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Dont tient le jour celui qui conserva ses jours.
Aimez en ma faveur un ami qui vous aime,
Et possédez Dorante en un autre lui-même.
Adieu. Contre vos yeux c'est assez combattu,
Je sens à leurs regards chanceler ma vertu ;
Et, dans le triste état où mon âme est réduite,
Pour sauver mon honneur, je n'ai plus que la fuite1.

SCÈNE IV. DORANTE, PHILISTE, MÉLISSE, LYSE,

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CLITON.

PHILISTE.

Ami, je vous rencontre assez heureusement.
Vous sortiez?

DORANTE.

Oui, je sors, ami, pour un moment. Entrez, Mélisse est seule, et je pourrois vous nuire.

PHILISTE.

Ne m'échappez donc point avant que m'introduire ;
Après, sur le discours vous prendrez votre temps,
Et nous serons ainsi l'un et l'autre contents.

Vous me semblez troublé !

Adieu.

DORANTE.

J'ai bien raison de l'être.

PHILISTE.

Vous soupirez, et voulez disparoître!

De Mélisse ou de vous je saurai vos malheurs,

Madame, puis-je............. ò ciel ! elle-même est en pleurs !
Je ne vois des deux parts que des sujets d'alarmes.
D'où viennent ses soupirs? et d'où naissent vos larmes?
Quel accident vous fâche, et le fait retirer?

Qu'ai-je à craindre pour vous, ou qu'ai-je à déplorer?
MÉLISSE.

Philiste, il est tout vrai..... mais retenez Dorante,
Sa présence au secret est la plus importante.

DORANTE.

Vous me perdez, madame.

Cette scène pouvait faire un très-grand effet, et ne le fait point. Les plus beaux sentiments n'attendrissent jamais quand ils ne sont pas amenés, préparés par une situation pressante, par quelque coup de théâtre, par quelque chose de vif et d'animé.

(VOLTAIRE.)

MÉLISSE.

Il faut tout hasarder

Pour un bien qu'autrement je ne puis plus garder.

Cléandre entre.

LYSE.

MÉLISSE.

Le ciel à propos nous l'envoie.

SCÈNE V. DORANTE, PHILISTE, CLEANDRE, MÉLISSE,

LYSE, CLITON.

CLEANDRE.

Ma sœur, auriez-vous cru...? Vous montrez peu de joie! En si bon entretien qui vous peut attrister?

MÉLISSE, à Cléandre.

J'en contois le sujet, vous pouvez l'écouter.

(à Philiste.)

Vous m'aimez, je l'ai su de votre propre bouche,
Je l'ai su de Dorante, et votre amour me touche,

Si trop peu, pour vous rendre un amour tout pareil,
Assez, pour vous donner un fidèle conseil.

Ne vous obstinez plus à chérir une ingrate;

J'aime ailleurs, c'est en vain qu'un faux espoir vous flatte.
J'aime, et je suis aimée, et mon frère y consent;
Mon choix est aussi beau que mon amour puissant.
Vous l'auriez fait pour moi, si vous étiez mon frère.
C'est Dorante, en un mot, qui seul a pu me plaire.
Ne me demandez point ni quelle occasion,
Ni quel temps entre nous a fait cette union;
S'il la faut appeler ou surprise, ou constance;
Je ne vous en puis dire aucune circonstance :
Contentez-vous de voir que mon frère aujourd'hui
L'estime et l'aime assez pour le loger chez lui,
Et d'apprendre de moi que mon cœur se propose
Le change et le tombeau pour une même chose.
Lorsque notre destin nous sembloit le plus doux,
Vous l'avez obligé de me parler pour vous;

Il l'a fait, et s'en va pour vous quitter la place :
Jugez par ce discours quel malheur nous menace.
Voilà cet accident qui le fait retirer;

Voilà ce qui le trouble, et qui me fait pleurer;

Voilà ce que je crains; et voilà les alarmes

D'où viennent ses soupirs, et d'où naissent mes larmes.

PHILISTE.

Ce n'est pas là, Dorante, agir en cavalier.
Sur ma parole encor vous êtes prisonnier;
Votre liberté n'est qu'une prison plus large;
Et je réponds de vous, s'il survient quelque charge.
Vous partez cependant, et sans m'en avertir!
Rentrez dans la prison dont vous vouliez sortir.

DORANTE.

Allons, je suis tout prêt d'y laisser une vie
Plus digne de pitié qu'elle n'étoit d'envie ;
Mais, après le bonheur que je vous ai céde,
Je méritois peut-être un plus doux procédé.

PHILISTE.

Un ami tel que vous n'en mérite point d'autre.
Je vous dis mon secret, vous me cachez le vôtre,
Et vous ne craignez point d'irriter mon courroux,
Lorsque vous me jugez moins généreux que vous!
Vous pouvez me céder un objet qui vous aime;
Et j'ai le cœur trop bas pour vous traiter de même,
Pour vous en céder un à qui l'amour me rend,
Sinon trop mal voulu, du moins indifférent!
Si vous avez pu naître et noble et magnanime,
Vous ne me deviez pas tenir en moindre estime :
Malgré notre amitié, je m'en dois ressentir.
Rentrez dans la prison dont vous vouliez sortir.
CLEANDRE.

