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« solution générale de la construction mécanique des corps célestes, « et plus spécialement de notre globe, solution où il sera dé«montré rigoureusement que la théorie de la terre, celle que «la science possède aujourd'hui, depuis le théorème de Newton «jusqu'à celui de Clairaut, est erronée; enfin 3o la solution a générale de la construction mécanique de l'univers, formant <«< ce que l'on nomme populairement et si inexactement mécani«que céleste, solution où l'on découvrira enfin les véritables «<lois systématiques de cette construction de l'univers, qui «montreront que tout ce que l'on a tenté à cet égard, n'offre <«<encore que des essais rhapsodiques.>>

Un homme si savant ne pouvait manquer d'être mal noté à l'Académie. Comme il est facile de le deviner, Hoëné fut mis à l'index du palais Mazarin; les longs rapports du mathématicien polonais avec l'Institut sont même un des épisodes les plus curieux de l'éternelle lutte de ce corps contre la science indi viduelle.

Je ne veux pas dire, qu'on le remarque bien, que Hoëné eut raison contre l'Académie des Sciences. Je répète ce que j'ai dit, sa valeur scientifique est très diversement appréciée. Tout en lui accordant une singulière connaissance des formules mathématiques, de ce qu'on pourrait appeler le vêtement de la science, plusieurs prétendent qu'il n'y a pas grand' chose sous ses splendides annonces. Il en est qui ajoutent que ses prétendues découvertes sont des riens pompeux, qui sont souvent en contradiction avec l'évidence elle-même. On m'affirme que cette dernière opinion était celle d'Arago. Le fait est que le National, qui servit souvent d'organe aux antipathies politiques et scientifiques de l'illustre astronome, parlait fort mal de Wronski.

Hoëné avait eu maille à partir, depuis bien longtemps, avec le génie lucide d'Arago. Dès 1811, le futur Herschell de la France, avait rédigé un rapport peu sympathique au géomètre polonais. Hoëné lui en garda toujours rancune, et j'aime beaucoup le voir en 1847, au moment où Arago était dans toute sa gloire, rééditant, ou plutôt publiant pour la première fois, une lettre manuscrite adressée ou censée adressée au pape Léon XII, en 1827, et écrivant, dans cette lettre, ce passage:

«Le rapport par lequel l'Institut se défendait lui-même dans «sa tendance matérialistique, n'était signé que par deux savants « d'un ordre trop inférieur pour appartenir à l'histoire de « la science, nommément MM. Legendre et Arago.»

Arago, Arago en 1847, savant d'un ordre trop inférieur pour appartenir à l'histoire de la science! O froissement de

l'amour-propre, quels petits et vilains enfants vous faites des hommes!

Il est difficile à quelqu'un qui n'est pas du métier de se prononcer entre Arago et Wronski. Un fait surtout est là, qui vous arrête: c'est un rapport adressé aussi à l'Académie, signé Lagrange et Lacroix, et qui rend à l'inventeur de «la loi absolue des mathématiques » le témoignage suivant:

«Ce qui a frappé vos commissaires dans le Mémoire de M. Wronski, c'est qu'il tire de sa formule toutes celles que l'on connait pour le développement des fonctions, et qu'elles n'en sont que des cas très particuliers.»

Signé: LAGRANGE,
LACROIX.

Laissant la question à débattre aux hommes compétents, je me contente de regretter que Wronski se soit montré trop exigeant envers l'Académie, et l'Académie trop fière à l'égard de Wronski, ce qui est une appréciation peu compromettante, capable de me bien faire venir des cœurs sensibles, et je poursuis l'histoire de mon héros.

Les mathématiques ne lui rapportaient pas grand' chose, et ses relations assez désagréables avec l'Académie, n'avaient d'autre influence sur sa vie matérielle que de l'appauvrir, en l'obligeant à payer les ports de lettre de ces messieurs. Hoëné, qui avait quitté Marseille, vivait très péniblement à Paris. Les subsides donnés aux réfugiés polonais lui ayant manqué, il finit même par tomber dans une misère profonde, une de ces misères que les fils de famille devenus académiciens ne connaissent pas, où la vie du savant est en lutte incessante avec les nécessités du pauvre, où l'homme d'étude en haillons noirs, descend de sa mansarde, les yeux hagards et le front rêveur, pour aller quêter chez ses connaissances, qui le fuient, la pièce de monnaie, destiné à faire vivre sa famille éplorée, misère touchante où, parfois, le génie lui même, le vrai génie, convoite un sou pour avoir un petit pain!

