L. Le Savetier et le Financier Un savetier chantait du matin jusqu'au soir; Merveille de l'ouïr; il faisait des passages, Plus content qu'aucun des sept sages. Son voisin, au contraire, étant tout cousu d'or, C'était un homme de finance. Si sur le point du jour parfois il sommeillait, Que les soins de la Providence N'eussent pas au marché fait vendre le dormir, En son hôtel il fait venir Le chanteur, et lui dit : Or çà, sire Grégoire, Le gaillard savetier, ce n'est point ma manière Un jour sur l'autre il suffit qu'à la fin : J'attrape le bout de l'année : Chaque jour amène son pain. Eh bien! que gagnez-vous, dites-moi, par journée? : Tantôt plus, tantôt moins le mal est que toujours (Et sans cela nos gains seraient assez honnêtes) Le mal est que dans l'an s'entremêlent des jours Qu'il faut chômer; on nous ruine en fêtes : L'une fait tort à l'autre ; et monsieur le curé De quelque nouveau saint charge toujours son prône. Le financier, riant de sa naïveté, Lui dit : Je vous veux mettre aujourd'hui sur le trône. Prenez ces cent écus gardez-les avec soin, Pour vous en servir au besoin. Le savetier crut voir tout l'argent que la terre Produit pour l'usage des gens. Il retourne chez lui: dans sa cave il enserre Plus de chant il perdit la voix Du moment qu'il gagna ce qui cause nos peines. Il eut pour hôtes les soucis : Les soupçons, les alarmes vaines. Tout le jour il avait l'œil au guet : et la nuit, Le chat prenait l'argent. A la fin le pauvre homme Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme; LI. Le Rat et l'Huître. Un rat, hôte d'un champ, rat de peu de cervelle, Si tôt qu'il fut hors de la case: N'étant pas de ces rats qui, les livres rongeants, Se font savants jusques aux dents. Parmi tant d'huîtres toutes closes Une s'était ouverte; et, bâillant au soleil, Par un doux zéphyr réjouie, Humait l'air, respirait, était épanouie, Blanche, grasse, et d'un goût, à la voir, nompareil. Cette fable contient plus d'un enseignement. Que ceux qui n'ont du monde aucune expérience LII. L'Ours et l'Amateur des jardins. Certain ours montagnard, ours à demi léché, Confiné par le sort dans un bois solitaire, Nouveau Bellerophon, vivait seul et caché, Il fût devenu fou la raison d'ordinaire : N'habite pas longtemps chez les gens séquestrés. Dans les lieux que l'ours habitait; Si bien que, tout ours qu'il était, Il vint à s'ennuyer de cette triste vie. S'ennuyait aussi de sa part. Il aimait les jardins, était prêtre de Flore, Ces deux emplois sont beaux mais je voudrais parmi Les jardins parlent peu, si ce n'est dans mon livre. Avec des hommes muets, notre homme, un beau matin, L'ours, porté d'un même dessein, Venait de quitter sa montagne. Tous deux, par un cas surprenant, Se rencontrent en un tournant. L'homme eut peur mais comment esquiver? et que faire? Se tirer en Gascon d'une semblable affaire Est le mieux il sut donc dissimuler sa peur. |