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Je ne saurais trop le répéter, ces messieurs sont les mêmes toujours et partout depuis Melchisé dech: c'est pourquoi je suis volontiers de l'avis de ces vilains rationalistes, qui disent: si nous tâchions de nous passer de ces messieurs!

MM. les prêtres positivistes, dans les intervalles que leur laisseront les fonctions de censeurs, seront aussi médecins, comme MM. les druides. La distinction du sacerdoce et de l'art médical est une déplorable conséquence de l'anarchie moderne. « Dans les antiques théocraties, qui constituèrent le mode le «plus complet et le plus durable du régime surnaturel, cette <«< vaine division n'existait pas: l'art hygiénique et l'art médical <«<y furent toujours une simple annexe du sacerdoce.>>

Vraiment, il ne manque plus à M. Comte que de proclamer le gui de chêne comme panacée universelle!

Sur les usages et les plaisirs de la vie, Sa Sainteté le GrandPrêtre a des opinions cénobitiques qui témoignent de la gravité de ses moeurs. Les femmes et les prêtres ne boiront pas de vin. Les premières s'y feront peut-être; mais, pour les seconds, voilà qui dérangera beaucoup leurs habitudes.

Le sacerdoce réglera sagement la nutrition et, «malgré les sophismes de la gourmandise», il prêchera et fera pratiquer cette maxime « de l'incomparable poème de l'Imitation: frena gulom, et omnem carnis inclinationem faciliùs frenabis.»

MM. les prêtres donneront aussi un important conseil au pouvoir temporel. Ils lui sonseilleront de régler la procréation. Il faut perfectionner l'espèce humaine comme les espèces animales. Un quart des hommes devrait s'abstenir de procréer; « la société a tort également de protéger toutes les naissances (Catéchisme. p. 276)», Vous vous rappelez que le sacerdoce admettra géné. ralement les nouveau nés au sacrement de la Présentation, « sauf des cas extrêmement rares.»> Cela fait penser aux lois grecques contre les enfants infirmes.

Touchant le mariage, M. Comte fait une curieuse proposition, Il propose l'institution des mariages chastes, «d'après la théorie positive de l'union conjugale, où les relations sensuelles ne sont pas nécessaires.» A côté de ces mariés, «qui se perfectionneraient mutuellement », il y aurait «des couples spécialement voués à la procréation.»>

Ici se présente une question: quels seraient les hommes les plus recherchés des femmes, les maris étalons, ou les maris castrats en quête d'épouses propres à leur perfectionner le moral ?

C'est là un grave problème, que je soumets aux vaudevilistes de France.

Puisque nous en sommes aux femmes, disons quelle situation M. Comte veut leur faire dans sa société.

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Il est très opposé aux idées «révolutionnaires » émises sur «la prétendue émancipation des femmes » L'une des principales fonctions du sacerdoce, suivant lui, sera de faire «sentir aux femmes le mérite de la soumission, en développant cette admirable maxime d'Aristote: la principale force de la femme consiste à surmonter la difficulté d'obéir.»

Si M. Comte ne veut pas de l'émancipation des femmes, telle que l'entendent certaines écoles politiques ou socialistes, il ne s'ensuit pas qu'il partage à leur égard les sentiments étroits de la vieille philosophie. On a pu voir plus haut qu'il leur donne la prééminence morale. Il insiste en maint endroit pour que cette prééminence devienne de plus en plus considérable. Les moyens qu'il en indique sont au nombre de trois:

1 Une éducation et une instruction plus complètes; il est de l'avis de la comédie:

Je consens qu'une femme ait des clartés de tout.

2o La suppression des dots, grâce à laquelle la femme ne sera plus recherchée que pour elle-même. M. Comte, pour atteindre ce but, ne se contente pas de supprimer les dots; il établit que les femmes doivent renoncer au droit d'héritage.

3o Leur éloignement systématique des occupations et des travaux lucratifs, et leur entière consécration aux soins intérieurs. Le positivisme inscrit ceci parmi ses axiomes: l'homme doit nourrir la femme. En conséquence de cet axiome, M. Comte veut écarter les femmes de toutes les professions commerciales et matérielles: «.....La dégradation morale, dit-il, m'a paru «<plus grande encore quand la femme s'enrichit par son propre «travail. L'âpreté continue du gain lui fait perdre alors jusqu'à «la bienveillance spontanée que conserve l'autre type au milieu « de ses dissipations. Il ne peut exister de pires chefs industriels «que les femmes.>>

Sur l'éducation, M. Comte a une idée fort originale. Il veut que, par rapport à la religion, on fasse successivement passer

l'enfant par le fétichisme, par le polythéisme et par le monothéisme, pour l'introduire enfin dans l'athéisme positiviste. L'enfant, à son sens, doit ainsi traverser personnellement toutes les phases qu'a parcourues la société. Il est dommage que pour une initiation aussi lente, la vie humaine soit si courte. Ce système pourrait être fort bon si les hommes vivaient 140 ans, suivant la théorie de Victor Hennequin. Et puis, il est possible, comme le dit M. Comte, «qu'il y ait une profonde affinité entre le positivisme et le fétichisme»; mais je crois qu'entre la société de l'avenir et le fétichisme, il y aura divorce absolu.

