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des méchans livres, et plus rigoureux envers ceux qui les blâment?

Examinons pourtant Perse, qui écrivoit sous le regne de Neron. Il ne raille pas simplement les ouvrages des poëtes de son temps, il attaque les vers de Neron mesme. Car enfin tout le monde sçait, et toute la cour de Neron le sçavoit, que ces quatre vers, Torva Mimalloneis, etc., dont Perse fait une raillerie si amere dans sa premiere satire, estoient des vers de Neron. Cependant on ne remarque point que Neron, tout Neron qu'il estoit, ait fait punir Perse; et ce tyran, ennemi de la raison et amoureux, comme on sçait, de ses ouvrages, fut assez galant homme pour entendre raillerie sur ses vers, et ne crut pas que l'empereur, en cette occasion, deust prendre les interests du poëte.

Pour Juvenal, qui florissoit sous Trajan, il est un peu plus respectueux envers les grands seigneurs de son siecle. Il se contente de répandre l'amertume de ses satires sur ceux du regne precedent; mais, à l'égard des auteurs, il ne les va point chercher hors de son siecle. A peine est-il entré en matiere que le voilà en mauvaise humeur contre tous les écrivains de son temps. Demandez à Juvenal ce qui l'oblige de prendre la plume. C'est qu'il est las d'entendre et la Thezeïde de Codrus, et l'Oreste de

celui-ci, et le Telephe de cet autre, et tous les poëtes enfin, comme il dit ailleurs, qui recitoient leurs vers au mois d'aoust, et Augusto recitantes mense poetas. Tant il est vrai que le droit de blâmer les auteurs est un droit ancien, passé en coûtume parmi tous les satiriques, et souffert dans tous les siecles. Que s'il faut venir des anciens aux modernes, Regnier, qui est presque nostre seul poëte satirique, a esté veritablement un peu plus discret que les autres. Cela n'empêche pas neanmoins qu'il ne parle hardiment de Gallet, ce celebre joueur qui assignoit ses creanciers sur sept et quatorze, et du sieur de Provins, qui avoit changé son balandran en manteau court, et du Cousin, qui abandonnoit sa maison de peur de la reparer, et de Pierre du Puis, et de plusieurs autres.

Que repondront à cela mes censeurs? Pour peu qu'on les presse, ils chasseront de la republique des lettres tous les poëtes satiriques comme autant de perturbateurs du repos public. Mais que dirontils de Virgile, le sage, le discret Virgile, qui, dans une eglogue où il n'est pas question de satire, tourne d'un seul vers deux poëtes de son temps en ridicule?

Qui Bavium non odit amet tua carmina, Mævi,

dit un berger satirique dans cette eglogue. Et

qu'on ne me dise point que Bavius et Mævius en cet endroit sont des noms supposez, puisque ce seroit donner un trop cruel démenti au docte Servius, qui assûre positivement le contraire. En un mot, qu'ordonneront mes censeurs de Catulle, de Martial, et de tous les poëtes de l'antiquité, qui n'en ont pas usé avec plus de discretion Virque gile? Que penseront-ils de Voiture, qui n'a point fait conscience de rire aux dépens du celebre NeufGermain, quoiqu'également recommandable par l'antiquité de sa barbe et par la nouveauté de sa poësie? Le banniront-ils du Parnasse, luy et tous les poëtes de l'antiquité, pour établir la seureté des sots et des ridicules? Si cela est, je me consolerai aisement de mon exil : il y aura du plaisir à estre relegué en si bonne compagnie. Raillerie à part, ces messieurs veulent-ils estre plus sages que Scipion et Lelius, plus delicats qu'Auguste, plus cruels que Neron? Mais eux qui sont si rigoureux envers les critiques, d'où vient cette clemence qu'ils affectent pour les méchans auteurs? Je voi bien ce qui les afflige ils ne veulent pas être détrompez. Il leur fâche d'avoir admiré serieusement des ouvrages que mes satires exposent à la risée de tout le monde, et de se voir condamnez à oublier, dans leur vieillesse, ces mêmes vers qu'ils ont autrefois appris par

cœur comme des chefs-d'œuvres de l'art. Je les plains sans doute; mais quel remede? Faudra-t-il, pour s'accommoder à leur goût particulier, renoncer au sens commun? Faudra-t-il applaudir indifferemment à toutes les impertinences qu'un ridicule aura répanduës sur le papier? et, au lieu qu'en certains païs on condamnoit les méchans poëtes à effacer leurs écrits avec la langue, les livres deviendront-ils desormais un azyle inviolable où toutes les sottises auront droit de bourgeoisie, où l'on n'osera toucher sans profanation? J'aurois bien d'autres choses à dire sur ce sujet. Mais, comme j'ay déja traité de cette matiere dans ma neuviéme satire, il est bon d'y renvoyer le lecteur.

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