres au-dessus du niveau de la mer.

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En quittant ce point élevé, on passe encore deux galeries, percées à côté de superbes glaciers, qui forment des cascades de l'effet le plus imposant. On trouve ensuite le joli châlet de Berenzaal, qui appartenait au baron de Stockalper, il y a une dizaine d'années. On raconte qu'un des ancêtres de ce seigneur, ayant fait construire des bâtimens sur différentes collines, éveilla les soupçons de ses compatriotes, fort jaloux de leur indépendance; ceuxci le condamnèrent à perdre une partie de ses biens: le baron de Stockalper eut recours à l'adresse; il fit enfouir des sommes au-dessous de l'autel sur lequel on lui avait ordonné de déposer sa fortune, et jura que tout ce qu'il possédait était sous la main qu'il élevait sur l'autel. Je ne sais s'il faut accorder une croyance entière à ce fait qu'on m'a raconté, mais on peut le présumer vrai, d'après une coutume autrefois en usage dans le Valais. Lorsqu'un particulier devenait trop puissant, on exposait aux regards du peuple une masse de bois, où tous ceux qui voulaient se liguer contre celui qui inspirait des craintes venaient enfoncer un clou. La forme de cette masse fut changée dans la suite; on lui donna celle de la figure humaine, et on en ornait la tête de plumes de coq. Les citoyens qui avaient à cœur de soutenir les droits de leur patrie, portaient cette espèce de statue dans un lieu public, ils l'entouraient en lui faisant des questions, et nommaient quelqu'un pour être l'organe de sa volonté. Lorsqu'elle était connue, le plus éloquent de la troupe exhortait le peuple à conserver ses anciennes coutumes, et à défendre la liberté publique. On fixait le jour de l'exécution, et si le malheureux contre lequel l'orage se préparait n'avait soin d'apaiser la fureur du peuple, ou ne se mettait

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Voici comment on raconte cette histoire. Il s'agissait de traverser le Simplon et d'occuper le pas d'Yxelle. Des chutes de neige et de rochers avaient emporté un pont; le chemin se trouvait interrompu par un abîme de soixante pieds de largeur. Un volontaire s'offrit intrépidement pour essayer de faciliter le passage. Il entra dans les trous de la paroi latérale qui servaient auparavant à recevoir les poutres du pont, et, en s'aidant de ces ouvertures, dont la partie inférieure était assez rapprochée, il arriva heureusement sur l'autre bord du précipice. Une corde qu'il avait apportée fut fixée des deux côtés du rocher. Le général Béthencourt passa le second, en se suspendant à la corde tendue au-dessus de l'abîme. Les mille soldats le suivirent, chargés de leurs armes et de leurs hâvre-sacs.

Cinq chiens suivaient le bataillon. Ces pauvres animaux se précipitèrent tous à la fois dans l'abîme. Deux seulement eurent la force de lutter contre le torrent, et d'atteindre le haut du précipice, où ils arrivèrent tout sanglans aux pieds de leurs maîtres.

A peu de distance de ce lieu, la route

va chercher dans le fond d'une vallée le beau pont de Ganther, établi sur la jonction de deux torrens, et dont l'architecture élégante est d'un effet charmant au milieu des bois qui l'environnent (Pl. 290). Une pente insensible conduit le voyageur jusqu'au pont de la Saltine, où il arrive enfin après avoir remarqué à droite et à gauche de la route une foule de petits oratoires où les habitans vont en pèlerinage.

De distance en distance, tout le long de la route, et à proximité des points les plus dangereux dans la mauvaise saison, on a bâti des maisons de cantonniers servant de refuge aux voyageurs. Dans la partie française, elles peuvent contenir de huit à dix chevaux et de trente à quarante hommes elles sont beaucoup plus vastes dans la partie qui regarde l'Italie.

