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glise gallicane: comment saisira-t-il le point qui les sépare, qui permet les opinions lorsqu'elles ne sont qu'erronées, et se bornent à la spéculation, mais qui les punit lorsqu'elles peuvent être mises en pratique? Qui s'assurera qu'il ne plaira pas au ministère public de poursuivre un ouvrage dont les doctrines seront irréprochables dans le fond? Cependant, si, par cela seul que l'ouvrage était exposé à la poursuite, et conséquemment à la saisie et au séquestre, l'imprimeur qui a déjà fait tout ce qui dépendait de lui pour être à l'abri de reproches, et qui pourtant éprouve un dommage réel dans cette saisie et ce séquestre, risquait en outre d'être attaqué personnellement, quoiqu'il eût agi de bonne foi, quel est celui d'entre eux qui pourrait l'éviter? Je dis plus, quel est celui qui voudrait imprimer? Il était donc tout simple que la loi les en affranchît, et c'est ce qu'a fait celle du 17 mai 1819, dans son art. 24.

Elle excepte le cas où l'on prouverait que l'imprimeur a agi sciemment, et elle a rai

son; car alors c'est de son propre fait qu'il répond, et il ne peut plus alléguer sa bonne foi, puisqu'on prouve qu'il savait que l'ouvrage qu'il imprimait était dangereux : il ne mérite aucun égard; il n'a été dirigé que par une basse cupidité.

Les précautions prises contre les imprimeurs ont été, par la loi du 9 juin 1819, étendues aux journalistes dans les points où elles peuvent leur être applicables.

Ainsi, par l'art. les amendes pronon

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cées, par la loi du 17 mai précédent, pour les autres publications, le seront pour les leurs, et pourront même être doublées et quadruplées. Par l'art. 1., les propriétaires ou éditeurs de journaux doivent, 1o. déclarer le nom au moins d'un propriétaire ou éditeur responsable, sa demeure et son imprimerie; 2o. fournir un cautionnement de 5,000 à 10,000 fr. pour Paris, et proportionné, pour les autres villes, à leur impor

tance.

Ce système sur la police de la presse semble complet et rassurant pour les gens les

plus ombrageux, si même il n'est pas trop rigoureux; néanmoins le nouveau projet le trouve insuffisant, voyons en quoi.

Le dépôt est exigé, a dit en substance M. le Garde-des-Sceaux; mais à quoi sert-il s'il ne précède pas la publication? Il n'est utile que pour faciliter l'examen du livre.

Sur la première assertion, j'observe qu'elle est erronée en point de fait; car la loi du 21 octobre 1824 voulait, comme le projet, que le dépôt précédât la publication, nous l'avons vu: ce projet serait donc inutile à cet égard.

La deuxième assertion sera examinée plus bas, elle doit être approfondie, ainsi les que motifs de la variation des délais pour la durée du dépôt suivant le nombre de feuilles.

L'art. 3 applique les peines prononcées par la loi d'octobre à tout imprimeur qui imprimerait un plus grand nombre de feuilles que celles qu'il aurait déclarées.

Mais cette loi avait été fort sage de se borner à vouloir que l'imprimeur énonçât le nombre de ses feuilles, sans prononcer de

peine pour inexactitude dans la déclaration; elle ne pouvait pas faire davantage : car la déclaration devant avoir lieu avant l'impression, il était physiquement impossible de calculer au juste le nombre de feuilles que pouvait produire un manuscrit, quand même l'auteur n'y aurait fait aucune cor

rection.

De plus, les auteurs ne font-ils pas constamment des changemens à leurs manuscrits? Combien trouve-t-on de variantes des

plus célèbres, tels que Fénélon, Voltaire et Rousseau? Nous serions donc condamnés à n'avoir que des ouvrages réprouvés, en quelque partie, par leurs auteurs eux-mêmes, soit quant aux idées, soit quant au style.

On veut pourtant non-seulement que l'imprimeur soit puni de ce qu'il n'a pas pu empêcher, mais encore que les feuilles qui excéderaient le nombre porté dans la déclaration soient supprimées et détruitės.

Ainsi, de toute nécessité, il faudra qu'un ouvrage reste imparfait et mutilé, non-seu

lement s'il y a des changemens dans le manuscrit, mais encore dans le cas même où il n'y en aurait pas, puisqu'on devra toujours supprimer ce qui excédera le nombre de feuilles porté dans la déclaration, et qu'il est impossible de le fixer au juste; et comme un ouvrage où tout n'est pas complet présente le plus souvent un sens ridicule, et expose son auteur aux sarcasmes les plus piquans, on n'aura, pour s'y dérober, d'autre ressource que de ne pas écrire; elle sera le résultat infaillible de cet article, car un auteur vise toujours à la gloire, il n'écrirait pas sans cela : c'est elle qui, comme l'observait ingénieusement l'un des plus illustres Pères de l'Église latine, dirige celui même qui la censure; et puisqu'il sera certain d'arriver à un but tout contraire de celui qu'il se propose, il se gardera bien d'employer son temps et ses talens à des ouvrages littéraires ou scientifiques, quels qu'ils

soient.

Il n'est pas responsable de cette mutilation, il est vrai; mais cela n'empêche pas

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