Vous prenez pour mépris son trop de déférence,
Dont il ne faut tirer qu'une pleine assurance
Qu'un ami si parfait, que vous osez blâmer,
Vous aime plus que lui, sans vous moins estimer.
Si pour lui votre foi sert aux juges d'otage,
Permettez qu'auprès d'eux la mienne la dégage,
Et, sortant du péril d'en être inquiété,
Remettez-lui, monsieur, toute sa liberté;
Ou, si mon mauvais sort vous rend inexorable,
Au lieu de l'innocent arrêtez le coupable:
C'est moi qui me sus hier sauver sur son cheval,
Après avoir donné la mort à mon rival;
Ce duel fut l'effet de l'amour de Climène,

Et Dorante sans vous se fût tiré de peine,
Si devant le prevôt son cœur trop généreux
N'eût voulu méconnoître un homme malheureux.
PHILISTE.

pas

Je ne demande plus quel secret a pu faire
Et l'amour de la sœur, et l'amitié du frère;
Ce qu'il a fait pour vous est digne de vos soins.
Vous lui devez beaucoup, vous ne rendez
moins :
D'un plus haut sentiment la vertu n'est capable;
Et puisque ce duel vous avoit fait coupable,
Vous ne pouviez jamais envers un innocent
Etre plus obligé, ni plus reconnoissant.
Je ne m'oppose point à votre gratitude;
Et si je vous ai mis en quelque inquiétude,
Si d'un si prompt départ j'ai paru me piquer,
Vous ne m'entendiez pas, et je vais m'expliquer.

On nomme une prison le nœud de l'hyménée;
L'amour même a des fers dont l'âme est enchaînée :
Vous les rompiez pour moi, je n'y puis consentir.
Rentrez dans la prison dont vous vouliez sortir.

DORANTE.

Ami, c'est là le but qu'avoit votre colère?

PHILISTE.

Ami, je fais bien moins que vous ne vouliez faire.

CLEANDRE.

Comme à lui je vous dois et la vie et l'honneur.

MÉLISSE.

Vous m'avez fait trembler pour croître mon bonheur.

PHILISTE, à Mélisse.

J'ai voulu voir vos pleurs pour mieux voir votre flamme, Et la crainte a trahi les secrets de votre âme.

Mais quittons désormais des compliments si vains.

(à Cléandre.)

Votre secret, monsieur, est sûr entre mes mains;
Recevez-moi pour tiers d'une amitié si belle;
Et croyez qu'à l'envi je vous serai fidèle.

CLITON, seul.

Ceux qui sont las debout se peuvent aller seoir;
Je vous donne en passant cet avis, et bonsoir.

FIN DE LA SUITE DU MENTEUR.

EXAMEN DE LA SUITE DU MENTEUR.

et

L'effet de cette pièce n'a pas été si avantageux que celui de la précédente, bien qu'elle soit mieux écrite. L'original espagnol est de Lope de Vega sans contredit, et a ce défaut, que ce n'est que le valet qui fait rire, au lieu qu'en l'autre les principaux agréments sont dans la bouche du maître. L'on a pu voir par les divers succès quelle différence il y a entre les railleries spirituelles d'un honnête homme de bonne humeur, et les bouffonneries froides d'un plaisant à gages. L'obscurité que fait en celle-ci le rapport à l'autre a pu contribuer quelque chose à sa disgrâce, y ayant beaucoup de choses qu'on ne peut entendre, si l'on n'a l'idée présente du Menteur. Elle a encore quelques défauts particuliers. Au second acte, Cléandre raconte à sa sœur la générosité de Dorante qu'on a vue au premier, contre la maxime, qu'il ne faut jamais faire raconter ce que le spectateur a déjà vu. Le cinquième est trop sérieux pour une pièce si enjouéc, n'a rien de plaisant que la première scène entre un valet et une servante. Cela plaît si fort en Espagne, qu'ils font souvent parler bas les amants de condition, pour donner lieu à ces sortes de gens de s'entredire des badinages; mais en France, ce n'est pas le goût de l'auditoire. Leur entretien est plus supportable au premier acte, pendant que Dorante écrit ; car il ne faut jamais laisser le théâtre sans qu'on y agisse, et l'on n'y agit qu'en parlant. Ainsi Dorante qui écrit ne le remplit pas assez; et toutes les fois que cela arrive, il faut fournir l'action par d'autres gens qui parlent. Le second débute par une adresse digne d'être remarquée, et dont on peut former cette règle, que, quand on a quelque occasion de louer une lettre, un billet, ou quelque autre pièce éloquente ou spirituelle, il ne faut jamais la faire voir; parce qu'alors c'est une propre louange que le poète se donne à soi-même; et souvent le mérite de la chose répond si mal aux éloges qu'on en fait, que j'ai vu des stances présentées à une maîtresse, qu'elle vantoit d'une haute excellence, bien qu'elles fussent très médiocres; et cela devenoit ridicule. Mélisse loue ici la lettre que Dorante lui a écrite; et comme elle ne la lit point, l'auditeur a lieu de croire qu'elle est aussi bien faite qu'elle le dit. Bien que d'abord cette pièce n'eût pas grande approbation, quatre ou cinq ans après la troupe du Marais la remit sur le

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