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Il n'appartenait qu'à un homme d'une réputation bien pure et bien reconnue d'oser flétrir ainsi le principe de toutes les actions humaines. Mais il donnait l'exemple de toutes les vertus dont il paraissait contester même l'existence. Il semblait réduire l'amitié à un échange de bons offices, et jamais il n'y eut d'ami plus tendre, plus fidèle et plus désintéressé. « La bravoure personnelle, dit madame de Maintenon, lui paroissoit une folie, et à peine s'en cachoit-il ; il étoit cependant fort brave.» Il donna des preuves de la plus grande valeur au siége de Bordeaux1 et au combat de SaintAntoine 2.

Sa vieillesse fut éprouvée par les douleurs les plus cruelles de l'ame et du corps. Il montra dans les unes la sensibilité la plus touchante, et dans les autres une fermeté extraordinaire. Son courage ne l'abandonna jamais que dans la perte des personnes qui lui étaient chères. Un de ses fils fut tué au passage du Rhin3, et l'autre y fut blessé.

« J'ai

I En octobre 1650. — Déjà au mois d'août 1646, il avait trois coups de feu au siége de Mardyck.

reçu

2 Le 1er juillet 1652.

3 En 1672. La perte du chevalier de Malte et la

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dit madame de Sévigné, son cœur à dé

« couvert dans cette cruelle aventure; il est au

premier rang de tout ce que je connois de cou« rage, de mérite, de tendresse et de raison : je compte pour rien son esprit et ses agréments. » La goutte le tourmenta pendant les dernières années de sa vie, et le fit périr dans des douleurs intolérables. Madame de Sévigné, qu'on ne peut se lasser de relire et de citer, peint d'une manière touchante les derniers moments de cet homme célèbre; le 15 mars 1680, elle écrit : « Je crains bien que nous ne perdions << M. de La Rochefoucauld: sa fièvre a continué, il a reçu hier Notre-Seigneur1, mais son état « est une chose digne d'admiration. Il est fort bien disposé pour sa conscience; voilà qui est « fait mais, du reste, c'est la maladie et la « mort de son voisin dont il est question; il

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blessure de M. de Marsillac, son fils aîné, ne furent pas
les seuls motifs de douleur, ni les plus grands que La Roche-
foucauld éprouva dans cette circonstance. Son cœur saigna
plus cruellement encore en apprenant que le passage du
Rhin avait aussi coûté la vie à Charles-Paris d'Orléans,
duc de Longueville, brillant jeune homme, l'idole de sa
mère, et de celui qu'on désignait tout bas comme son père.
Il était né à l'hôtel de ville de Paris, le 28 janvier 1649.
I Bossuet l'assista à ses derniers instants.

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<«< n'en est pas troublé, il n'en est pas effleuré... >> Et quelques jours après : «Croyez-moi, ma fille, «< ce n'est pas inutilement qu'il a fait des Ré«flexions toute sa vie ; il s'est approché de telle << sorte de ses derniers moments qu'ils n'ont « rien eu de nouveau ni d'étrange pour lui 1. Il mourut en 16802, laissant une famille désolée et des amis inconsolables.

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Il avait reçu de ses ancêtres un nom illustre3,

Le théologien Vinet, qui croit peu au christianisme de La Rochefoucauld, pense qu'il est permis de conclure de ces paroles de madame de Sévigné qu'il mourut, comme on l'a dit plus tard, avec bienséance. Madame Deshoulières, pour l'engager à ne pas redouter la mort, lui a adressé une ode dont nous détachons ces vers :

Oui, soyez alors plus ferme
Que ces vulgaires humains
Qui près de leur dernier terme
De vaines terreurs sont pleins.
En sage que rien n'offense,
Livrez-vous sans résistance
A d'inévitables traits;
Et d'une démarche égale
Passez cette onde fatale

Qu'on ne repasse jamais.

Le témoignage de madame de Sévigné prouve que La Rochefoucauld répondit dignement à cette mâle exhor

tation.

2 Le 17 mars.

3 Sa famille, originaire de La Rochefoucauld, petite ville de l'Angoumois, y était établie avant le onzième siècle, mais on n'a sur elle que des données vagues et incertaines

il l'a transmis avec un nouvel éclat à des descendants dignes d'en accroître l'honneur. Il y a des qualités héréditaires dans certaines familles. Le goût des lettres semble s'être perpétué dans la maison de La Rochefoucauld, avec toutes les vertus des mœurs anciennes unies à celles des temps plus éclairés.

Charles-Quint, à son voyage en France, fut reçu, en 1539, dans le château de Verteuil, par l'aïeule du duc de La Rochefoucauld. En quittant ce château, l'Empereur déclara, suivant les paroles d'un historien contemporain, n'avoir jamais entré en maison qui sentît mieux sa grande vertu, honnêteté et seigneurie que celle-là. Un successeur de CharlesQuint aurait pu faire la même observation chez les descendants de l'auteur des Maximes.

Si la véritable grandeur de la noblesse con

jusqu'au douzième. Une vieille tradition la fait descendre des Lusignan, dont elle a en effet conservé les armes.

Ces armes, qu'on voit figurées à la page suivante, sont : Burelé d'argent et d'azur à trois chevrons de gueules brochant sur le tout, le premier ébréché de la pointe. L'Écu, timbré d'une couronne ducale, supporte deux sauvages de carnation. - Cimier. La fée Mélusine essorant d'une cuve de bois, tenant un miroir et un peigne. Devise: C'EST MON PLAISIR.

sistait à donner à tous les citoyens l'exemple du patriotisme; à joindre la simplicité à la dignité dans les mœurs; à ne faire usage du crédit, de la fortune, de l'autorité même que donne la vertu, que pour faire le bien, l'encourager et le défendre; à honorer le mérite dans tous les genres et à le servir avec zèle; à ne solliciter les honneurs que par les services et les talents; à vivre dans ses terres pour y exciter le travail et l'industrie, pour protéger ses vassaux contre les vexations, pour les secourir contre le malheur et l'indigence, les grands vraiment dignes de ce nom seraient fort rares, sans doute, mais nous pourrions encore en offrir des modèles.

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