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Érigée en municipe, puis en colonie, Turin éprouva d'abord le sort de l'empire romain. Saccagée par les Goths sous Alaric, au commencement du cinquième siècle, elle fut munie d'un mur declôture dont il reste des vestiges. Elle commença à se réparer sous le règne des Lombards, et sous celui d'Agilulph et de Théodolinde, princesse qui jeta les fondemens de la cathédrale. Après la chute des Lombards, en 773, elle tomba entre les mains de Charlemagne et fit partie de son royaume d'Italie; par la suite elle fut comprise dans la marque de Suse. Des mains d'Adélaïde, dernier rejeton du marquis de Suse, elle échut à Odon, fils de Humbert, comte de Maurienne et de Savoie.

De cette époque date la toute puissance des comtes de Savoie en Piémont. Les bornes de cet ouvrage ne nous per

mettent pas d'entreprendre l'histoire. fort étendue de ces princes. Nous examinerons simplement la part que Turin a prise aux différentes révolutions du pays dont elle est la capitale. Plus d'une fois elle a été assiégée dans ces derniers siècles; elle le fut en 1536 par François Ier, qui s'empara de tous les états du duc de Savoie : les historiens nationaux disent que l'ambition de François Ier fut la seule cause de cette guerre, dont il donna pour prétexte l'usurpation du comté de Nice et la succession de Louise de Savoie, sa mère.

La ville de Turin fut prise encore par les Français en 1640: ce siége est un des événemens du ministère de Richelieu; il fut précédé de deux batailles, et le prince Thomas de Savoie, malgré tous ses efforts, ne put forcer les lignes du comte d'Harcourt, qui commandait les troupes françaises, ni lui faire lever le siége. Ce comte d'Harcourt, qu'on avait appelé le cadet de la Perle, parce qu'il était le cadet de la maison de Lorraine, et qu'il portait une perle à l'oreille, fut appelé par les dames de Turin la Perle des cadets.

Mais le siége le plus mémorable qu'ait souffert la ville de Turin est celui de 1706, qui a donné lieu à la construction de la belle église appelée la Superga.

Après que le duc de Vendôme eût gagné les batailles de Cassano et de Casinato, il ne lui restait plus qu'à prendre Turin pour être maître du Piémont. Le duc de la Feuillade, fils du maréchal de même nom, y commanda le siége sous le duc d'Orléans, à la tête de soixante mille hommes, et Chamillard, son beau-père, ministre de la guerre, fit des dépenses énormes pour håter le succès de l'entreprise; le duc de Savoie sortit de la ville et échappa aux Français; le prince Eu

gène vint au secours de Turin, et, le 7 septembre 1706, il traversa la citadelle pour attaquer les endroits faibles du camp; il força les retranchemens du maréchal de Marsin, à qui la cour avait défendu d'aller au devant des ennemis, et qui fut obligé de les attendre, dans des circonstances où il lui eût été bien plus utile d'attaquer; ce fut la cause de sa défaite et de sa mort : cet événement était d'autant plus douloureux, que les Français, campés sur la hauteur des Capucins (1), étaient placés d'une manière favorable, et dominant tous les avaient assez d'avantage pour être moralement sûrs du succès. Au reste, la perte des Français ne fut pas de plus de deux mille hommes; mais la dispersion de l'armée entraîna la levée du siége. On prétend qu'un Piémontais, en faisant remarquer à un Français la beauté de l'édifice de la Superga, lui disait : « Il faut que la défaite des Français ait été terrible pour occasioner un si grand monument d'actions de grâces. Non, répartit le Français, il faut que ce soit la peur des assiégés, car le vœu a dû précéder la défaite. »

environs,

A l'époque de la révolution française, les Piémontais formèrent l'avantgarde de la coalition continentale: ils avaient été les premiers à entrer en France. Chassés de la Savoie, ils continuèrent à résister dans les alpes italiennes, et ce ne fut qu'à la dernière extrémité que Turin se rendit. Le roi de Piémont, Victor-Emmanuel, se

(1) La vue de la planche 270 est prise de ce point. La ville se voit tout entière dans la plaine, ét la chaîne des alpes de Suisse et de Savoie forme le fond de la décoration de cet immense paysage. Dans la planche 274, le spectateur est placé vers le pont du Pô, et il a en perspective le joli coteau, le Couvent des Capucins, la vigne de la Reine et une infinité de maisons de oampagne. La Superga (Pl. 277) est située à la gauche sur la continuation de ee coteau.

retira en Sardaigne pour attendre que le torrent de la conquête française eût abandonné ses états de terre ferme..

