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L'ours, très mauvais complimenteur,

Lui dit Viens-t-en me voir. L'autre reprit: Seigneur,
Vous voyez mon logis; si vous me vouliez faire
Tant d'honneur que d'y prendre un champêtre repas,
J'ai des fruits, j'ai du lait : ce n'est peut-être pas
De nos seigneurs les ours le manger ordinaire;
Mais j'offre ce que j'ai. L'ours l'accepte et d'aller,
Les voilà bons amis avant que d'arriver;
Arrivés, les voilà se trouvant bien ensemble:

Et bien qu'on soit, à ce qu'il semble,
Beaucoup mieux seul qu'avec des sots,

Comme l'ours en un jour ne disait pas deux mots,
L'homme pouvait sans bruit vaquer à son ouvrage.
L'ours allait à la chasse; apportait du gibier;
Faisait son principal métier

D'être bon émoucheur; écartait du visage

De son ami dormant ce parasite aîlé

Que nous avons mouche appelé.

Un jour que le vieillard dormait d'un profond somme,
Sur le bout de son nez une allant se placer

Mit l'ours au désespoir; il eut beau la chasser.
Je t'attraperai bien, dit-il. Et voici comme.
Aussitôt fait que dit : le fidèle émoucheur
Vous empoigne un pavé, le lance avec roideur,
Casse la tête à l'homme en écrasant la mouche;
Et, non moins bon archer que mauvais raisonneur,
Raide mort étendu sur la place il le couche.

Rien n'est si dangereux qu'un ignorant ami;
Mieux vaudrait un sage ennemi.

LIII.

Les Obsèques de la Lionne.

La femme du lion mourut :
Aussitôt chacun accourut

Pour s'acquitter envers le prince
De certains compliments de consolation,
Qui sont surcroît d'affliction.

Il fit avertir sa province

Que les obsèques se feraient

Un tel jour, en tel lieu; ses prévôts y seraient
Pour régler la cérémonie,

Et pour placer la compagnie.
Jugez si chacun s'y trouva.
Le prince aux cris s'abandonna,

Et tout son antre en résonna :

Les lions n'ont point d'autre temple.

On entendit, à son exemple,

Rugir en leur patois messieurs les courtisans.

Je définis la cour, un pays où les gens,
Tristes, gais, prêts à tout, à tout indifférents,

Sont ce qu'il plaît au prince; ou, s'ils ne peuvent l'être,

Tâchent au moins de le paraître. Peuple caméléon, peuple singe du maître; On dirait qu'un esprit anime mille corps: C'est bien là que les gens sont de simples ressorts.

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pu faire?

Pour revenir à notre affaire,

Le cerf ne pleura point. Comment eût-il

Cette mort le vengeait la reine avait jadis

Étranglé sa femme et son fils.

Bref, il ne pleura point. Un flatteur l'alla dire,
Et soutint qu'il l'avait vu rire.

La colère du roi, comme dit Salomon,
Est terrible, et surtout celle du roi lion:
Mais ce cerf n'avait pas accoutumé de lire.
Le monarque lui dit: Chétif hôte des bois,
Tu ris! tu ne suis pas ces gémissantes voix!
Nous n'appliquerons point sur tes membres profanes
Nos sacrés ongles: venez, loups,
Vengez la reine; immolez, tous,

Ce traître à ses augustes mânes.

Le cerf reprit alors: Sire, le temps de pleurs

Est passé la douleur est ici superflue.

:

Votre digne moitié, couchée entre des fleurs,
Tout près d'ici m'est apparue;

Et je l'ai d'abord reconnue.

Ami, m'a-t-elle dit, garde que ce convoi,

Quand je vais chez les dieux, ne t'oblige à des larmes ::
Aux champs élyséens j'ai goûté mille charmes,
Conservant avec ceux qui sont saints comme moi.
Laisse agir quelque temps le désespoir du roi :
J'y prends plaisir. A peine on eut ouï la chose,
Qu'on se mit à crier Miracle! Apothéose!
Le cerf eut un présent, bien loin d'être puni.

:

Amusez les rois par des songes,

Flattez-les, payez-les d'agréables mensonges :

6

Quelque indignation dont leur cœur soit rempli,
Ils goberont l'appât, vous serez leur ami.

LIV.

Le Rat et l'Éléphant.

Se croire un personnage est fort commun en France : On y fait l'homme d'importance,

Et l'on n'est souvent qu'un bourgeois.

C'est proprement le mal françois :

La sotte vanité nous est particulière.

Les Espagnols sont vains, mais d'une autre manière :
Leur orgueil, me semble, en un mot,

Beaucoup plus fou, mais pas si sot.
Donnons quelqu'image du nôtre,

Qui sans doute en vaut bien un autre.

Un rat des plus petits voyait un éléphant
Des plus gros, et raillait le marcher un peu lent
De la bête de haut parage,

Qui marchait à gros équipage.

Sur l'animal à triple étage

Une sultane de renom,

Son chien, son chat et sa guenon,

Son perroquet, sa vieille et toute sa maison,

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