Le pont couvert de la Saltine est le dernier ouvrage remarquable que l'on trouve avant d'arriver à Gliss, village peu éloigné de la cité de Brieg. Tout ce trajet demande environ douze heures de traversée, de traversée, et pendant ce temps on a dû franchir vingt-deux ponts et sept galeries ou voûtes percées dans l'intérieur des rochers.

Telle est la route du Simplon, que Napoléon fit ouvrir en 1801 (20 fructidor an vIII), sur une ligne de plus de vingt lieues. Le général Thureau fut nommé commissaire spécial de cette opération que l'hiver si rigoureux dans ces contrées, ne put empêcher. On employa jusqu'à trois mille ouvriers par jour; et cent soixante mille quintaux de poudre (seize millions de livres pesant) suffirent à peine pour miner les rochers. Cinq ans après, la route fut terminée aux frais de l'Italie et de la France, et les chevaux, les voitures mêmes les plus chargées, purent la parcourir sans accident mal

gré les avalanches du printemps, les profonds abîmes qui bordent le chemin, les rochers énormes qui s'élèvent à pic, et les torrens qui se précipitent de toutes parts avec un fracas assourdissant. Honneur aux ingénieurs fran

çais et italiens qui surent si bien remplir les intentions du grand empereur! Si les puissans de la terre ne concevaient jamais que de semblables projets, il faudrait partout se prosterner sur leurs pas!

GLISS. —LANGUE ET MUSIQUE ITALIENNES. FIN DU VOYAGE.

Au sortir du Simplon, nous nous arrêtâmes quelques jours à Gliss ou Glyss, petit village du Valais. Le curé du lieu nous accueillit avec la plus aimable hospitalité. De ses fenêtres nous pouvions apercevoir l'église qu'il desservait. Ce monument, qui est fort orné, fut jadis enrichi par un seigneur nommé Georges de Supersax. Le pasteur nous dit qu'on voyait, il y a déjà un assez grand nombre d'années, une peinture représentant le seigneur, de Supersax, avec son épouse, ses douze fils et ses onze filles. L'inscription qui accompagnait le tableau était vraiment d'une simplicité remarquable

<«< En l'honneur de sainte Anne, George de Supersax, chevalier, a fondé cette chapelle en 1516; a élevé un autel et l'a enrichi; en reconnaissance des vingt-trois enfans que son épouse Marguerite lui a donnés. >>

Pendant mon séjour à Gliss, je m'avisai de communiquer au pasteur les notes que j'avais recueillies pendant nos longues excursions. Après m'avoir donné quelqu'avis sur différens sujets, il s'écria tout à coup : « Je vois bien dans tout cela, me dit-il, de quoi faire un livre sur les monumens et les sites, sur les habitans et sur les mœurs des diverses contrées de l'Italie, mais je ne trouve aucun document propre à

instruire vos lecteurs futurs, sur la question de la langue et de la musique italienne! Ce sont là, cependant, des matières intéressantes s'il en fut jamais.-Sans doute, répondis-je, mais on les a tant de fois résolues! que dire de nouveau? Laissez, croyez-moi, les amateurs de la langue italienne consulter les ouvrages des philologues; quant à la musique, n'avons nous pas la salle Favart, dont les mélodies valent mieux, après tout, que les plus savantes dissertations sur la musique des descendans de Pergolèse, de Cimarosa?-Plaisanter n'est pas raisonner, reprit gravement le vénérable pasteur, que ce mot de théâtre semblait choquer. y a du nouveau à dire sur ces deux questions, ne fût-ce qu'en résumant d'une manière claire, méthodique et rationnelle les travaux de nos prédécesseurs. Tenez, dit-il, en tirant d'une armoire un assez volumineux manuscrit, voici le fruit de mes observations. Sans être un grand philologue ni un musicien habile, j'ai cependant écrit sur la langue et sur la musique italiennes. J'ai lu et relu une bonne partie des auteurs, tant anciens que modernes, qui ont traité ces matières. J'ai comparé, analysé, commenté. A votre tour, si toutefois vous avez assez de temps et de complaisance

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