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REVUE PAR L'AUTEUR, ET AUGMENTÉE D'UNE NOUVELLE PRÉFACE.

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Viamand heter

6-12-28.

LIVRE IV.

LES MYSTIQUES POLONAIS

EN FRANCE.

CHAPITRE IEE

La Veuve d'un Dieu.

Vers le milieu de l'été dernier, je me rendis dans l'île StLouis pour prendre des informations sur Wronski, auprès d'un jeune polonais qu'on m'avait désigné comme très instruit dans la doctrine de ce mathématicien-philosophe.

On sait que l'île Saint-Louis compte bon nombre de réfugiés slaves parmi ses habitants. Le célèbre hôtel Lambert, où réside le prince Czartoryski, attire dans ses environs cette portion de l'émigration polonaise, qui croit d'une bonne tactique de remettre la cause nationale aux mains d'une dynastie.

Arrivé chez le jeune polonais que je venais visiter, je lui exposai le dessein où j'étais de faire une étude sur Wronski, et lui adressai des questions.

Voulez-vous me suivre, Monsieur, me dit-il, je vais vous présenter à quelqu'un qui est plus à même que moi de vous renseigner sur les choses que vous désirez savoir.

Volontiers.

y

en

Nous traversâmes un de ces grands vestibules, comme il a dans les vieilles maisons nobiliaires de l'île Saint-Louis. Le

polonais ouvrit une porte, et je me trouvai en face d'une dame entièrement vêtue de noir, à laquelle il me nomma; après quoi, s'adressant à moi, il me dit:

Je vous présente, Monsieur, à la veuve de Wronski. Pendant la vie de son mari, elle a été sa meilleure amie, et depuis sa mort (Wronski est mort en 1853), elle conserve plus religieusement que personne le dépôt de sa philosophie et de sa religion.

Pendant qu'il parlait, j'avais eu le temps d'examiner, seulement madame Wronski, mais aussi son appartement.

non

Cette dame ne me parut pas avoir de fortune: les philosophes n'en laissent pas souvent à leurs héritiers, à moins que ce ne soient des philosophes officiels, souples d'esprit et de caractère, qui sont amis de la vérité jusqu'à l'émargement trimestriel, et tenaces dans leurs convictions jusqu'au triomphe de leurs adversaires exclusivement. Les Pierre Leroux, invincibles à tout, excepté à la foi de l'esprit ou du cœur, sont réduits à la mendicité dans l'exil, pendant que les Cousin, toujours bien rentés, font la palinodie sur la tombe de Voltaire, parmi les surplis du Panthéon!

Madame Wronski me recevait dans la seule pièce qu'elle possédât, une chambre à coucher avec un lit à rideaux de cotonnade bleue rayée. Cette chambre à coucher servait en même temps de cuisine, comme je le vis aux fourneaux rangés dans la cheminée, et de salle à manger, comme me le témoignait une table ronde, où venait d'être prise une tasse de café au lait.

L'ameublement de cette chambre était d'une simplicité qui était loin de sentir la richesse. Les rideaux de la fenêtre étaient en cotonnade bleue comme le lit. Près de cette fenêtre, se trouvait une table de travail, sur laquelle était ouvert un grand et gros volume in-quarto: c'était la Réforme du savoir humain, de Wronski. La pauvre veuve a trouvé dans les oeuvres de son époux toute la vie de son âme.

Ce qui me frappa surtout, ce furent les objets de piété appendus aux murailles. J'avais cru, jusque-là, que Wronski était un mystique plus ou moins rationaliste; je devinai tout de suite, à ces signes, que c'était un mystique chrétien. Une croix en marbre blanc, sans crucifié, était placée au-dessus de la table. Un chapelet à grains blancs s'enroulait autour d'une grosse branche de buis bénit. Comme je viens de le dire, je sentis tout de suite que j'étais en pleine sacristie. J'en eus froid. Madame, dis-je en m'inclinant. Mais, avant de rapporter notre conversation, je crois devoir vous dire que mon interlocutrice, qui a soixante-dix ans, me

....

parut en avoir à peine cinquante. Sa figure, encadrée dans le bonnet de crêpe des veuves, conservait une fraîcheur de teint et une animation vraiment extraordinaires à cet âge. Sa voix, vibrante encore, et un peu aigre, une certaine précipitation dans la parole, le ton quasi magistral de son discours: tout était singulier chez elle, et je devinai bien vite qu'un avantage trop rare avait été donné à Wronski, celui de vivre avec une femme à la hauteur de sa pensée.

Madame, dis-je en m'inclinant, puisque votre ami M. X..., à qui je venais demander des renseignements sur M. Wronski, m'a, tout de suite et sans hésitation, amené vers vous, c'est évidemment que vous êtes de ces femmes fortes qui

n'ont pas peur de penser à leurs morts et d'en parler.

Je pense continuellement à Wronski, Monsieur; je vis de lui depuis qu'il est mort comme pendant sa vie. Voyez: ses livres sont toujours ouverts sur ma table; uous ne nous sommes pas quittés un instant.

Après ces préliminaires, nous eûmes une conversation qui dura près de deux heures. Je n'en rapporterai que les points les plus saillants.

Quand j'eus fait part à madame Wronski du dessein où j'étais de placer son mari dans une galerie intitulée: la France mystique, elle se récria:

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Mais c'est une profanation, Monsieur! C'est donc ainsi que vous traitez de pareilles choses? d'ailleurs, mon mari n'était pas mystique. Il a trouvé la vérité absolue, absolue, entendez-vous, et cela mérite d'être médité, vénéré, tandis que, à ce que je vois, vous allez en faire comme un article de journal. Qu'importe, madame? j'appellerai sur votre mari et sur ses oeuvres l'attention du public, qui jusqu'à présent ne leur a peut-être pas été suffisamment accordée: voilà ce que je veux faire, et ce n'est pas une profanation. Quant à ce que vous m'objectez sur l'absence de tout mysticisme chez votre mari, ce n'est point là un obstacle. Nous ne sommes pas d'accord sur le mot de mystique. Mystique, pour vous, veut dire substitution des sentiments et des molles quiétudes du cœur, aux luttes de la foi dans l'esprit, et, en ce sens, il est vrai que Wronski n'est pas mystique, puisqu'il est, à ce qu'on m'a dit, essentiellement métaphysicien et penseur; mais moi, par une extension raisonnée du mot, je nomme mysticisme une certaine dis position à prendre très au sérieux les spéculations relatives aux destinées de l'homme, et à en tirer une pratique de vie qui vous distingue du grand troupeau des gens à âme plate, qui ne sentent pas, comme je dis quelquefois, l'aiguillon des choses

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