Pauvre Wronski! Vous êtes un de ces esprits qui ne me reviennent guère; vous êtes, en mathématique, très insolent pour vos adversaires et très ingrat pour vos prédécesseurs et vos maîtres; vous êtes, en philosophie, comme je le montrerai tout-à-l'heure à mon lecteur, d'un orgueil infini et d'une outrecuidance que ne justifient pas vos rêveries sans consistance et sans fond mais qu'expliquent les obstacles et les souffrances; en un mot, votre individualité m'irrite et m'agace au delà du possible; vos livres in-quarto m'ont donné la fièvre de l'ennui,

du ressentiment et même de l'indignation. Hé bien! malgré tout, il y a un moment dans votre vie où vous me touchez et où vous m'arrachez des larmes; c'est le moment que vous racontez vous-même en ces termes

« Réduit à l'indigence, et n'ayant alors personne à Paris qui «<pût le secourir, M. Hoëné Wronski, après avoir produit à «l'académie des sciences de cette ville la loi suprême des <«mathématiques, et après avoir publié la Philosophie des « mathématiques, vit mourir son enfant malade, faute de pou<<< voir lui procurer les moyens nécessaires à sa guérison, et <«<était sur le point de subir le même malheur dans la personne «de sa jeune femme, pour laquelle il pouvait à peine se pro«curer de chétifs moyens d'existence. Il n'avait, en effet, que <«<le très faible salaire qu'il recevait pour des leçons de mathé«matiques qu'il donnait dans un petit pensionnat à Montmartre; «et il était obligé pour pouvoir faire subsister sa femme, de se «priver de chaussures et de marcher avec des sabots de bois.»> Et ailleurs:

«Né de parents aussi riches qu'éclairés, et ayant passé sa «<jeunesse au milieu d'une grande aisance, il supportait avec "résignation la misère qu'il lui fallait subir pour éclairer les << hommes. Ne pouvant se procurer les moyens d'existence en «donnant des leçons, il ne vivait le plus souvent que de chari«tés, en acceptant, pour pouvoir arriver à ses nobles fins, les « plus grossières humiliations.>>

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Si tout cela est triste, il y a là-dessous quelque chose d'odieux, et je dois le dire à la honte des savants officiels de l'époque: il paraît positif que des jeunes gens préparés aux grands examens mathématiques par le pauvre savant, furent refusés uniquement à cause du nom de leur professeur. Voilà de ces scélératesses qu'on aimerait à croire supposées par l'amourpropre offensé, et par cet esprit d'inquiétude et d'injustice, qu'engendre souvent l'excès du malheur.

Ce fut probablement dans cette période de misère et d'humiliations que Hoëné changea son nom en celui de Wronski. Je ne sais si ce fut précisément, dans sa pensée, un change. ment ou une simple addition nominale. Dans tous les cas, c'est le lieu de remarquer ici la métamorphose qu'ont fait subir à leurs noms la plupart des fondateurs de culte. En cela, Hoëné imita saint Paul, qui primitivement, s'était appelé Saul; saint Pierre (Céphas) auquel Jésus, d'après l'Evangile, donna ce nom, à la place de celui de Simon, qu'il portait auparavant; Manès, dont le vrai nom était Choudric; Swedenborg, dont le père se nommait simplement Swedberg. Il semblerait

que ces âmes hardies, au moment où elles sentent en elles le premier frémissement de leur idée dominante, veulent renouveler le fait de l'antique initiation patriarchale, lorsque Jéhovah ne voulut parler au chaldéen Abram, et lui développer les promesses messianiques, qu'après avoir ajouté une sylabe mystérieuse à son nom primitif qui fut transformé en celui d'Abraham.

Wronski poursuivait ses travaux mathemathiques et ses études de haute philosophie au milieu des angoisses de la misère, lorsqu'un heureux hasard vint à son secours.

