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tendrait. Le prince Auguste voulut avoir son tour. Il en parla au comte de Mercy, qui témoigna le désir de s'entretenir avec lui, comme avec un homme capable de l'éclairer sur l'état réel de la France... Rien n'était plús plaisant que le contraste qu'offraient ces deux interlocuteurs.... L'un, le plus cérémonieux des hommes, l'autre, le plus affranchi des formes obséquieuses, et tout plein d'une franchise poussée jusqu'à la rudesse. Admirez la force du naturel!.. La première question du comte de Mercy concerna son hôtel de Paris et son mobilier. M. de Montgaillard lui en rendit compte avec la même aisance qu'il avait mise à dire à chacun ce qu'étaient devenus sa famille et ses biens. La conversation prit ensuite le ton de gravité qu'elle devait avoir... Elle se soutenait ainsi, quand les battans des portes du cabinet venant à s'ouvrir, donnèrent passage à M. le comte, depuis prince de Trautsmansdorff.... Voici M. le comte de Montgaillard, dit le comte de Mercy... J'ai entendu parler de monsieur, répondit M. de Trautsmansdorff, mais je ne le connais pas... J'ai aussi entendu parler de vous, monsieur, mais je ne vous connais pas davantage, répliqua M. de Mont

gaillard... M. le comte de Montgaillard est tout-à-fait de mon avis, M. le comte, reprit M. de Mercy, qu'on ne peut pas faire la paix avec Robespierre... Et moi, M. le comte, reprit M. de Trautsmansdorff, je suis convaincu que le temps de traiter est arrivé. Le gouvernement de Robespierre est assez bien établi ; ce sera lui qui fermera la révolution... En ce cas, monsieur, je vous conseille de vous dépêcher, répartit aussitôt M. de Montgaillard, car il sera guillotiné dans six semaines... Guillotiné dans six semaines, s'écria M. de Trautsmansdorff, où avez-vous donc pris cela, monsieur? De quelqu'un qui le sait bien, monsieur, répondit M. de Montgaillard; de Barrère, qui m'a dit il y a quinze jours à souper chez lui, que cela ne pouvait pas durer, et qu'il n'y en avait pas pour plus de six semaines à battre monnaie sur la place de la Révolution... Barrère dira ce qu'il voudra, je ne le crois point, et je ne soupe pas chez lui, répondit avec vivacité M. de Trautsmansdorff. Tant pis, monsieur, lui dit M. de Montgaillard; on ne sait on ne sait pas la révolution et on ne peut pas la combattre, quand on ne soupe pas chez Barrère... On ne pouvait pas jouer plus

serré... Après quelques minutes d'entretien, on se sépara, et M. de Montgaillard m'arrêtant entre les deux portes du cabinet musqué du comte de Mercy, me dit : Savez-vous pourquoi l'Europe est perdue? c'est parce qu'elle est gouvernée par les deux hommes qui sont là dedans... Mot plein de justesse, et qui fait pendant à cet autre du même auteur Les cabinets ont regret à leur science; ils ne veulent rien apprendre, et ils n'ont plus qu'un moment pour tout oublier... Tacite n'eût pás mieux dit... Est-ce seulement pour l'an d'erreur 1794 que cela a pu être dit?

FIN.

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