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véritablement au même temps qu'il pense n'est pense, que, nonobstant toutes les plus extravagantes suppositions, nous ne saurions nous empêcher de croire que cette conclusion, Je pense, donc je suis, ne soit vraie, et par conséquent la première et la plus certaine qui se présente à celui qui conduit ses pensées par ordre.

Il me semble aussi que ce biais est tout le meilleur que nous puissions choisir pour connoître la nature de l'âme, et qu'elle est une substance entièrement distincte du corps: car, examinant ce que nous sommes, nous qui sommes persuadés maintenant qu'il n'y a rien hors de notre pensée qui soit véritablement ou qui existe, nous connoissons manifestement que, pour être, nous n'avons pas besoin d'extension, de figure, d'être en aucun lieu, ni d'aucune autre semblable chose que l'on peut attribuer au corps, et que nous sommes par cela seul que nous pensons; et par conséquent que la notion que nous avons de notre âme ou de notre pensée précède celle que nous avons du corps, et qu'elle est plus certaine, vu que nous doutons encore qu'il y ait aucun corps au monde, et que nous savons certainement que nous pensons.

Par le mot de penser, j'entends tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous l'apercevons immédiatement par nous-mêmes; c'est pourquoi non seulement entendre, vouloir, imaginer, mais aussi

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10.

notions d'el

claires qu'on

en les voulant

sentir, est la même chose ici que penser. Car si je
dis que je vois ou que je marche, et que j'infère
de là que je suis; si j'entends parler de l'action qui
se fait avec mes yeux ou avec mes jambes, cette
conclusion n'est pas tellement infaillible, que je
n'aie quelque sujet d'en douter, à cause qu'il se
peut faire
que je pense voir ou marcher, encore que
je n'ouvre point les yeux et que je ne bouge de ma
place; car cela m'arrive quelquefois en dormant,
et le même pourroit peut-être m'arriver encore
que je n'eusse point de corps : au lieu que si j'en-
tends parler seulement de l'action de ma pensée
ou du sentiment, c'est-à-dire de la connoissance
qui est en moi, qui fait qu'il me semble que je
vois ou que je marche, cette même conclusion est
si absolument vraie que je n'en puis douter, à
cause qu'elle se rapporte à l'âme, qui seule a la
faculté de sentir ou bien de penser en quelque
autre façon que ce soit.

Je n'explique pas ici plusieurs autres termes Qu'il y a des dont je me suis déjà servi et dont je fais état de me les - mêmes si servir ci-après; car je ne pense pas que, parmi ceux les obscurcit qui liront mes écrits, il s'en rencontre de si studéfinir à la fa- pides qu'ils ne puissent entendre d'eux-mêmes ce et qu'elles ne que ces termes signifient. Outre que j'ai remarqué s'acquièrent que les philosophes, en tâchant d'expliquer par l'étude, mais les règles de leur logique des choses qui sont manaissent avec nifestes d'elles-mêmes, n'ont rien fait. les obscur

con de l'école,

point par

nous.

que

cir; et lorsque j'ai dit que cette proposition, je pense, donc je suis, est la première et la plus certaine qui se présente à celui qui conduit ses pensées par ordre, je n'ai pas pour cela nié qu'il ne fallût savoir auparavant ce que c'est que pensée, certitude, existence, et que pour penser il faut être, ́ et autres choses semblables: mais, à cause que ce sont là des notions si simples que d'elles-mêmes elles ne nous font avoir la connoissance d'aucune chose qui existe, je n'ai pas jugé qu'on en dût faire ici aucun dénombrement.

roit

II.

Comment

nous pouvons

ment connoitre notre âme

que notre corps.

Or, afin de savoir comment la connoissance que nous avons de notre pensée précède celle que nous avons du corps, et qu'elle est incomparablement plus claireplus évidente, et telle qu'encore qu'il ne fût point, nous aurions raison de conclure qu'elle ne laissepas d'être tout ce qu'elle est ; nous remarquerons qu'il est manifeste, par une lumière qui est naturellement en nos âmes, que le néant n'a aucunes qualités ni propriétés qui lui appartiennent, et qu'où nous en apercevons quelques unes il se doit trouver nécessairement une chose ou substance dont elles dépendent. Cette même lumière nous montre aussi que nous connoissons d'autant mieux une chose ou substance, que nous remarquons en elle davantage de propriétés or il est certain que nous en remarquons beaucoup plus en notre pensée qu'en aucune autre chose que ce puisse

12.

D'où vient que tout le

être, d'autant qu'il n'y a rien qui nous fasse connoître quoi que ce soit, qui ne nous fasse encore plus certainement connoître notre pensée. Par exemple, si je me persuade qu'il y a une terre à cause que je la touche ou que je la vois : de cela même, par une raison encore plus forte, je dois être persuadé que ma pensée est ou existe, à cause qu'il se peut faire que je pense toucher la terre, encore qu'il n'y ait peut-être aucune terre au monde ; et qu'il n'est pas possible que moi, c'est-à-dire mon âme, ne soit rien pendant qu'elle a cette pensée : nous pouvons conclure le même de toutes les autres choses qui nous viennent en la pensée, à savoir que nous qui les pensons existons, encore qu'elles soient peut-être fausses ou qu'elles n'aient aucune existence.

Ceux qui n'ont pas philosophé par ordre ont eu d'autres opinions sur ce sujet, parcequ'ils n'ont monde ne la jamais distingué assez soigneusement leur âme, ou en cette façon. ce qui pense, d'avec le corps, ou ce qui est étendu

connoît pas

en longueur, largeur et profondeur. Car, encore qu'ils ne fissent point difficulté de croire qu'ils étoient dans le monde, et qu'ils en eussent une assurance plus grande que d'aucune autre chose, néanmoins, comme ils n'ont pas pris garde que par eux, lorsqu'il étoit question d'une certitude métaphysique, ils devoient entendre seulement leur pensée, et qu'au contraire ils ont mieux aimé croire

que c'étoit leur corps qu'ils voyoient de leurs yeux, qu'ils touchoient de leurs mains, et auquel ils attribuoient mal à propos la faculté de sentir, ils n'ont pas connu distinctement la nature de leur âme.

Mais lorsque la pensée, qui se connoît soi-même en cette façon, nonobstant qu'elle persiste encore à douter des autres choses, use de circonspection tâcher d'étendre sa connoissance plus avant, pour elle trouve en soi premièrement les idées de plusieurs choses; et pendant qu'elle les contemple simplement, et qu'elle n'assure pas qu'il y ait rien hors de soi qui soit semblable à ces idées, et qu'aussi elle ne le nie pas, elle est hors de danger de se méprendre. Elle rencontre aussi quelques no. tions communes, dont elle compose des démonstrations qui la persuadent si absolument, qu'elle ne sauroit douter de leur vérité pendant qu'elle s'y applique. Par exemple, elle a en soi les idées des nombres et des figures, elle a aussi entre ses communes notions, « que, si on ajoute des quan» tités égales à d'autres quantités égales, les tous » seront égaux, » et beaucoup d'autres aussi évidentes que celle-ci, par lesquelles il est aisé de démontrer que les trois angles d'un triangle sont égaux à deux droits, etc. Or, tant qu'elle aperçoit ces notions et l'ordre dont elle a déduit cette conclusion ou d'autres semblables, elle est très assurée

13.

on peut dire ignore Dieu avoir de con

que si on

on ne peut

noissance certaine d'aucune autre cho

se.

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