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Cessez de rappeller dans mon ame insensée

De mon premier bonheur la gloire enfin passée.
Ce fut, je m'en souviens, dans cet antique bois
Que Philis m'apparut pour la premiere fois;
C'est icy que souvent, dissipant mes alarmes,
Elle arrestoit d'un mot mes soupirs et mes larmes,
Et que, me regardant d'un œil si gracieux,
Elle m'offroit le ciel ouvert dans ses beaux yeux.
Aujourd'huy cependant, injustes que vous estes,
Je sçay qu'à mes rivaux vous prestez vos retraites,
Et qu'avec elle assis sur vos tapis de fleurs,
Ils triomphent contens de mes vaines douleurs.
Allez, jardins dressez par une main fatale,
Tristes enfans de l'art du malheureux Dédale,
Vos bois, jadis pour moy si charmans et si beaux,
Ne sont plus qu'un desert refuge de corbeaux,
Qu'un sejour infernal où cent mille viperes
Tous les jours en naissant assassinent leurs meres.

Je ne sçay, Monsieur, si dans tout cela vous reconnoistrez vostre ouvrage, et si vous vous accommoderez des nouvelles pensées que je vous preste. Quoy qu'il en soit, faites-en tel usage que vous jugerez à propos: car, pour moy, je vous declare que je n'y travailleray pas davantage. Je ne vous cacheray pas mesme que j'ay une espece de confusion d'avoir, par une molle complaisance pour vous, employé quelques heures à un ouvrage de cette nature, et d'estre moy-mesme tombé dans le ridicule dont j'accuse les autres, et dont je me suis si

bien moqué par ces vers de la Satire à mon Esprit :

Faudra-t-il de sens froid, et sans estre amoureux,
Pour quelque Iris en l'air faire le langoureux,
Luy prodiguer les noms de Soleil et d'Aurore,

Et tousjours, bien mangeant, mourir par metaphore?

Ce qu'il y a de seur, c'est que je ne retomberay plus dans une pareille foiblesse, et que c'est à ces vers d'amourettes, bien plus justement qu'à ceux de ma penultieme epistre, qu'aujourd'huy je dis tres serieusement:

Adieu, mes vers, adieu pour la derniere fois.

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LETTRE A M. RACINE

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E crois que vous serez bien aise d'estre instruit de ce qui s'est passé dans la visite que nous avons, suivant vostre conseil, renduë ce matin, mon frere le docteur de Sorbonne et moy, au reverend Pere de la Chaise. Nous sommes arrivez chez luy sur les neuf heures, et, si tost qu'on luy a dit nostre nom, il nous a fait entrer. Il nous a receus avec beaucoup d'agrément, m'a interrogé fort obligeamment sur l'estat de ma santé, et a paru fort content de ce que luy ay dit que mon incommodité n'augmentoit point. Ensuite il a fait apporter des chaises, s'est mis tout proche de moy afin que je le peusse mieux entendre, et,' aussi-tost entrant en matiere, m'a dit que vous luy aviez leu un ouvrage de ma façon où il y avoit beaucoup de bonnes choses, mais que la matiere

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que j'y traitois estoit une matiere fort delicate et qui demandoit beaucoup de sçavoir; qu'il avoit autrefois enseigné la theologie, et qu'ainsi il devoit estre instruit de cette matiere à fond; qu'il falloit faire une grande difference de l'amour affectif d'avec l'amour effectif; que ce dernier estoit absolument necessaire et entroit dans l'attrition, au lieu que l'amour affectif venoit de la contrition parfaite, et qu'ainsi il justifioit par luy-mesme le pecheur; mais que l'amour effectif n'avoit d'effet qu'avec l'absolution du prestre. Enfin il nous debité en tres bons termes tout ce que beaucoup d'habiles autheurs scholastiques ont escrit sur ce sujet, sans pourtant dire, comme quelques-uns d'eux, que l'amour de Dieu, absolument parlant, n'est point necessaire pour la justification du pecheur. Mon frere applaudissoit à chaque mot qu'il disoit, paroissant estre enchanté de sa doctrine, et encore plus de sa maniere de l'énoncer. Pour moy, je suis demeuré dans le silence. Enfin, lorsqu'il a cessé de parler, je luy ay dit que j'avois esté fort surpris qu'on m'eust presté des charitez auprés de luy, et qu'on lui eust donné à entendre que j'avois fait un ouvrage contre les jesuites, adjoustant que ce seroit une chose bien estrange si soustenir qu'on doit aimer Dieu s'appelloit escrire contre

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les jesuites; que mon frere avoit apporté avec luy vingt passages de dix ou douze de leurs plus fameux escrivains, qui soustenoient en termes beaucoup plus forts que ceux de mon epistre que, pour estre justifié, il faut indispensablement aimer Dieu; qu'enfin j'avois si peu songé à escrire contre les jesuites que les premiers à qui j'avois leu mon ouvrage, c'estoit six jesuites des plus celebres, qui m'avoient tous dit qu'un chrestien ne pouvoit pas avoir d'autres sentimens sur l'amour de Dieu que ceux que j'énonçois dans mes vers. J'ay adjusté ensuite que, depuis peu, j'avois eu l'honneur de reciter mon ouvrage à Monseigneur l'archevesque de Paris et à Monseigneur l'evesque de Meaux qui en avoient tous deux paru, pour ainsi dire, transportez; qu'avec tout cela neantmoins, si Sa Reverence croyoit mon ouvrage perilleux, je venois presentement pour le luy lire, afin qu'il m'instruisist de mes fautes. Enfin je luy ay fait le mesme compliment que je fis à Monseigneur l'archevesque lorsque j'eus l'honneur de le luy reciter, qui estoit que je ne venois pas pour estre loüé, mais pour estre jugé; que je le priois donc de me prester une vive attention, et de trouver bon mesme que je luy repetasse beaucoup d'endroits. Il a fort approuvé ma proposition, et je luy ay leu mon

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