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Que ces vers où Motin se morfond et nous glace.
Ne vous enyvrez point des éloges flatteurs
Qu'un amas quelquefois de vains admirateurs
Vous donne en ces reduits, prompts à crier merveille!
Tel écrit, recité, se soutint à l'oreille

Qui, dans l'impression au grand jour se montrant,
Ne soutient pas des yeux le regard penetrant.
On sçait de cent auteurs l'aventure tragique,
Et Gombaut, tant loüé, garde encor la boutique.
Ecoutez tout le monde, assidu consultant.
Un fat quelquefois ouvre un avis important.
Quelques vers toutefois qu'Apollon vous inspire,
En tous lieux aussi-tost ne courez pas les lire.
Gardez-vous d'imiter ce rimeur furieux
Qui, de ses vains écrits lecteur harmonieux,
Aborde en recitant quiconque le saluë,
Et poursuit de ses vers les passans dans la ruë.
Il n'est temple si saint, des anges respecté,
Qui soit contre sa muse un lieu de seureté.

Je vous l'ay déja dit, aimez qu'on vous censure, Et, souple à la raison, corrigez sans murmure.

Mais ne vous rendez pas dés qu'un sot vous reprend.
Souvent, dans son orgueil, un subtile ignorant

Par d'injustes dégouts combat toute une piece,
Blâme des plus beaux vers la noble hardiesse.
On a beau refuter ses vains raisonnemens,

Son esprit se complaist dans ses faux jugemens;
Et sa foible raison, de clarté dépourvûë,
Pense que rien n'échappe à sa débile veuë.
Ses conseils sont à craindre, et, si vous les croyez,
Pensant fuir un écueil, souvent vous vous noyez.

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Faites choix d'un censeur solide et salutaire,
Que la raison conduise et le sçavoir éclaire,
Et dont le crayon seur d'abord aille chercher
L'endroit que l'on sent foible et qu'on se veut cacher.'
Lui seul éclaircira vos doutes ridicules,"

De vostre esprit tremblant levera les scrupules.
C'est luy qui vous dira par quel transport heureux
Quelquefois dans sa course un esprit vigoureux,
Trop resserré par l'art, sort des regles prescrites,
Et de l'art mesme apprend à franchir leurs limites.
Mais ce parfait censeur se trouve rarement.
Tel excelle à rimer qui juge sottement.

Tel s'est fait par ses vers distinguer dans la ville,
Qui jamais de Lucain n'a distingué Virgile.
Auteurs, prestez l'oreille à mes instructions.
Voulez-vous faire aimer vos riches fictions,
Qu'en sçavantes leçons vostre muse fertile
Partout joigne au plaisant le solide et l'utile.
Un lecteur sage fuit un vain amusement,

Et veut mettre à profit son divertissement.

[vrages,

Que vôtre ame et vos mœurs, peints dans tous vos ou

N'offrent jamais de vous que de nobles images
Je ne puis estimer ces dangereux auteurs

Qui, de l'honneur en vers infames deserteurs,
Trahissant la vertu sur un papier coupable,

Aux yeux de leurs lecteurs rendent le vice aimable.
Je ne suis pas pourtant de ces tristes esprits
Qui, bannissant l'amour de tous chastes écrits,
D'un si riche ornement veulent priver la scene,
Traitent d'empoisonneurs et Rodrigue et Chimene.
L'amour le moins honneste, exprimé chastement,
N'excite point en nous de honteux mouvement.
Didon a beau gemir et m'étaler ses charmes :
Je condamne sa faute en partageant ses larmes.

Un auteur vertueux, dans ses vers innocens,
Ne corrompt point le cœur en chatoüillant les sens :
Son feu n'allume point de criminelle flâme.
Aimez donc la vertu, nourrissez-en vostre ame.
Envain l'esprit est plein d'une noble vigueur,
Le vers se sent toûjours des bassesses du cœur.
Fuyez sur tout, fuyez ces basses jalousies,
Des vulgaires esprits malignes phrenesies.
Un sublime écrivain n'en peut estre infecté.
C'est un vice qui suit la mediocrité.

Du merite éclatant cette sombre rivale

Contre luy chez les grands incessamment cabale,
Et, sur les piés envain tâchant de se hausser,

Pour s'égaler à lui, cherche à le rabbaisser.

Ne descendons jamais dans ces lâches intrigues. N'allons point à l'honneur par de honteuses brigues. Que les vers ne soient pas vostre éternel employ. Cultivez vos amis, soyez homme de foy.

C'est peu d'estre agreable et charmant dans un livre, Il faut sçavoir encore et converser et vivre.

Travaillez pour la gloire, et qu'un sordide gain. Ne soit jamais l'objet d'un illustre écrivain.

Je sçai qu'un noble esprit peut sans honte et sans crime
Tirer de son travail un tribut legitime;

Mais je ne puis souffrir ces auteurs renommez
Qui, dégoûtez de gloire et d'argent affammez,
Mettent leur Apollon aux gages d'un libraire,
Et font d'un art divin un inétier mercenaire.

Avant que la raison, s'expliquant par la voix,
Eust instruit les humains, eust enseigné des loix,
Tous les hommes suivoient la grossiere nature,
Dispersés dans les bois, couroient à la pasture.
La force tenoit lieu de droit et d'équité,
Le meurtre s'exerçoit avec impunité.
Mais du discours enfin l'harmonieuse adresse
De ces sauvages mœurs adoucit la rudesse,
Rassembla les humains dans les forests épars,
Enferma les citez de murs et de rempars,
De l'aspect du supplice effraya l'insolence,

Et sous l'appui des loix mit la foible innocence.
Cet ordre fut, dit-on, le fruit des premiers vers.
De là sont nés ces bruits receus dans l'univers,
Qu'aux accens dont Orphée emplit les monts de Thrace
Les tygres amollis dépoüilloient leur audace,
Qu'aux accords d'Amphion les pierres se mouvoient,
Et sur les murs thebains en ordre s'élevoient.
L'harmonie, en naissant, produisit ces miracles.
Depuis, le Ciel en vers fit parler les oracles;
Du sein d'un prestre emû d'une divine horreur,
Apollon par des vers exhala sa fureur.
Bien-tost, ressuscitant les heros des vieux âges,
Homere aux grands exploits anima les courages;
Hesiode, à son tour, par d'utiles leçons,
Des champs trop paresseux vint haster les moissons.
En mille écrits fameux la sagesse tracée
Fut à l'aide des vers aux mortels annoncée;
Et partout des esprits ses preceptes vainqueurs,
Introduits par l'oreille, entrerent dans les cœurs.
Pour tant d'heureux bienfaits les Muses reverées
Furent d'un juste encens dans la Grece honnorées;
Et leur art, attirant le culte des mortels,
A sa gloire en cent lieux vit dresser des autels.
Mais enfin, l'indigence amenant la bassesse,
Le Parnasse oublia sa premiere noblesse.
Un vil amour du gain, infectant les esprits,

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