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en notre pouvoir de nous défaire d'un méchant air qui nous vient de la disposition naturelle des traits, je pense qu'après m'être corrigé au dedans, il ne laissera pas de me demeurer toujours de mauvaises marques au dehors. J'ai de l'esprit, et je ne fais point difficulté de le dire; car à quoi bon façonner là-dessus? Tant biaiser et tant apporter d'adoucissement pour dire. les avantages que l'on a, c'est, ce me semble, cacher un peu de vanité sous une modestie apparente1, et se servir d'une manière bien adroite pour faire croire de soi beaucoup plus de bien que l'on n'en dit. Pour moi, je suis content qu'on ne me croie ni plus beau que je me fais, ni de meilleure humeur que je me dépeins, ni plus spirituel et plus raisonnable que je dirai que je le suis. J'ai donc de l'esprit, encore une fois, mais un esprit que la mélancolie gâte; car, encore que je possède assez bien ma langue, que j'aie la mémoire heureuse, et que je ne pense pas les choses fort confusément,

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I Madame de Sablé, que nous verrons souvent en collaboration avec La Rochefoucauld, a dit : « C'est une force d'esprit d'avouer sincèrement nos défauts et nos perfections; et c'est une foiblesse de ne pas demeurer d'accord « du bien ou du mal qui est en nous. » (Édition de 1678, maxime 17.)

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j'ai pourtant une si forte application à mon chagrin, , que souvent j'exprime assez mal ce que je veux dire. La conversation des honnêtes gens est un des plaisirs qui me touchent le plus. J'aime qu'elle soit sérieuse, et que la morale en fasse la plus grande partie; cependant je sais la goûter aussi lorsqu'elle est enjouée; et si je n'y dis pas beaucoup de petites choses pour rire, ce n'est du moins que je ne connoisse pas ce bien dites, et que je sante cette manière de badiner, où il y a certains esprits prompts et aisés qui réussissent si bien. J'écris bien en prose, je fais bien en vers1; et si j'étois sensible à la gloire qui vient

pas

que valent les bagatelles

ne trouve fort divertis

I Des vers de La Rochefoucauld, on n'en connaît point d'imprimés; quant à ceux en manuscrit restés inédits, nous n'en trouvons aucune trace dans les portefeuilles si riches de Conrart à la bibliothèque de l'Arsenal, non plus que dans ceux de Vallant à la Bibliothèque impériale. Cependant il en existe. En 1857, nous avons vu, aux mains de M. Laverdet, juge fort expert dans la connaissance des autographes, un volume in-40, de belle reliure ancienne, aux armes du duc de La Rochefoucauld. Ce volume se composait exclusivement de pièces de vers, incontestablement écrites de la main de l'auteur des Maximes. Il ne nous fut point accordé d'apprendre quel était l'heureux propriétaire du précieux manuscrit. Quel qu'il soit, ne sommes-nous pas en droit de lui demander

de ce côté-là, je pense qu'avec peu de travail je pourrois m'acquérir assez de réputation.

J'aime la lecture, en général; celle où il se trouve quelque chose qui peut façonner l'esprit et fortifier l'ame, est celle que j'aime le plus. Surtout j'ai une extrême satisfaction à lire avec une personne d'esprit; car, de cette sorte, on réfléchit à tout moment sur ce qu'on lit; et des réflexions que l'on fait, il se forme une conversation la plus agréable du monde et la plus utile. Je juge assez bien des ouvrages de vers et de prose que l'on me montre; mais j'en dis peut-être mon sentiment avec un peu trop de liberté. Ce qu'il y a encore de mal en moi, c'est que j'ai quelquefois une délicatesse trop scrupuleuse, et une critique trop sévère. Je ne hais pas à entendre disputer, et souvent aussi je me mêle assez volontiers dans la dispute: mais je soutiens d'ordinaire mon opinion avec trop de chaleur; et lorsqu'on dé

aujourd'hui comment il ne s'est pas fait scrupule de le dérober à la connaissance des amis des lettres?

S'il n'a d'autre déduit

Que rendre sa chevance à lui-même sacrée,

nous lui dirons, avec le bon La Fontaine, qu'il mériterait bien le sort de l'Avare qui a perdu son trésor,

fend un parti injuste contre moi, quelquefois, à force de me passionner pour celui de la raison, je deviens moi-même fort peu raisonnable.

J'ai les sentiments vertueux, les inclinations belles, et une si forte envie d'être tout à fait honnête homme, que mes amis ne me sauroient faire un plus grand plaisir que de m'avertir sincèrement de mes défauts. Ceux qui me connoissent un peu particulièrement, et qui ont eu la bonté de me donner quelquefois des avis là-dessus, savent que je les ai toujours reçus avec toute la joie imaginable et toute la soumission d'esprit que l'on sauroit desirer.

J'ai toutes les passions assez douces et assez réglées on ne m'a presque jamais vu en colère, et je n'ai jamais eu de haine pour personne. Je ne suis pas pourtant incapable de me venger, si l'on m'avoit offensé, et qu'il y allât de mon honneur à me ressentir de l'injure qu'on m'auroit faite. Au contraire, je suis assuré que le devoir feroit si bien en moi l'office de la haine, que je poursuivrois ma vengeance avec encore plus de vigueur qu'un autre.

L'ambition ne me travaille point. Je ne crains guère de choses, et ne crains aucune

ment la mort. Je suis peu sensible à la pitié, et je voudrois ne l'y être point du tout. Cependant il n'est rien que je ne fisse pour le soulagement d'une personne affligée; et je crois effectivement que l'on doit tout faire, jusqu'à lui témoigner même beaucoup de compassion de son mal; car les misérables sont si sots, que cela leur fait le plus grand bien du monde. Mais je tiens aussi qu'il faut se contenter d'en témoigner, et se garder soigneusement d'en avoir. C'est une passion qui n'est bonne à rien au dedans d'une ame bien faite, qui ne sert qu'à affoiblir le cœur, et qu'on doit laisser au peuple, qui, n'exécutant jamais rien par raison, a besoin de passions pour le porter à faire les choses.

J'aime mes amis; et je les aime d'une façon que je ne balancerois pas un moment à sacrifier mes intérêts aux leurs. J'ai de la condescendance pour eux; je souffre patiemment leurs mauvaises humeurs et j'en excuse facilement toutes choses seulement je ne leur fais pas beaucoup de caresses, et je n'ai pas non plus de grandes inquiétudes en leur absence. J'ai naturellement fort peu de curiosité la plus grande partie de tout ce qui en donne

:

pour

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