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édifice, c'est la grande salle, dite il Salone, qui a trois cents pieds de long sur cent de large et autant de hauteur. Son immense voûte en bois n'a pas d'autres soutiens que les murs sur lesquels elle est posée. Cependant les tremblemens de terre, qui se sont faits sentir à différentes époques à Padoue, ne l'ont point renversée ni endommagée.

Cette salle était autrefois une sorte de change ou bazar, où l'on venait acheter des articles de luxe étranger.

On dit aussi qu'elle a été la grande salle du tribunal. Quoi qu'il en soit, elle est depuis long-temps dans un tel état de délabrement, qu'elle n'est plus d'aucun usage; toutefois, on la répare en ce moment pour en faire une salle de justice. Les épaisses murailles sont couvertes de peintures à fresques fort anciennes, et dont plusieurs sont de Giotto, retouchées en 1762 par Zannoni; au fond de la salle, contre le mur, à droite du siége gothique du président, se voit une inscription antique et un monument assez mesquin, élevé à la mémoire de Tite - Live, né dans Padoue.

La pierre (Lapis vituperii), vue par Addison à l'hôtel-de-ville, et par laquelle tout débiteur était délivré des poursuites de ses créanciers, lorsqu'après y avoir été assis, nu, trois fois par les sergens, la balle pleine de monde, il jurait n'avoir pas cinq francs vaillant, est aujourd'hui au salon. C'est une espèce de sellette de granit noir, qui n'est point du tout usée; il y avait vingt-quatre ans que cette coutume ne s'était pratiquée lors du voyage d'Addison, en 1700. A l'intrépidité avec laquelle certains débiteurs de notre temps montrent leurs visages, on peut très-bien croire que, si la même pierre existait à Paris, ils ne L.

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rougiraient guère de montrer le reste, et qu'elle servirait bien davantage. De pareilles pierres existaient, au moyenâge, dans diverses villes de l'Italie, telles que Vérone, Florence, Sienne; il n'y avait de différence que dans le cérémonial. Lippo a mis dans l'enfer burlesque de son Malmantile, les dames florentines qui, pour la dépense de leur toilette, avaient conduit leurs maris sur la pierre des débiteurs. A. Sienne, ces débiteurs faisaient pendant trois matins le tour de la place à l'heure où sonnait la cloche du palais; ils étaient accompagnés de sbires, et presque entièrement nus; le dernier jour, en frappant la pierre comme les débiteurs de Padoue, ils disaient les paroles suivantes exigées par la loi :

« J'ai consumé et dissipé tout mon » avoir, je paie mes créanciers de la » manière que vous voyez. » Cet usage, malgré sa bizarrerie, était au fond assez raisonnable; c'était un moyen d'échapper à ces éternels prisonniers pour dettes, embarras de notre civilisation et de notre jurisprudence; et une telle publicité, à la fois mêlée de ridicule et de honte, valait peutêtre mieux que certains de nos arrêts, pour déclarer les gens insolvables.

Les diverses églises de Padoue sont ses premiers et ses plus intéressans monumens. Le dôme, achevé dans le siècle dernier, est d'une architecture médiocre. On y voit entre autres tableaux, une Vierge du Giotto, donnée par Pétrarque, qui regardait ce morceau comme un chef-d'œuvre de l'art.

Saint Antoine de Padoue est un des plus grands saints du calendrier, et son église, il Santo, une des plus brillantes d'Italie. En effet, saint Antoine fut le thaumaturge de son siècle; il naquit a Lisbonne, l'an 1195; entra dans l'ordre de Saint-François, qui

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commencait a devenir celebre, précha. en Italie avec tant de succès, fit tant de conversions et de miracles, qu'étant morten 1231. à l'âge de trente-six ans, il fut canonisé l'année suivante.

Casanova rapporte qu'a Padoue l'on croit que saint Antoine fait trente miracles par jour : la quantité de ses messes ne doit pas surprendre; elle est si considérable qu'il n'y a point as sez d'autels pour les célébrer, ni de prétres pour les dire, et qu'une bulle du pape autorise le chapitre à dire, vers la fin de l'année, certaines messes qui comptent pour mille, seul moyen d'acquitter cette sorte d'arriéré.

L'église du patron de Padoue (Pl. 208) fut commencée en 1255, par Nicolas Pisano, et terminée en 1307. Sa construction, un peu orientale, offre six coupoles. Mais, ce qui me frappa surtout, ce fut de voir dans l'intérieur de la basilique quatre orgues extraordinaires, auxquelles quarante personnes sont constamment employées. Il est impossible de parler de musique sans citer le nom du célèbre Joseph Tartini qui, pendant plus de trente ans, demeura attaché à l'église de Padoue. Tout le monde sait aujourd'hui grâce à M. Delalande, comment ce violoniste célèbre, d'une imagination et d'une organisation toute musicale, composa sa fameuse sonate du diable: « Une nuit, en 1713 (c'est Tartini lui-même qui parle), je rêvais que j'avais fait un pacte, et que le diable était à mon service; tout me réussissait à souhait, mes volontés étaient toujours prévues, et mes désirs toujours surpassés par les services de mon nouveau domestique; j'imaginai de lui donner mon violon pour voir s'il parviendrait encore à me jouer de beaux airs. mais quel fut mon étonnement lorsque j'entendis une sonate si singu

lière et si belle, exécutée avec tant de supériorité et d'intelligence, que je n'avais même rien conçu qui pût entrer en parallèle. J'éprouvais tant de surprise, de ravissement, de plaisir, que j'en perdais la respiration : je fus réveillé par cette violente sensation; je pris à l'instant mon violon, espérant de retrouver une partie de ce que je venais d'entendre; mais ce fut en vain: la pièce que je composai pour lors est à la vérité la meilleure que j'aie jamais faite, et je l'appelle encore la sonate du diable; mais elle est si fort au-dessous de ce qui m'avait frappé, que j'eusse brisé mon violon et abandonné pour toujours la musique si j'eusse été en état de m'en pas

ser. »

