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qu'un fait, et nullement un droit. Les décrets n'étaient, comme aujourd'hui les ordonnances, que pour l'exécution des lois; ils supposaient donc la préexistence des lois; ils ne pouvaient donc pas leur être contraires; bien plus, ils ne pouvaient donc pas les suppléer.

Ce qui est pour l'exécution d'une chose n'est rien, si cette chose n'existe pas; les décrets qui se substituaient aux lois étaient donc radicalement nuls.

La Cour de cassation a pourtant décidé que ces décrets avaient pu être regardés comme obligatoires, mais c'est seulement en ce que l'exécution qui leur avait été donnée devait être maintenue, quoiqu'on eût pu originairement refuser de les exécuter. En effet, cette exécution avait acquis des droits à l'une des parties, et les choses avaient cessé d'être entières.

Mais la Cour de cassation n'a pas pu vouloir dire que, même pour l'avenir, des décrets fussent obligatoires comme des lois; et quoiqu'il n'y eût aucune loi sur la ma

tière pour laquelle ils auraient disposé, en ce sens elle aurait elle-même empiété sur le pouvoir législatif; elle aurait dépassé le cercle de ses propres attributions; en outre elle aurait renversé la barrière posée par le législateur; elle aurait transféré dans une seule main le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, tandis que la Constitution les séparait, et que cette séparation faisait même l'une de ses bases.

Si le Roi ne pouvait pas, autrefois même, rendre ses ordonnances obligatoires par sa seule volonté, et sans l'intervention des corps qui représentaient la nation; si pourtant il était et est encore tellement au dessus d'eux, qu'il peut, dans les cas non prévus par la loi, annuler leur délibération, bien moins doit-il aujourd'hui pouvoir seul abroger la loi ou directement ou indirectement; il s'est lié lui-même les mains par la Charte qu'il a donnée à son peuple, et qu'on peut regarder comme l'équivalent des droits que celui-ci avait auparavant.

Il y a pourtant cette différence entre les

lois fondamentales et les lois non fondamentales, que les premières n'ont jamais pu être changées sans l'intervention du corps entier de la Nation, ou sans que ses représentans reçussent de lui à cet égard des pouvoirs formels; au lieu que, pour les dernières, leur abrogation résultait de cela seul que le Roi rendait une loi contraire, et que les Parlemens l'enregistraient.

On peut aisément en comprendre la raison. En choisissant son Roi, le peuple lui a toujours, soit expressément, soit tacitement, conféré le droit de faire des lois, ou seul, ou avec l'intervention de quelque autre corps de l'État, et de les changer si elles cessent d'être en harmonie avec les mœurs de la majorité des citoyens : ce droit est inhérent à la royauté, sans lui elle ne pourrait rien faire pour le bonheur des sujets; elle n'aurait qu'une autorité passive, telle que celle des rois de Sparte, qui ne l'étaient que de nom; car ils étaient, en réalité, de simples magistrats dans la ville, et des généraux à l'armée, comme les consuls de Rome et les suf

que

fêtes de Carthage; il serait même à craindre de nouveaux éphores ne fissent subir à ceux qui en seraient revêtus le sort du vertueux Agis.

Mais ce droit ne peut pas renfermer celui de changer les lois fondamentales, puisque celui qui l'exerce ne le tient que de ces lois mêmes, et qu'elles existaient déjà quand il l'a reçu.

Le peuple seul pourrait les changer, puisque c'est pour lui qu'elles ont été faites, et que tout est subordonné à l'intérêt public, suivant la maxime: Salus populi suprema lex

esto.

Mais tant qu'il ne manifestera pas expressément sa volonté de les changer, on doit croire qu'elles lui conviennent; et comme c'est d'après elles qu'il s'est choisi un souverain, c'est pour que celui-ci gouvernât en les faisant exécuter.

D'ailleurs, n'oublions pas que les lois fondamentales sont celles qui ont pour but

de limiter l'autorité souveraine; si celle-ci pouvait les abroger, elle deviendrait bientôt despotique: or, la preuve que le peuple n'a pas voulu qu'elle acquît une nouvelle extension, c'est qu'en élisant son Roi, il a réglé les conditions sous lesquelles il exercerait l'autorité suprême.

En vertu de cette autorité, il peut donc faire des lois secondaires; mais c'est toujours en se conformant à ces conditions, sous lesquelles seules il l'a reçue : il est de principe que la condition forme une partie intégrante de la disposition, et subsiste ou tombe nécessairement avec elle.

Cela posé, on ne sera donc pas étonné d'entendre tous les publicistes reconnaître que les rois dont l'autorité est limitée ne peuvent pas changer les lois fondamentales; ils changeraient leur propre titre, celui dont ils tiennent leur autorité, et s'en créeraient un autre; ce qui ne leur est pas plus permis par le droit public, qu'à leurs sujets par le droit privé.

<< Il appartient essentiellement à la société,

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