C'était en 1812. Wronski avait beaucoup lu Kant; il suivait le mouvement philosophique d'Allemagne, et il était familiarisé avec l'idée de l'absolu, qui est une très grande idée assurément, mais qui, par malheur, n'a jamais été guère mieux comprise de ses inventeurs et de ses prédicateurs que du public. Il y avait alors certains mots qui couraient l'Allemagne, et qui y vidaient nombre de cervelles trop exclusivement attachées à en pénétrer le sens; tels étaient les mots de l'hilosophie absolue, de Transformation du savoir humain par l'identification de l'Etre et du Savoir, etc., etc. Wronski, en sa qualité de jugement faux, comprenait admirablement ces sublimes inanités, et, très semblable en cela à ses maîtres d'outre-Rhin, il développait compendieusement tous les détails de la doctrine, sans pouvoir faire comprendre le premier mot de sa pensée à qui que ce fût.

Il y en eut un cependant qui crut comprendre.

Il se trouvait alors à Paris un jeune et riche banquier de Nice, qui se nommart Arson. C'était un homme d'environ trentecinq ans, très porté, par un tempérament faible et mélancolique, aux choses du mysticisme. Wronski parlait déjà de refaire l'esprit humain par une méthode infaillible à lui connue. Il prétendait avoir des secrets admirables pour faire entrer l'humanité dans une voie en quelque sorte divine. Déjà il se disait chargé d'inaugurer une époque de renouvellement universel ou, comme il dit, de messianisme. Le disciple de Lalande s'était sacré prêtre, et roi sans doute, car ils sont toujours l'un et l'autre ensemble depuis leur grand aïeul Melchisédech.

M. Arson avait eu occasion d'entendre Wronski, et il en était émerveillé. Très désireux d'être aussi savant que le maître, et voulant peut-être substituer le riche banquier au pauvre diable dans les nobles fonctions de messie, il fit une convention avec Wronski. Celui-ci devait initier Arson à sa science surhumaine, lui ouvrir tous les arcanes de sa mission providentielle, lui apprendre la manière précise de réformer le savoir humain en identifiant l'être et le savoir, et autres merveilles

surprenantes, et, en récompense, Arson donnait à Wronski cinquante mille francs comptant, plus une promesse de deux cent cinquante mille francs, en tout trois cent mille francs.

L'affaire conclue, Arson se fit écolier et écouta. Le premier jour, ce fut un immense enthousiasme. Le premier mois se passa bien. Les mois suivants allèrent clopin clopant. Arson ne s'identifiait pas absolument avec le savoir de Wronski. Bref, ce qui devait arriver arriva: au bout d'un certain temps, Arson, conseillé sans doute par ses amis, trouva que les arcanes du messie s'illuminaient médiocrement, et qu'il avait payé, et surtout promis de payer bien cher, les nuages creux de la philosophie allemande. Non-seulement il refusa de verser d'autre argent, mais, de plus, il redemanda celui qu'il avait donné. De là un procès, qui fit beaucoup rire dans le temps, et qui se termina par un jugement que nous trouvons, pour notre part, digne de Salomon: il fut ordonné que Wronski resterait payé, mais qu'Arson ne payerait plus. Comme de juste, les plaideurs ne furent contents ni l'un ni l'autre, et, depuis ce temps-là, Wronski fut tout autre chose que le messie pour Arson, et pour Wronski, Arson ne fut plus qu'un païen et un publicain. Telles sont les aménités des dieux et apprentis dieux de ce siècle.

A dater de l'aventure Arson, nous sommes entrés pleinement dans la seconde période de la vie de Wronski, c'est-à-dire dans sa carrière philosophique et messianique. C'est cette face de son esprit qu'il s'agit surtout ici de mettre en relief; mais nous ne voulons pas dissimuler une chose, c'est que, pour éclairer les mystères qui vont s'offrir maintenant à nos yeux, nous avons énormément besoin des lumières du Saint-Esprit. Implorons-le par le Veni creator.

Avez-vous suffisamment toussé?

Vous êtes-vous suffisamment mouché?

L'ouvreuse qui fait payer les chaises a-t-elle l'air de vouloir rester un peu tranquille?

Fort bien! Je commence. Dieu me soit en aide. Amen.

PREMIER POINT.

Parlons d'abord, mes chers frères, de l'instrument dont se sert Wronski pour exposer ses dogmes; parlons du style et de la composition extérieure de l'écriture sainte, sur laquelle est fondée la religion de l'Absolu.

Ce qui est frappant avant tout, chez la plupart de mes héros, c'est leur atroce manière de rédiger leurs livres sacrés. On ne saurait, sur ouï-dire, se faire idée de ces forêts épais

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