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epistre tres posément, jettant au reste dans ma lecture toute la force et tout l'agrément que j'ay peu. J'oubliois de vous avertir que je luy ay auparavant dit encore une particularité qui l'a assez agreablement surpris: c'est à sçavoir que je pretendois n'avoir proprement fait autre chose dans mon ouvrage que mettre en vers la doctrine qu'il venoit de nous debiter, et l'ay asseuré que j'estois persuadé que luy-mesme n'en disconviendroit pas. Mais, pour en revenir au recit de ma piece, croiriez vous, Monsieur, que la chose est arrivée comme je l'avois prophetisé, et qu'à la reserve des deux petits scrupules qu'il vous a dits et qu'il nous a repetez qui luy estoient venus au sujet de ma hardiesse à traiter en vers une matiere si delicate, il n'a fait d'ailleurs que s'écrier: PULCHRE, BENE, RECTE. Cela est vray. Cela est indubitable. Voilà qui est merveilleux. Il faut lire cela au Roy. Repetez moy encore cet endroit. Est-ce là ce que Monsieur Racine m'a leu? Il a esté sur tout extrêmement frappé de ces vers que vous luy aviez passez, et que je luy ay recitez avec toute l'énergie dont je suis capable.

Cependant on ne voit que docteurs, mesme austeres,
Qui, les semant par tout, s'en vont pieusement

De toute pieté sapper le fondement, etc.

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Il est vray que je me suis heureusement avisé d'inserer dans mon epistre huit vers que vous n'avez point approuvez, et que mon frere juge tres à propos de restablir. Les voicy. C'est ensuite de

ce vers

Oui, dites vous. Allez, vous l'aimez, croyez moy.
Qui fait exactement ce que ma loy commande
A pour moy, dit ce Dieu, l'amour que je demande.
Faites le donc et, seur qu'il nous veut sauver tous,
Ne vous alarmez point pour quelques vains desgousts,
Qu'en sa ferveur souvent la plus sainte ame esprouve.
Marchez, courez à luy. Qui le cherche le trouve,
Et plus de vostre cœur il paroist s'escarter,
Plus par vos actions songez à l'arrester.

Il m'a fait redire trois fois ces huit vers; mais je ne sçaurois vous exprimer avec quelle joie, quels esclats de rire il a entendu la prosopopée de la fin. En un mot, j'ay si bien eschauffé le Reverend Pere que, sans une visite que dans ce temps-là Monsieur son frere luy est venu rendre, il ne nous laissoit point partir que je ne luy eusse recité aussy les deux autres nouvelles epistres de ma façon que vous avez leuës au Roy. Encore ne nous a-t-il laissé partir qu'à la charge que nous l'irions voir à sa maison de campagne, et il s'est chargé de nous faire avertir du jour où nous l'y pourrions trouver

seul. Vous voyez donc, Monsieur, que si je ne suis pas bon poëte, il faut que je sois bon recitateur, Aprés avoir quitté le Pere de la Chaize, nous avons esté voir le Pere Gaillard, à qui j'ay aussy, comme vous pouvez penser, recité l'epistre. Je ne vous dirai point les loüanges excessives qu'il m'a données. Il m'a traité d'homme inspiré de Dieu, et m'a dit qu'il n'y avoit que des coquins qui pussent contredire mon opinion. Je l'ay fait ressouvenir du petit theologien avec qui j'eus une prise devant luy chez Monsieur de Lamoignon. Il m'a dit que ce theologien estoit le dernier des hommes; que si sa societé avoit à estre faschée, ce n'estoit pas de mon ouvrage, mais de ce que des gens osoient dire que cet ouvrage estoit fait contre les jesuites. Je vous escrits tout cecy à dix heures du soir, au courant de la plume. Je vous prie de retirer la copie que vous avez mise entre les mains de madame de............., afin que je luy en donne une autre où l'ouvrage soit dans l'estat où il doit demeurer.

Je vous embrasse de tout mon cœur et suis

tout à vous.

LETTRE A M. DE MAUCROIX

29 avril MDCXCV.

Es choses hors de vraysemblance qu'on m'a dites de monsieur de La Fontaine sont à peu prés celles que vous avez devinées: je veux dire que ce sont ces haires, ces cilices et ces disciplines dont on m'a asseuré qu'il affligeoit frequemment son corps, et qui m'ont paru d'autant plus incroiables de nostre defunt ami que jamais rien, à mon avis, ne fut plus éloigné de son caractere que ces mortifications. Mais quoy? La grace de Dieu ne se borne pas à des changements ordinaires, et c'est quelquefois de veritables metamorphoses qu'elle fait. Elle ne paroist pas s'estre respanduë de la mesme sorte sur le pauvre M. C., qui est mort tel qu'il a vescu, c'est à sçavoir tres-misanthrope, et non seulement haïs

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sant les hommes, mais ayant mesme assez de peine à se reconcilier avec Dieu, à qui, disoit-il, si le rapport qu'on m'a fait est veritable, il n'avoit nulle obligation. Qui eust creu que de ces deux hommes, c'estoit monsieur de La Fontaine qui estoit le vase d'élection? Voilà, Monsieur, de quoy augmenter les reflexions sages et chrestiennes que vous me faites dans vostre lettre, et qui me paroissent partir d'un cœur sincerement persuadé de ce qu'il dit.

Pour venir à vos ouvrages, j'ay desja commencé à conferer le dialogue des orateurs avec le latin. Ce que j'en ay veu me paroist extrêmement bien. La langue y est parfaittement escrite. Il n'y a rien de gesné, et tout y paroist libre et original. Il y a pourtant des endroits où je ne conviens pas du sens que vous avez suivi. J'en ay marqué quelquesuns avec du craion, et vous y trouverez ces marques quand on vous les renvoyera. Si j'ay le temps, je vous expliqueray mes objections, car je doute sans cela que vous les puissiez bien comprendre. En voicy une que par avance je vais vous escrire, parce qu'elle me paroist plus de consequence que les autres. C'est à la page 6 de vostre manuscrit, où vous traduisez : Minimum inter tot ac tanta locum obtinent imagines, ac tituli et statuæ, quæ neque

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