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une petite gloire à un particulier d'avoir fait ériger un de ces bâtimens religieux, pour les frais desquels les peuples se cotisent ordinairement en commun, de même qu'ils vont en commun y offrir à Dieu leurs vœux et leurs prières. Les ornemens sont ménagés avec goût; la disposition en forme de croix grecque est belle et grandiose. Cette église, enrichie des chefs-d'œuvre du Puget, est située au haut d'une colline, d'où la vue plane au loin sur la mer et sur tout l'amphithéâtre de Gênes. Ce qui distingue plus particulièrement cet édifice, c'est un pont de plusieurs arches, placé devant la principale entrée (Pl. 266), et qui joint la colline de Carignan à celle de Sarzano. Il a été construit aux frais d'un particulier descendant des fondateurs de l'église. Sa hauteur est telle, que toutes les maisons de six à sept étages qui se trouvent au-dessous, n'en atteignent pas la hauteur; ce monument gigantesque se nomme le pont Carignan

L'église métropolitaine de SaintLaurent (Pl. 267), dont la fondation remonte aux premiers siècles de notre histoire, porte l'empreinte de son ancienneté. Cette basilique ne fut pas toujours la cathédrale de Gênes. Une vieille église, celle de Saint-Ciro, restaurée depuis peu, et construite au troisième siècle, eut d'abord cet honneur. L'architecture de Saint-Laurent est gothique, et le bâtiment est orné extérieurement de bandes superposées de marbre noir et blanc. Le portail, comme celui de Notre-Dame de Paris, se compose de trois portes, qui donnent entrée dans autant de nefs. Saint-Laurent est célèbre, parce qu'il renferme une des reliques les plus vénérées des chrétiens, le sacro-catino, assiette en émeraude,

sur laquelle on prétend que Notre-Seigneur mangea son dernier souper. « Cette assiette, dit lady Morgan, avait été enlevée par les croisés quand ils prirent Césarée en Palestine, sous la conduite de Guillaume Embriaco, au douzième siècle. Dans le partage des dépouilles, cette émeraude tomba aux croisés génois, en la sainte vocation desquels il entrait évidemment quelque chose de leurs anciennes inclinations mercantiles: ils estimaient si haut le prix profane de ce trésor, que dans un moment pressant ils l'engagèrent pour neuf mille cinq cents livres. Quand il eut été dégagé, on le mit sous la garde de chevaliers d'honneur, appelés clavigeri, et on ne le montra qu'une fois par an. Des millions de personnes se prosternèrent devant cette relique précieuse; et l'amende imposée à la main hardie qui osa la toucher avec un diamant fut de mille ducats d'or. Les Français s'en emparèrent, comme les croisés l'avaient fait dans le douzième siècle; mais au lieu de la transporter de l'église San-Lorenzo à l'abbaye de Saint-Denis (selon les règles), ils l'envoyèrent très- sacrilégement dans un laboratoire. Au lieu de la soumettre avec son histoire traditionnelle à un concile de Trente, ils la firent passer à l'institut de Paris; et les chimistes, les géologues, les physiciens, furent appelés à décider du sort de cet objet sacré, que des évêques, des prêtres, des diacres, avaient déclaré trop saint pour l'examen, ou même pour l'attouchement humain. Le résultat de ces recherches scientiques fut que l'assiette d'émeraude était tout simplement un morceau de verre. »

A ces lazzis philosophiques de lady Morgan, nous pourrons répondre avec M. Valery Eh! qu'importe qu'au lieu d'être d'émeraude, le sacro-catino

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ne soit plus que de verre de couleur! qu'il n'ait jamais été donné à Salomon par la reine de Saba, ou qu'il n'ait point servi à Notre-Seigneur pour la cène! ce plat de verre ne rappelle pas moins la foi et la bravoure des Génois du moyen âge, qui, après avoir reçu la communion, escaladèrent les remparts de Cé sarée avec les seules échelles de leurs galères, sans attendre les machines de siége. Il ne rappelle pas moins ce consul génois arrivé le premier sur la brèche et s'y défendant seul l'épée à la main comme un autre Alexandre. Ces souvenirs de gloire, de religion et de liberté suffisent à mon âme, et je n'en demande point d'autres.

Pour compléter ce que nous avons à dire sur le sacro-catino, ajoutons cette petite anecdote que nous tenons de bonne source : Une loi de 1476 punissait de mort, dans certains cas, ceux qui toucheraient la relique sacrée avec de l'or, de l'argent, des pierres, du corail ou quelqu'autre matière « afin, disait cette loi, d'empêcher les curieux et les incrédules de faire un examen pendant lequel le catino eût pu souffrir quelqu'atteinte, ou même être cassé, ce qui serait une perte irréparable pour la république de Gênes.» M. de la Condamine, emporté par sa curiosité naturelle et par sa curiosité de savant, avait caché un diamant sous la manche de son habit, afin de chercher à éprouver la dureté du catino; mais le moine qui le montrait s'en aperçut, et le releva à temps pour M. de la Condamine, qui se serait fort mal tiré d'affaire, et qui sans doute, avait oublié la loi de 1476.

