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Traiter sans tirer ma raison?

Rechercher un marché si funeste à ma gloire?
Souffrir que Chapelain impute à ma mémoire
D'avoir mal soutenu l'honneur de sa toison?
Respecter un vieux poil dont mon ame égarée
Voit la perte assurée?

N'écoutons plus ce dessein negligent

Qui passeroit pour crime.

Allons, ma main, du moins sauvons l'argent,
Puisqu'aussi bien il faut perdre l'estime.

Autant

Oüi, mon esprit s'étoit déçu.

que mon honneur mon interest me presse :
Que je meure en rimant, ou meure de detresse,
J'auray mon stile dur comme je l'ai reçu.
Je m'accuse déja de trop de negligence.
Courons à la vengeance.

Et, tout honteux d'avoir tant de froideur,
Rimons à tire d'aisle,

Puis qu'aujourd'huy La Serre est le tondeur,
Et le tondu pere de la Pucelle.

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Sçais-tu que ce vieillard fut la même vertu,

Et l'effroy des lecteurs de son temps, le sçais-tu?

LA SERRE.

Peut-être.

CASSAIGNE.

La froideur qu'en mon stile je porte,

Sçais-tu que je la tiens de lui seul?

LA SERRE.

Que m'importe?

CASSAIGNE.

A quatre vers d'ici je te le fais sçavoir.

Jeune presomptueux.

LA SERRE.

CASSAIGNE.

Parle sans t'émouvoir;

Je suis jeune, il est vrai; mais aux ames bien nées
La rime n'attend pas le nombre des années.

LA SERRE.

Mais t'attaquer à moy! Qui t'a rendu si vain,
Toy qu'on ne vit jamais une plume à la main?

CASSAIGNE

Mes pareils avec toy sont dignes de combattre,
Et pour des coups d'essay veulent des Henris Quatre.

LA SERRE.

Sçais-tu bien qui je suis?

CASSAIGNE.

Oüi, tout autre que moy En comptant tes écrits pourroit trembler d'effroy. Mille et mille papiers dont la table est couverte Semblent porter écrit le destin de ma perte. J'attaque en temeraire un gigantesque auteur; Mais j'auray trop de force, aïant assez de cœur. Je veux vanger mon maître, et ta plume indomptable, Pour ne se point lasser, n'est point infatigable.

LA SERRE.

Ce phebus qui paroît aux discours que tu tiens,
Souvent par tes écrits se découvrit aux miens,
Et, te voyant encore tout frais sorti de classe,
Je disois « Chapelain lui laissera sa place. »
Je sçai ta pension, et suis ravi de voir

Que ces bons mouvemens excitent ton devoir,
Qu'ils te font sans raison mettre rime sur rime,
Etayer d'un pedant l'agonisante estime,
Et que, voulant pour singe un écolier parfait,
Il ne se trompoit point au choix qu'il avoit fait.
Mais je sens que pour toy ma pitié s'interesse,
J'admire ton audace, et je plains ta jeunesse ;
Ne cherche point à faire un coup d'essay fatal,
Dispense un vieux routier d'un combat inégal,
Trop peu de gain pour moy suivroit cette victoire;
A moins d'un gros volume, on compose sans gloire.
Et j'aurois le regret de voir que tout Paris
Te croiroit accablé du poids de mes écrits.

CASSAIGNE.

D'une indigne pitié ton orgüeil s'accompagne.
Qui pele Chapelain craint de tondre Cassaigne.

Retire-toy d'ici.

LA SERRE.

CASSAIGNE,

Hâtons-nous de rimer.

Es-tu si prés d'écrire?

LA SERRE.

CASSAIGNE.

Es-tu las d'imprimer?

LA SÉRRE.

Viens, tu fais ton devoir. L'écolier est un traître.

Qui soufre sans cheveux la tête de son maître.

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