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Qu'en lui, jusqu'aux defauts, tout se montre heroïque ;
Que ses faits surprenans soient dignes d'estre oüis;
Qu'il soit tel que Cesar, Alexandre ou Louïs,
Non tel que Polynice et son perfide frere.
On s'ennuie aux exploits d'un conquerant vulgaire.
N'offrez point un sujet d'incidens trop chargé :
Le seul couroux d'Achille, avec art ménagé,
Remplit abondamment une Iliade entiere.
Souvent trop d'abondance appauvrit la matiere.
Soyez vif et pressé dans vos narrations.
Soyez riche et pompeux dans vos descriptions.
C'est-là qu'il faut des vers étaler l'élegance.
N'y presentez jamais de basse circonstance.
N'imitez pas ce fou qui, décrivant les mers,
Et peignant au milieu de leurs flots entr'ouverts
L'Hebreu sauvé du joug de ses injustes maistres,
Met, pour le voir passer, les poissons aux fenestres';
Peint le petit enfant qui va, saute, revient,

Et joyeux à sa mere offre un caillou qu'il tient.
Sur de trop vains objets c'est arrester la veuë.
Donnez à vostre ouvrage une juste étenduë.
Que le debut soit simple, et n'ait rien d'affecté.,
N'allez pas dés l'abord, sur Pégaze monté,

1. « Les poissons ébahis les regardent passer. » (Moïse sauvé.)

Crier à vos lecteurs d'une voix de tonnerre :
Je chante le vainqueur des vainqueurs de la terre1.
Que produira l'auteur aprés tous ces grands cris?
La montagne en travail enfante une souris.

O! que j'aime bien mieux cet auteur plein d'adresse
Qui, sans faire d'abord de si haute promesse,
Me dit d'un ton aisé, doux, simple, harmonieux :
Je chante les combats, et cet homme pieux
Qui, des bords phrygiens conduit dans l'Ausonie,
Le premier aborda les champs de Lavinie.

Sa muse en arrivant ne met pas tout en feu,

Et, pour donner beaucoup, ne nous promet que peu.
Bien-tost vous la verrez, prodiguant les miracles,
Du destin des Latins prononcer les oracles,
De Styx et d'Acheron peindre les noirs torrens,
Et déja les Césars dans l'Elysée errans.

De figures sans nombre égayez vostre ouvrage.
Que tout y fasse aux yeux une riante image.
On peut estre à la fois et pompeux et plaisant,
Et je hais un sublime ennuyeux et pesant.
J'aime mieux Arioste et ses fables comiques
Que ces auteurs toûjours froids et mélancoliques
Qui, dans leur sombre humeur, se croiroient faire affront
Si les graces jamais leur déridoient le front.

1. Alaric, 1. 1.

On diroit que, pour plaire, instruit par

à Venus dérobé sa ceinture.

la nature,

Homere ayt
Son livre est d'agrémens un fertile tresor;
Tout ce qu'il a touché se convertit en or.
Tout reçoit dans ses mains une nouvelle grace;
Par tout il divertit, et jamais il ne lasse.
Une heureuse chaleur anime ses discours.

Il ne s'égare point en de trop longs détours:
Sans garder dans ses vers un ordre méthodique,
Son sujet de soi-mesme et s'arrange, et s'explique;
Tout, sans faire d'apprests, s'y prépare aisément ;
Chaque vers, chaque mot court à l'évenement.
Aimez donc ses écrits, mais d'une amour sincere :
C'est avoir profité que de sçavoir s'y plaire.

Un poëme excellent, où tout marche et se suit,
N'est pas de ces travaux qu'un caprice produit;
Il veut du temps, des soins, et ce penible ouvrage
Jamais d'un écolier ne fut l'apprentissage.
Mais souvent parmi nous un poëte sans art
Qu'un beau feu quelquefois échauffa par hazard,
Enflant d'un vain orgueil son esprit chimerique,
Fierement prend en main la trompette heroïque.
Sa muse déreglée, en ses vers vagabonds,
Ne s'éleve jamais que par sauts et par bonds,
Et son feu, dépourveu de sens et de lecture,
S'éteint à chaque pas, faute de nourriture.

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Mais envain le public, prompt à le mépriser,
De son merite faux le veut desabuser,
Lui-mesme, applaudissant à son maigre genie,
Se donne par ses mains l'encens qu'on lui dénie.
Virgile, au prix de lui, n'a point d'invention,
Homere n'entend point la noble fiction.
Si contre cet arrest le siecle se rebelle,
A la posterité d'abord il en appelle.
Mais, attendant qu'ici le bon sens de retour
Ramene triomphans ses ouvrages au jour,
Leurs tas, au magasin cachez à la lumiere,
Combattent tristement les vers et la poussiere.
Laissons-les donc entre eux s'escrimer en repos
Et, sans nous égarer, suivons nostre propos.
Des succez fortunez du spectacle tragique,
Dans Athenes naquit la comedie antique.

Là, le Grec, né mocqueur, par mille jeux plaisans,
Distila le venin de ses traits médisans.

Aux accez insolens d'une bouffonne joye,

La sagesse, l'esprit, l'honneur furent en proye.
On vit par le public un poëte avoüé
S'enrichir aux dépens du merite joüé,

Et Socrate par lui, dans un chœur de Nuées1,
D'un vil amas de peuple attirer les huées.

1. Les Nuées, comedie d'Aristophane,

Boileau. II.

5

Enfin de la licence on arresta le cours.
Le magistrat des loix emprunta le secours,
Et, rendant par édit les poëtes plus sages,
Deffendit de marquer les noms et les visages.
Le theatre perdit son antique fureur.

La comedie apprit à rire sans aigreur,

Sans fiel et sans venin sceut instruire et reprendre,
Et plût innocemment dans les vers de Ménandre.
Chacun, peint avec art dans ce nouveau miroir,
S'y vit avec plaisir, ou crut ne s'y point voir.
L'avare des premiers rit du tableau fidele
D'un avare souvent tracé sur son modele;
Et mille fois un fat finement exprimé
Méconnut le portrait sur lui-même formé.

Que la nature donc soit vostre étude unique, Auteurs qui pretendez aux honneurs du comique. Quiconque voit bien l'homme, et, d'un esprit profond, De tant de cœurs cachez a penetré le fond,

Qui sçait bien ce que c'est qu'un prodigue, un avare,
Un honneste homme, un fat, un jaloux, un bizarre,
Sur une scene heureuse il peut les étaler,

Et les faire à nos yeux vivre, agir et parler.
Presentez-en par tout les images naïves;

Que chacun y soit peint des couleurs les plus vives.
La nature, feconde en bizarres portraits,

Dans chaque ame est marquée à de differens traits.

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