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messe, Towianski attira tout le monde sous la tour du midi, et parla pendant un quart d'heure, affirmant que le temps était venu, et que de grandes choses allaient s'accomplir.

Cependant Mickiewicz avait repris son cours, pour la deuxième année (1842). Les bons frères y assistaient religieusement. Towianski, toujours présent dans l'amphithéâtre, était l'âme de l'assemblée, après avoir été le conseiller du professeur. Après le College de France, on se voyait, on s'exhortait; on allait parfois à Nanterre, où se faisaient des prédications, en présence d'une image de Napoléon, dont le nom jouait un immense rôle dans toute l'affaire.

Towianski déployait personnellement une activité incroyable. Il allait, il venait, il prêchait; on le trouvait partout. Un jour, pour parler au roi, il se mit à la suite d'une légation étrangère qui entrait aux Tuileries. Je ne sais quel hasard le fit reconnaître et expulser. Furieux de cette aventure, il commença à parler assez librement de la cour. Quand, au 13 juillet, 1842, arriva la mort du duc d'Orléans, il déclara qu'il avait positivement prédit cette mort, ajoutant que, si l'on ne voulait pas l'entendre, toute la famille royale périrait d'une manière analogue. Instruite de ces discours, la police le fit arêter (18 juillet 1842) et, sous l'escorte de deux gendarmes, le fit conduire jusqu'à la frontière de Belgique, d'où il se rendit à Bruxelles. Grands furent l'étonnement et la douleur des adeptes, à la nouvelle de cet événement, et, malgré la prophétie de Goutt, qui affirmait que Towainski reviendrait en 1844, à la tête d'un million d'hommes, ils crurent devoir adresser au ministre de l'interieur une pétition ayant pour objet d'obtenir le rappel du maître. Leurs efforts furent inutiles: Towianski ne vit se rouvrir pour lui les portes de la France qu'après la révolution de Février.

Avant de passer outre, je dois m'arrêter un peu à l'accusation si grave que certains Polonais ont fait peser sur Towianski et sur sa secte. C'était, disent-ils, un homme, c'était une oeuvre, dont la Russie payait les frais.

Je répète que, dans mon âme et conscience, je n'en crois rien. J'ai étudié la conduite de Towianski et des siens à Paris, pendant les anées 1841, 1842 et 1843, et je déclare que rien ne m'y a paru positivement suspect. Dans l'affaire Mirski, ils se conduisirent très noblement. Ce Mirski, chef émigré de la famille des princes Suriatopolk Piast Mirski et Czetwertynsky, fit, en 1843, sa soumission à la Russie, par des lettres rendues publiques, où il déclarait que, suivant lui, «la cause de l'exisience indépendante de la Pologne était définitivement enterrée.»>

Les towianskistes, comme les autres Polonais, se montrèrent indignés de cette conduite. Une protestation solennelle fut rédigée par M. Mickiewicz et signée pas tous ses amis. Voici cette protestation, à laquelle, à ce qu'il paraît, Towianski donna son adhésion pleine et entière:

« Nous soussignés, vụ:

Que l'on a répandu récemment, parmi les émigrés polo«nais, des lettres portant la signature du prince Suriatopolk «Piast de Mirski, dans lesquelles ledit prince annonce qu'il << vient d'obtenir, pour lui, l'amnistie de l'empereur de Russie; «qu'il a passé de l'église catholique au schisme grec, et qu'il «espère voir ses compatriotes suivre son exemple;

«Attendu :

«Que Mirski, interpellé par trois de nos compatriotes, envoyés «vers lui à cet effet, s'avoua l'auteur des lettres susmentionnées; «Nous avons senti qu'il était de notre devoir de nous réunir, <«< afin de prononcer au nom de Dieu, en notre âme et con« science, un jugement sur cette action de Mirski.

«En conséquence, nous nous sommes réunis, l'an 1843, ce <«<27 mars, et nous avons, en notre âme et conscience, jugé «cette action de Mirski, et nous l'avons condamnée:

«Comme un acte de haute trahison envers la nation polonaise, «restée saintement fidèle à la pensée divine qu'elle représente, <«<et dont elle conserve le symbole dans sa foi et dans ses « espérances;

«Comme un acte de calomnie envers l'émigration polonaise, <«<qui demeure fidèle à sa mission nationale;

«Comme une insulte à toute la race slave, qui abhorre « d'instinct toute espèce de trahison;

« Comme un acte d'ingratitude envers la France, notre sœur«patrie, qui accueillit Mirski dans ses foyers à titre de défen<«<seur de la nationalité polonaise, et dont il avait mangé le «<pain le jour même où il méditait son attentat contre la nation « polonaise;

«Nous soussignés, avons décidé de porter ce jugement, <«<expression de notre commun sentiment, à la connaissance de «la Pologne, de la France et des peuples slaves, et d'en con<< server l'acte original, destiné à être remis un jour au gouver«nement que la Providence aura chargé d'exécuter de fait, sur «la terre, la justice que nous avons l'intime conviction d'avoir «aujourd'hui moralement exercée devant Dieu.»>

«Paris, 27 mars 1843.>>

(Suivent les signatures, à la tête desquelles se lit celle d'ADAM MICKIEWICZ.)

Je veux bien que les bons frères aient manqué parfois d'énergie contre l'autocrate russe: la preuve qu'ils en manquaient, c'est qu'ils se sont réfugiés dans le monde vague de la mysticité, où le rêve console de la réalité décevante; mais, d'après une pareille pièce, on doit voir qu'ils ne manquaient pas d'amour pour la Pologne.

CHAPITRE VI.

André Towianski et Adam Mickiewicz.

(SUITE ET FIN).

VI.

NAPOLEONISME POLONAIS.

Sous le premier empire, la Pologne conçut de si ardentes espérances dans la France armée contre ses maîtres, que, depuis ce temps-là, le nom de Napoléon est resté, pour ses enfants tyrannisés et proscrits, comme une garantie de future rédemption. C'est ce qui explique les tendances napoléoniennes des polonais en 1849, tendances qui furent spécialement manifestées par le journal la Tribune des peuples, dont M. Mickiewicz était le rédacteur en chef. C'est ce qui explique aussi le Napoléonisme de la secte de Towianski, dans les années 1842, 1843 et 1844.

On a vu déjà que Towianski se déclarait une incarnation de Napoléon; on a pu remarquer également les promenades des bons frères, allant à Nanterre visiter le portrait du grand homme.

Ces tendances ne firent qu'augmenter après le départ de Towianski. Citons quelques détails pour donner au lecteur une idée de l'intensité qu'elles avaient prises.

L'année 1844, d'après les prédictions de Towianski, devait être une année fastique: c'était la date fixée d'en haut pour la révolution européenne. Toujours d'après Towianski, dont

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