Bonaparte sut faire accompagner sa victoire d'une réforme impérieusement réclamée par ses nouveaux sujets, et si quelques intérêts particuliers furent choqués par la réorganisation du Piémont; si quelques nobles murmurèrent; si quelques membres du clergé fulminèrent un anathème impuissant contre les lauriers du général français. la prospérité générale adoucit graduellement la désapprobation individuelle.

Mais lorsqu'en 1815 le colosse qui avait imposé ses lois à l'Europe entière tomba de sa cime élevée, et roula jusqu'à Sainte-Hélène, les rois sortirent de leur retraite, et les institutions anciennes tendirent tour à tour à reprendre leur influence première. Le roi de Piémont, après une émigration de quinze ans, reparut à Turin.

Le Piémont est un des pays qui ont tiré le plus d'avantages de la révolution. Une éducation européenne s'étend maintenant à tous les rangs : le noble, le bourgeois, le soldat, participent également à ses bienfaits, et les résultats qu'elle a produits se reconnaissent dans la société privée de Turin, et dans les efforts de chacun pour fonder des établissemens utiles au bien public. Qu'on ne s'attende pas, d'ailleurs, à trouver ici des mœurs, un langage et un costume particuliers, comme dans telle ou telle autre ville d'Italie. L'habitude de copier la cour de France, les alliances entre cette cour et la maison de Savoie, la proximité des deux pays, a produit, surtout dans ces derniers temps, une conformité d'usages, telle qu'on rassemblerait difficilement dans le Piémont assez

de traits distincts pour former une physionomie vraiment originale.

Mais en revanche il est tel monument de Turin dont le caractère est tout-à-fait spécial, il est tel point de vue qu'on ne saurait comparer à

aucun autre.

Ainsi, par exemple, l'impression produite par le spectacle des merveilles de la colline des Capucins, augmente encore lorsque les yeux se dirigent vers le pont élevé sur le Pô. Il est difficile, en effet, de n'être point frappé de la vue de ce monument, qui attestera long-temps le séjour des des Français en Piémont au commencement du dix-neuvième siècle. Ce noble édifice a été entrepris en 1810, sur les dessins de l'ingénieur en chef Pertinchant. La belle corniche du pont, l'aspect majestueux des arches, et le développement des trottoirs et des parapets, ont quelque chose d'imposant qui retrace la grandeur des édifices bâtis par les anciens. En face du pont on voit s'élever le beau temple dédié à la Vierge, que la ville a décrété par une délibération prise, afin de perpétuer le souvenir du passage du roi Victor-Emmanuel lors de son retour en Piémont. Quelle que soit la solidité de ce pont sur le Pò, l'on doit regarder comme l'un des garans de sa durée la belle digue qui, en forçant les eaux à se rejeter dans le canal qui les amène au moulin de Notre-Dame du Pilon, a aussi l'avantage de conserver fixe le régime du pont, en ménageant la chute des eaux, quelle que soit leur crue occasionée par les pluies. D'ailleurs cette digue a ouvert sur les bords du canal, une promenade enchanteresse, par sa variété et la nature de ses accidens. Avant de quitter le lieu où nous sommes, reportons encore nos yeux

sur la campagne environnante et sur le monastère des Capucins, dont le mérite se perd dans la magnificence des sites environnans. Ému de tout ce qu'on vient d'admirer, on contemple avec une sorte de rêverie la flèche de l'église du couvent, car la méditation s'attache volontiers aux objets religieux. Trop heureux si quelque cicérone maladroit ne termine point tout à coup cette contemplation pour s'écrier mal à propos que l'église des Capucins a été fondée par Charles-Emmanuel le Grand, que la reine Christine de Suède assista le 22 octobre 1656 à la dédicace de l'église.

et

Dans les environs de la riante colline qui ondule autour de Turin, nous trouvons la Vigne de la Reine (Pl. 277). Ce palais a pris ce nom après avoir été le lieu de délices de la reine Marie-Anne d'Orléans, femme du roi Victor-Amédée 11. Bâtie par le cardinal Maurice de Savoie, avant son mariage avec la princesse Louise, sa nièce, cette maison fut appelée d'abord villa Ludovica. Elle est projetée en amphithéâtre, avec des alentours délicieux, et fait face en dehors de la ville, à la rue du Pô. On monte à la Vigne de la Reine par de doubles rampes et des escaliers, doubles aussi, qui aboutissent à la grande salle d'entrée.