Je ne m'arrêterai pas à énumérer les tableaux ou les fresques qui ornent dans il Santo, la chapelle de SaintAntoine, ou celle du Saint - Sacrement; je ne parlerai ni du chœur ni de son magnifique candelabre de bronze, d'André Riccio, ouvrage qui coûta dix années de travail à l'artiste. Qu'il suffise au lecteur de savoir que les pinceaux de Sansovino, de Pierre Liberi, et le burin de Donatello, et d'une foule d'autres artistes célèbres, ont concouru à enrichir cette église. Avant de la quitter, allons voir au trésor SaintAntoine, la langue encore vermeille du saint. On montre aussi le recueil de ses sermons, corrigé par lui, et dont l'écriture est lisible et même élégante. Nous voici arrivés à la porte: n'accorderons-nous point un regard à la sépul ture de ce jeune Français de vingt ans, Arminius d'Orbesan, dont l'épitaphe est si touchante:

N'arrose de tes pleurs ma sépulcrale cendre, Puisque un jour éternel d'un plus beau royaume luit, Mais bénis le cercueil, où tu as à descendre;

Car il n'est si beau jour qui ne mène sa nuit.

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commençait à devenir célèbre, prêcha. en Italie avec tant de succès, fit tant de conversions et de miracles, qu'étant mort en 1231, à l'âge de trente-six ans, il fut canonisé l'année suivante.

Casanova rapporte qu'à Padoue l'on croit que saint Antoine fait trente miracles par jour : la quantité de ses messes ne doit pas surprendre; elle est si considérable qu'il n'y a point assez d'autels pour les célébrer, ni de prêtres pour les dire, et qu'une bulle du pape autorise le chapitre à dire, vers la fin de l'année, certaines messes qui comptent pour mille, seul moyen d'acquitter cette sorte d'arriéré.

L'église du patron de Padoue (Pl. 208) fut commencée en 1255, par Nicolas Pisano, et terminée en 1307. Sa construction, un peu orientale, offre six coupoles. Mais, ce qui me frappa surtout, ce fut de voir dans l'intérieur de la basilique quatre orgues extraordinaires, auxquelles quarante personnes sont constamment employées. Il est impossible de parler de musique sans citer le nom du célèbre Joseph Tartini qui, pendant plus de trente ans demeura attaché à l'église de Padoue. Tout le monde sait aujourd'hui, grâce à M. Delalande, comment ce violoniste célèbre, d'une imagination et d'une organisation toute musicale, composa sa fameuse sonate du diable: « Une nuit, en 1713 (c'est Tartini lui-même qui parle), je rêvais que j'avais fait un pacte, et que le diable était à mon service; tout me réussissait à souhait, mes volontés étaient toujours prévues, et mes désirs toujours surpassés par les services de mon nouveau domestique; j'imaginai de lui donner mon violon pour voir s'il parviendrait encore à me jouer de beaux airs. mais quel fut mon étonnement lorsque j'entendis une sonate si singu

lière et si belle, exécutée avec tant de supériorité et d'intelligence, que je n'avais même rien conçu qui pût entrer en parallèle. J'éprouvais tant de surprise, de ravissement, de plaisir, que j'en perdais la respiration : je fus réveillé par cette violente sensation ; je pris à l'instant mon violon, espérant de retrouver une partie de ce que je venais d'entendre; mais ce fut en vain: la pièce que je composai pour lors est à la vérité la meilleure que j'aie jamais faite, et je l'appelle encore la sonate du diable; mais elle est si fort au-dessous de ce qui m'avait frappé, que j'eusse brisé mon violon et abandonné pour toujours la musique si j'eusse été en état de m'en pas

ser. »

Je ne m'arrêterai pas à énumérer les tableaux ou les fresques qui ornent dans il Santo, la chapelle de SaintAntoine, ou celle du Saint - Sacrement; je ne parlerai ni du chœur ni de son magnifique candelabre de bronze, d'André Riccio, ouvrage qui coûta dix années de travail à l'artiste. Qu'il suffise au lecteur de savoir que les pinceaux de Sansovino, de Pierre Liberi, et le burin de Donatello, et d'une foule d'autres artistes célèbres, ont concouru à enrichir cette église. Avant de la quitter, allons voir au trésor SaintAntoine, la langue encore vermeille du saint. On montre aussi le recueil de ses sermons, corrigé par lui, et dont l'écriture est lisible et même élégante. Nous voici arrivés à la porte: n'accorderons-nous point un regard à la sépulture de ce jeune Français de vingt ans, Arminius d'Orbesan, dont l'épitaphe est si touchante:

N'arrose de tes pleurs ma sépulcrale cendre,

Puisque un jour éternel d'un plus beau royaume luit,
Mais bénis le cercueil, où tu as à descendre;
Car il n'est si beau jour qui ne mène sa nuit.

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