J'approuve assez l'antipathie que M. Comte ressent contre les pensions et les collèges. Il déclare que l'éducation positiviste «ne soustraira jamais l'adolescent à ses relations de famille.>>> Il exprime énergiquement sa profonde aversion pour nos cloîtres scolastiques où la corruption se développe encore davantage que la stupidité.»>

A l'égard des questions sociales proprement dites, celles qui se rattachent aux droits du travail et de la propriété, M. Comte, tout en conservant les tendances saint-simoniennes sur la prépondérance du capital, des banquiers, etc., émet ça et là des idées d'un socialisme très avancé, qui frise même un peu le communisme. Par exemple, il conclut, comme Proudhon, à ce que les locataires d'une maison en deviennent propriétaires, après un léger surcroît de loyer pendant quelques années; à ce que le salaire des ouvriers soit organisé en vue d'obvier aux inconvients du chômage, etc. Il ajoute ce détail caractéristique: «La religion positive impose à chacun le devoir de ne jamais changer sans de grands motifs ni ses inférieurs ni ses supérieurs. La capricieuse mutation des fournisseurs habituels devient ellemême blåmable, puisqu'elle tend à troubler l'économie générale de leurs opérations, qui suppose une suffisante fixité de leur clientelle.>>>

Voilà un point de religion qui entraînerait certainement la conscience de tous les « dignes » marchands, épiciers, rôtisseurs, charcutiers et autres.

J'achèverai de caractériser la nature d'esprit de M. Comte, en mentionnant quelques-unes de ses opinions historiques, qui, souvent, ne laissent pas d'être fort singulières.

M. Comte, comme je l'ai dit ailleurs, accepte «<l'ensemble de la succession humaine.» Il systématise à posteriori toutes

les évolutions de la société. Il rend successivement honneur au fétichisme, «qui fait prévaloir dans la religion le type humain », du polythéisme, qui « est essentiellement une synthèse objective de toutes les manifestations religieuses», et au catholicisme, dont le positivisme «n'est que la transformation rationelle.

Tout ce qui s'est passé sous ces trois régimes, est expliqué, consacré par M. Comte. Les choses les plus universellement blâmées dans les annales du régime polythéiste et catholique, trouvent en lui un avocat systématique.

Il expose la nécessité et la légitimité de l'esclavage antique qui «< habitua l'homme au travail..... et qu'on ne peut aucunement comparer à l'éphémère monstruosité que nécessita la colo

nisation moderne.>>

Il y a une aussi grande frivolité dans les reproches adressés au polythéisme par saint Augustin, que dans les diatribes dirigées contre le catholicisme par Voltaire.>>

A l'égard de l'établissement du christianisme, il n'appelle jamais Jésus-Christ que «le faux fondateur.» Il ne tarit pas d'éloges sur «l'admirable saint Paul qui a laissé prévaloir ce faux fondateur.>>

Au moyen-âge, M. Comte trouve matière à des admirations fort étranges.

La féodalité est expliquée, non comme une conséquence de l'invasion, mais comme «une suite nécessaire des destinées de l'empire romain.>>>

Les Croisades sont « d'héroïques expéditions, où la république occidentale, consolidée et développée par l'activité collective, dissipa finalement toutes les inquiétudes d'invasion musulmane.>> Il est fâcheux, pour cette théorie, que les croisades fussent terminées depuis deux cents ans, quand les Turcs sont venus, finalement, s'établir en Europe, et que, depuis leur établissement, les croisades n'aient pas recommencé.

M. Comte, qui vénère beaucoup les papes du moyen-âge, professe une véritable horreur pour le protestantisme, qui est venu, au XVIe siècle, " proclamer l'individualisme absolu.>>

Outre le protestantisme, M. Comte trouve deux grands objets d'antipathie dans les temps modernes, ce sont: le XVIIIe siècle dans son ensemble, puis Napoléon. Dans le temps qui a précédé le moyen-âge, l'homme qu'il déteste le plus, c'est Julien.

Dans la première édition du Calendrier positiviste, on li

sait ceci :

Réprobation solennelle des trois principaux rétrogradateurs, Ju

Jour additionnel des années bissextiles lien, Philippe II et Bonaparte,

mais seulement pendant la première demi-génération.

Autre idée historique très curieuse: «J'ose ici, dit M. Comte, proclamer les voeux solennels que je forme, au nom des vrais positivistes, pour que les Arabes expulsent énergiquement les Français de l'Algérie, si ceux-ci ne savent pas la leur restituer dignement. Je m'honorerai toujours d'avoir, dans mon enfance, ardemment souhaité le succès de l'héroïque défense des Espagnols.>>

On voit, j'insiste sur cette observation, que M. Comte allie ensemble des opinions qui paraissent au premier abord très inconciliables, entre autres, une tendance visible vers le progrès, puis une sympathie bizarre pour les adversaires du progrés; une théorie de la fatalité historique, puis une haine violente contre certains instruments de cette fatalité. Tout cela, on l'avouera, ne se justifie guère au point de vue de la logique rigoureuse: et ce qu'il y a de plus clair dans cette mosaïque d'originalités, c'est que, pour M. Comte, le mouvement historique tout entier a eu pour objet la préparation du positivisme, et conséquemment la glorification de son fondateur.

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Pour mettre plus de netteté dans notre exposition, nous avons glissé, dans le précédent chapitre, sur le culte concret, qui s'applique, non plus comme les fètes générales du positivisme, aux choses abstraites de la sociabilité humaine, mais

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