Sa mort, dont la mémoire allume ta fureur, ÉMILIE. Aussi, dans le discours que vous venez d'entendre, CINNA. Que vous m'ayez séduit, et que je souffre encore Seigneur, la vérité doit ici s'exprimer : 'Sans le vouloir et sans qu'on s'en aperçût, Corneille a assujetti ses personnages à l'ensemble des idées de son temps, de ce temps où de longs troubles avaient jeté dans la morale, encore peu avancée, quelque chose de cette incertitude qu'engendrent les liaisons de parti et les devoirs de situation: peu d'idées générales et beaucoup d'intérêts particuliers et divers laissaient une grande latitude a cette morale de circonstance, qui se forme selon le besoin des affaires et que les besoins de la conscience transforment en vertu d'État : les principes de la morale commune ne semblaient obligatoires que pour les personnes qu'un grand intérêt n'autorisait pas à les dédaigner, et Livie pouvait dire sans étonner personne : Tous ces crimes d'État qu'on fait pour la couronne, Un dévouement sans restriction à la cause ou à l'état que l'on avait embrasse 'Il semble qu'Émilie soit toujours sûre de faire conspirer qui elle voudra, parce qu'elle se croit belle. Doit-elle dire à Auguste qu'elle aura d'autres amants qui vengeront celui qu'elle aura perdu? (Voltaire.) J'avois fait ce dessein avant que de l'aimer; J'en suis le seul auteur, elle n'est que complice 1. Cinna, qu'oses-tu dire? est-ce là me chérir Que de m'ôter l'honneur quand il me faut mourir? CINNA. Mourez, mais en mourant ne souillez point ma gloire. La mienne se flétrit, si César te veut croire. CINNA. Et la mienne se perd, si vous tirez à vous ÉMILIE. Eh bien! prends-en ta part, et me laisse la mienne; La gloire et le plaisir, la honte et les tourments, Tout doit être commun entre de vrais amants Nos deux âmes, seigneur, sont deux âmes romaines; Unissant nos désirs nous unîmes nos haines; De nos parents perdus le vif ressentiment 'Pourquoi toute cette contestation entre Cinna et Émilie est-elle un peu froide? c'est que, si Auguste veut leur pardonner, il importe fort peu qui des deux soit le plus coupable; et que, s'il veut les punir, il importe encore moins qui des deux a séduit l'autre. Ces disputes, ces combats à qui mourra l'un pour l'autre font une grande impression quand on peut hésiter entre deux personnages, quand on ignore sur lequel des deux le coup tombera, mais non pas quand tous les deux sont condamnés et condamnables. (Voltaire.) AUGUSTE. Oui, je vous unirai, couple ingrat et perfide, SCÈNE III. AUGUSTE, LIVIE, CINNA, MAXIME, AUGUSTE. Approche, seul ami, que j'éprouve fidèle. MAXIME. Honorez moins, seigneur, une âme criminelle. AUGUSTE. Ne parlons plus de crime après ton repentir, MAXIME. De tous vos ennemis connoissez mieux le pire: Un vertueux remords n'a point touché mon âme; Et pensois la résoudre à cet enlèvement Faites périr Euphorbe au milieu des tourments 1, Si je puis m'en punir après l'avoir puni. AUGUSTE. En est-ce assez, ô ciel! et le sort pour me nuire Commençons un combat qui montre par l'issue 'On lisait dans les premières éditions: A vos bontés, seigneur, j'en demanderai deux, Le supplice d'Euphorbe, et ma mort à leurs yeux. Dans l'in-fol. de 1663, Corneille changea ces deux vers comme on les voit ici. Mais il parait qu'il ne fut pas satisfait de cette correction, car, dans l'in-12 de 1682, par lui revu, et qu'après sa mort on réimprima en 1692, il revint à l'ancienne leçon, et, je crois, fit bien. (Renouard.) Ce que dit Auguste est admirable; c'est là ce qui fit verser des larmes au grand Condé, larmes qui n'appartiennent qu'à de belles àmes. De toutes les tragédies de Corneille, celle-ci fit le plus grand effet à la cour, et on peut lui appliquer ces vers du vieil Horace : C'est aux rois, c'est aux grands, c'est aux esprits bien faits... C'est d'eux seuls qu'on attend la véritable gloire. .De plus on était alors dans un temps où les esprits, animés par les factions qui avaient agité le règne de Louis XIII, ou plutôt du cardinal de Richelieu, étaient plus propres à recevoir les sentiments qui règnent dans cette pièce. Les premiers spectateurs furent ceux qui combattirent à la Marfée, et qui firent la guerre de la Fronde. Il y a d'ailleurs dans cette pièce un vrai continuel, un développement de la constitution de l'empire romain qui plait extrêmement aux hommes d'État; et alors chacun voulait l'être. J'observerai ici que dans toutes les tragédies grecques, faites pour un peuple si amoureux de sa liberté, on ne trouve pas un trait qui regarde cette liberté ; et que Corneille, né Français, en est rempli. (Voltaire.) On lit destin dans toutes les éditions anciennes, jusques et compris l'in-12 de 1692, copie de l'in-12 de 1682, revu par Corneille. (Renouard.) Qui l'aura mieux de nous ou donnée ou reçue. Aime Cinna, ma fille, en cet illustre rang; ÉMILIE. Et je me rends, seigneur, à ces hautes bontés; Et pour preuve, seigneur, je n'en veux que moi-même : Puisqu'il change mon cœur, qu'il veut changer l'état. CINNA. Seigneur, que vous dirai-je après que nos offenses AUGUSTE. Cesse d'en retarder un oubli magnanime; Reprends auprès de moi ta place accoutumée; |