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LETTRE A M. ARNAULD

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E ne sçaurois, Monsieur, assez vous tesmoigner ma reconnoissance de la bonté que vous avez euë de vouloir bien permettre qu'on me monstrast la lettre que vous avez escrite à Monsieur Perrault sur ma derniere satire. Je n'ay jamais rien leu qui m'ait fait un si grand plaisir, et quelques injures que ce galant homme m'ayt dites, je ne sçaurois plus luy en vouloir de mal, puis qu'elles m'ont attiré une si honorable apologie. Jamais cause ne fut si bien defenduë que la mienne. Tout m'a charmé, ravi, édifié, dans vostre lettre; mais ce qui m'y a touché davantage, c'est cette confiance si bien fondée avec laquelle vous y declarez que vous me croyez sincerement vostre ami. N'en doutez point, Monsieur, je le suis, et c'est une qualité dont je me

glorifie tous les jours en présence de vos plus grands ennemis. Il y a des jesuites qui me font l'honneur de m'estimer, et que j'estime et honore aussi beaucoup. Ils me viennent voir dans ma solitude d'Auteuil, et ils y sejournent mesme quelquefois. Je les reçois du mieux que je puis ; mais la premiere convention que je fais avec eux, c'est qu'il me sera permis dans nos entretiens de vous louër à outrance. J'abuse souvent de cette permission, et l'echo des murailles de mon jardin a retenti plus d'une fois de nos contestations sur vostre sujet. La verité est pourtant qu'ils tombent sans peine d'accord de la grandeur de vostre genie et de l'estenduë de vos connoissances; mais je leur soutiens, moy, que ce sont là vos moindres qualitez, et que ce qu'il y a de plus estimable en vous, c'est la droiture de vostre esprit, la candeur de vostre ame et la pureté de vos intentions. C'est alors que se font les grands cris, car je ne démords point sur cet article, non plus que sur celuy des Lettres au Provincial, que, sans examiner qui des deux partis au fond a droit ou tort, je leur vante tousjours comme le plus parfait ouvrage de prose qui soit en nostre langue. Nous en venons quelquefois à des paroles assez aigres. A la fin, neantmoins, tout se tourne en plaisanterie ridendo dicere verum

quid vetat? Ou, quand je les voy trop fâchez, je me jette sur les loüanges du R. P. de la Chaise, que je revere de bonne foy, et à qui j'ay en effet tout recemment encore une tres-grande obligation, puisque c'est en partie à ses bons offices que je dois la chanoinie de la Sainte Chapelle de Paris, que j'ay obtenuë de Sa Majesté pour mon frere le doyen de Sens. Mais, Monsieur, pour revenir à vostre lettre, je ne sçay pas pourquoy les amis de Monsieur Perrault refusent de la luy monstrer. Jamais ouvrage ne fut plus propre à luy ouvrir les yeux et à luy inspirer l'esprit de paix et d'humilité dont il a besoin aussi bien que moy. Une preuve de ce que je dis, c'est qu'à mon esgard, à peine en ay-je eu fait la lecture, que, frappé des salutaires leçons que vous nous y faites à l'un et à l'autre, je luy ay envoyé dire qu'il ne tiendroit qu'à luy que nous ne fussions bons amis; que, s'il vouloit demeurer en paix sur mon sujet, je m'engageois à ne plus rien escrire dont il pust se choquer, et luy ay mesme fait entendre que je le laisseray tout à son aise faire, s'il vouloit, un monde renversé du Parnasse, en y plaçant les Chapelains et les Cotins au-dessus des Horaces et des Virgiles. Ce sont les paroles que Monsieur Racine et Monsieur l'abbé Tallemant luy ont portées de ma

part. Il n'a point voulu entendre à cet accord, et a exigé de moy, avant toutes choses, pour ses ouvrages, une estime et une admiration que franchement je ne luy sçaurois promettre sans trahir la raison et ma conscience. Ainsi nous voila plus brouillez que jamais, au grand contentement dès rieurs, qui estoient desja fort affligez du bruit qui couroit de nostre reconciliation. Je ne doute point que cela ne vous fasse beaucoup de peine; mais, pour vous monstrer que ce n'est pas de moy que la rupture est venue, c'est qu'en quelque lieu que vous soyez, je vous declare, Monsieur, que vous n'avez qu'à me mander ce que vous souhaitez que je fasse pour parvenir à un accord, et je l'executeray ponctuellement, sçachant bien que vous ne me prescrirez rien que de juste et de raisonnable. Je ne mets qu'une condition au traitté que je feray. Cette condition est que vostre lettre verra le jour, et qu'on ne me privera point en la supprimant du plus grand honneur que j'aye receu en ma vie. Obtenez cela de vous et de luy, et je luy donne sur tout le reste la carte blanche: car, pour ce qui regarde l'estime qu'il veut que je fasse de ses escrits, je vous prie, Monsieur, d'examiner vous mesme ce que je puis faire là-dessus. Voicy une liste des principaux ouvrages qu'on veut que j'admire. Je suis

fort trompé si vous en avez jamais leu aucun : Le Conte de Peau-d'Asne et l'Histoire de la femme au nez de boudin, mis en vers par Monsieur Perrault, de l'Academie françoise;

La Metamorphose d'Orante en miroir;
L'Amour Godenot;

Le Labyrinthe de Versailles, ou les Maximes d'amour et de galanterie, tirées des fables d'Esope; Elegie à Iris;

La Procession de Sainte Geneviefve;

Paralleles des anciens et des modernes, où l'on voit la poësie portée à son plus haut point de perfection dans les operas de Monsieur Quinaut;

Saint Paulin, poëme heroïque;

Réflexions sur Pindare, où l'on enseigne l'art de ne point entendre ce grand poëte.

Je ris, Monsieur, en vous escrivant cette liste, et je croys que vous aurez de la peine à vous empescher aussi de rire en la lisant. Cependant je vous supplie de croire que l'offre que je vous fais est tres serieuse, et que je tiendray exactement ma parole. Mais, soit que l'accommodement se fasse ou non, je vous réponds, puisque vous prenez si grand interest à la memoire de feu Monsieur Perrault le medecin, qu'à la premiere edition qui paroistra de mon livre, il y aura dans la préface un

Boileau. II.

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