Retournons dans la rue Balbi, pour visiter le palais de l'université. Les portiques, les colonnes, les escaliers de marbre de ce bel édifice le font

bien plutôt ressembler à un palais de l'Orient qu'à un collége. Sans doute le vestibule (Pl. 267) est trop petit en raison de la grandeur de l'édifice; mais l'architecte Barthélemi Bianco a si adroitement placé deux grands lions en marbre sur le troisième degré, que l'on s'occupe uniquement d'admirer ces beaux morceaux de sculpture, sans remarquer le défaut que nous venons de signaler. Il est impossible, en parcourant les différentes parties de ce monument, de n'être point frappé des magiques effets produits par l'heureuse répartition et la vivacité de la lumière. Les salles des diverses classes sont ornées de tableaux, dont plusieurs appartiennent aux meilleurs. maîtres génois.

Le plus bel ornement de la rue Neuve, où nous entrons au sortir de la rue Balbi, est l'ancien palais TursiDoria, nom d'une noble famille génoise. Ce palais est habité par la reine, princesse de la maison d'Autriche, et veuve du défunt roi Victor-Emmanuel de Sardaigne. Rien de plus élégant, de plus léger que les galeries à jour qui forment les ailes de la façade : les murs, les colonnes, les vestibules et les péristyles sont tous en marbre blanc. Cette demeure est vraiment royale: on la nomme quelquefois palais de la reine douairière (Pl. 268).

Prolongeons notre course jusqu'à la place qui porte le surnom poétique de fontaine d'Amour. Nous verrons en cet endroit l'élégante petite villa du noble Génois Negroni. Cet édifice, dont le nymphée, situé au fond de la cour, est du plus charmant effet, possède peut-être la salle la mieux peinte de la ville. Dominique Barodie est l'auteur des peintures de cette galerie consacrée au souvenir des vertus et de la gloire de la famille Negroni,

P.

pro

Près de cette villa se trouve la menade publique de l'Acqua-Sola dont le casino Negroni est l'un des ornemens les plus pittoresques (Pl. 268). En général, la ville de Gênes manque de belles promenades; mais si l'on fait attention aux difficultés qu'on a dû surmonter pour trouver l'emplacement nécessaire à bâtir la ville, soit en comblant une partie du port, soit en transportant sur des lieux élevés les matériaux de construction, on concevra sans peine qu'il était difficile d'obtenir sur un sol ingrat et inégal des promenades agréables et ombragées. Cependant l'Acqua-Sola, qui est un véritable jardin, mérite les plus grands éloges. Il faut en effet remarquer la hardiesse et l'idée de créer une plate-forme aussi vaste sur un terrain inégal comme celui de Gênes; au reste, le choix du local ne pouvait être meilleur. Des points de vue imposans, agréables et variés, en font l'ornement. D'un côté la mer, le chantier, le Lazaret et les fortifications de la ville; de l'autre, des palais rapprochés et élégans; en face, la riante colline d'Albaro, s'élançant hors du fond majestueux de l'Apennin, dont les crêtes couronnent en partie l'horizon, bordé par le rocher de Porto-Fino, qui plonge dans la Méditerranée. Enfin, des accès faciles concourent à faire de ce lieu une promenade délicieuse.

L'Acqua-Sola est très-fréquentée, et nous trouverons là d'excellentes occasions d'observer les allures des Génois et surtout des Génoises. En général elles ont bonne façon. Elles portent un ample voile blanc, nommé mezzaro qui leur cache une partie du visage, et qui les enveloppe pres

que de la tête aux pieds. Sous ce voile elles paraissent toutes charmantes. Les nobles Génoises abandonnent au peu

ple les ornemens d'or et les bijoux. Aussi voit-on les femmes du peuple se charger, même les jours ouvriers, d'une incroyable profusion de pierreries, de perles et de corail. Un orfèvre de cette ville assurait à lady Morgan qu'à présent encore, une paysanne, qui fait son trousseau de noces, ne trouve point trop cher un collier ou une chaîne de sept à huit cents francs.

Voici d'ailleurs sur la société gé noise quelques observations dues à M. Simond, qui m'a paru avoir fait une analyse à la fois spirituelle et impartiale des mœurs génoises : « Je crois pouvoir avancer que les femmes ont ici en général l'esprit plus cultivé, et sont par conséquent plus agréables que dans le midi de l'Italie. Celles que j'ai eu occasion de voir parlaient bien français et anglais. J'en pourrais signaler plusieurs qui avaient le teint des femmes du Nord, ainsi que les manières. J'ai lieu de croire qu'elles étaient irréprochables du côté des mœurs, et que si elles avaient des cavalieri serventi ou patiti, leurs soins étaient tout-à-fait gratuits. Nous autres gens du Nord, accoutumés que nous sommes à faire quelque chose, nous ne concevons pas qu'on puisse ainsi se dévouer sans motif précis, et nous ne prenons pas garde que le célèbre far niente des Italiens est pour eux un objet important, lequel se trouve ainsi parfaitement rempli. Les nobles Génois, dans la société familière, mettent souvent entre eux de côté les titres, et s'appellent simplement par leur nom de baptême, ce qui a un air d'intimité dont l'impression est agréable. Les titres, au reste, ne dérivant d'aucun fief ou même d'aucune propriété territoriale, peuvent bien leur paraître à eux-mêmes de peu de valeur, Leur fortune étant

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