Cette retraite, moitié ornée, moitié négligée, offre un mélange bizarre d'abandon et de magnificence : ses colonnes ioniques, ses plafonds dorés et ses murailles peintes à fresque, contrastent avec un ameublement beaucoup trop modeste. « Nous vîmes dans la chambre de sa majesté, dit lady Morgan, une commode vermoulue, près d'un cabinet orné de pierres précieuses, et à côté d'un soubassement de marbre, un vieux sopha, sur lequel

la lassitude elle-même aurait refusé de s'asseoir. Une suite de portraits de la famille royale actuelle semblait avoir été peinte par la main qui exécuta les sept miss Flamborougg, avec leurs sept oranges, ainsi qu'on le voit dans le roman de Goldsmith..

Le jardin de la Vigne de la Reine est bien distribué, et, sans offrir rien d'extraordinaire dans ses compartimens, on ne peut le parcourir sans éprouver un vif plaisir causé par la beauté de la situation de cette royale demeure.

Certes, on éprouve une émotion bien plus vive encore, lorsqu'au sommet de la colline, qui porte le monastère des Capucins, et la vigne de la reine, on aperçoit la belle église de la Superga (Pl. 277). Elle tire son nom de l'emplacement élevé qu'elle occupe super terga montium « sur le dos des monts ». La Superga est un monument de la reconnaissance du roi Victor-Amédée envers une madonne révérée dans le pays, et l'accomplissement de la promesse qu'il lui fit, lors du siége de Turin par les Français en 1706 ( ainsi que nous l'avons dit), de lui ériger un beau temple si elle les obligeait à lever le siége. Qu'elle s'en soit mêlée ou non, le siége fut levé, et l'église a été bâtie sur le plan le plus noble, et dans la plus heureuse position; Dominique Juvara en fournit les dessins; c'était le Perrault du Piémont. Le portique de la Superga est orné de belles colonnes d'un marbre rouge et blanc, qui a le défaut de se décomposer; on a été obligé de regarnir les vides avec des morceaux rapportés. Les caveaux de cette église sont consacrés aux tombeaux de la famille royale, et ces tombeaux n'ont pas éprouvé le sort de ceux de SaintDenis. Au reste, dit M. Valery, les caveaux modernes de ce Saint-Denis Sa

voyard, tout plaqués de marbre blanc, jaune et vert, m'ont paru sans majesté, sans tristesse; les bizarres ornemens de cette architecture, malgré la richesse des matières, ne valent point nos tombeaux des rois. Les voûtes de pierre, les souterrains, noircis par le temps, des vieilles basiliques, conviennent bien davantage à ces sanctuaires de la mort. Dans un caveau à part se trouvent les restes des enfans et des princes de la famille royale qui n'ont point régué : les premiers vécurent un petit nombre de jours dans l'innocence; les seconds purent être honoréset bienfaisans; ces deux classes de princes ont été heureuses d'avoir échappé à la couronne. Ce petit trône de Savoie est au reste celui qui compte le plus d'abdications. On dirait que ces rois des Alpes, ces souverains de glaces et de rochers, dont les états sont le plus rapprochés du ciel, éprouvent plus facilement le dégoût de la terre.

Rentrons maintenant dans la ville, dont nous nous sommes éloignés pour visiter tous ces beaux monumens qui ornent la partie orientale de Turin. Repassons rapidement le pont du Pô et la place du même nom (Pl. 276). Cette place, que nous connaissons déjà, se nomme encore place de la venue du Roi, et sert de promenade. On y jouit d'une vue peu étendue, mais très-riche sur la colline que nous venons de quitter. A cette promenade vient aboutir celle du rempart, ombragée par de beaux chênes, arbres aussi rarement employés dans les promenades des villes qu'ils sont communs dans les campagnes.

Des faubourgs mal bâtis ou des murailles ruinées ne défigurent point les entrées de Turin. Les rues sont spacieuses, propres, alignées; elles se croisent à angles droits, et vont la plupart d'un

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