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De mensonges grossiers soüilla tous les écrits;
Et, par tout enfantant mille ouvrages frivoles,
Trafiqua du discours et vendit les paroles.

Ne vous fletrissez point par un vice si bas.
Si l'or seul a pour vous d'invincibles appas,
Fuiez ces lieux charmans qu'arrose le Permesse.
Ce n'est point sur ses bords qu'habite la richesse.
Aux plus savans auteurs, comme aux plus grands guerriers,
Apollon ne promet qu'un nom et des lauriers.

Mais quoy! dans la disette une muse affammée
Ne peut pas, dira-t-on, subsister de fumée.
Un auteur qui, pressé d'un besoin importun,
Le soir entend crier ses entrailles à jeun,
Goûte peu d'Helicon les douces promenades.
Horace a bû son saoul quand il voit les Ménades,
Et, libre du souci qui trouble Colletet,
N'attend pas pour dîner le succés d'un sonnet.

Il est vrai; mais enfin cette affreuse disgrace

Rarement parmi nous afflige le Parnasse.

Et que craindre en ce siecle où toûjours les beaux arts D'un astre favorable éprouvent les regards,

Où d'un Prince éclairé la sage prévoyance

Fait par tout au merite ignorer l'indigence?
Muses, dictez sa gloire à tous vos nourrissons.
Son nom vaut mieux pour eux que toutes vos leçons
Que Corneille, pour lui rallumant son audace,

Soit encor le Corneille et du Cid et d'Horace.
Que Racine, enfantant des miracles nouveaux,
De ses heros sur lui forme tous les tableaux.

Que de son nom, chanté par la bouche des belles,
Benserade en tous lieux amuse les ruelles.

Que Segrais dans l'églogue en charme les forests.
Que pour lui l'épigramme aiguize tous ses traits.
Mais quel heureux auteur, dans une autre Eneïde,
Aux bords du Rhin tremblant conduira cet Alcide?
Quelle sçavante lyre, au bruit de ses exploits,
Fera marcher encor les rochers et les bois;
Chantera le Batave, éperdu dans l'orage,
Soy-mesme se noyant pour sortir du naufrage;
Dira les bataillons sous Mastrich enterrez,
Dans ces affreux assauts du soleil éclairez?

Mais, tandis que je parle, une gloire nouvelle
Vers ce vainqueur rapide aux Alpes vous appelle.
Déja Dôle et Salins sous le joug ont ployé.
Bezançon fume encor sur son roc foudroyé.
Où sont ces grands guerriers dont les fatales ligues
Devoient à ce torrent opposer tant de digues?
Est-ce encore en fuyant qu'ils pensent l'arrester,
Fiers du honteux honneur d'avoir sceu l'éviter?
Que de

rempars détruits! que de villes forcées! Que de moissons de gloire en courant amassées!

Auteurs, pour les chanter, redoublez vos transports:

Le sujet ne veut pas de vulgaires efforts.

Pour moy qui, jusqu'ici nouri dans la satire, N'ose encor manier la trompette et la lyre, Vous me verrez pourtant, dans ce champ glorieux, Vous animer du moins de la voix et des yeux; Vous offrir ces leçons que ma muse au Parnasse Rapporta jeune encor du commerce d'Horace; Seconder vostre ardeur, échauffer vos esprits, Et vous montrer de loin la courone et le prix. Mais aussi pardonnez si, plein de ce beau zele, De tous vos pas fameux observateur fidele, Quelquefois du bon or je separe le faux, Et des auteurs grossiers j'attaque les defaux: Censeur un peu fâcheux, mais souvent necessaire, Plus enclin à blâmer que sçavant à bien faire.

LE LUTRIN

POËME HEROÏ-COMIQUE

Boileau. 11.

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