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LES PRINCIPES DE LA PHILOSOPHIE parurent d'abord à Amsterdam en 1644, en latin, avec la distinction des chapitres et les titres marginaux tels qu'on les reproduit ici. L'abbé Picot les traduisit et les publia en 1647, 1651, 1658. L'édition que nous avons choisie pour texte est celle de 1681, qui a été revue par M. Clerselier. Elle a été réimprimée in-12 en 1724.

ÉLISABETH,

PREMIÈRE FILLE DE FRÉDÉRIC, ROI DE BOHÈME,
COMTE PALATIN ET PRINCE ÉLECTEUR DE L'EMPIRE.

MADAME,

Le plus grand avantage que j'aie reçu des écrits que j'ai ci-devant publiés a été qu'à leur occasion j'ai eu l'honneur d'être connu de votre altesse, et de lui pouvoir quelquefois parler, ce qui m'a procuré le bonheur de remarquer en elle des qualités si rares et si estimables, que je crois que c'est rendre service au public de les proposer à la postérité pour exemple. J'aurois mauvaise grâce à vouloir flatter, ou bien à écrire des choses dont je n'aurois point de connoissance certaine, principalement aux premières pages de ce livre, dans lequel je tâcherai de mettre les principes de toutes les vérités que l'esprit humain peut savoir. Et la généreuse modestie que l'on voit reluire en toutes les actions de votre altesse m'assure que les discours simples

pas

si

et francs d'un homme qui n'écrit que ce qu'il croit lui seront plus agréables que ne seroient des louanges ornées de termes pompeux et recherchés par ceux qui ont étudié l'art des compliments. C'est pourquoi je ne mettrai rien en cette lettre dont l'expérience et la raison ne m'ait rendu certain; et j'y écrirai en philosophe ainsi que dans le reste du livre. Il y a bien de la différence entre les vraies vertus et celles qui ne sont qu'apparentes; et il y en a aussi beaucoup entre les vraies qui procèdent d'une exacte connoissance de la vérité, et celles qui sont accompagnées d'ignorance ou d'erreur. Les vertus que je nomme apparentes ne sont, à proprement parler, que des vices, qui, n'étant fréquents que d'autres vices qui leur sont contraires, ont coutume d'être plus estimés que les vertus qui consistent en la médiocrité, dont ces vices opposés sont les excès. Ainsi, à cause qu'il y a bien plus de personnes qui craignent trop les dangers qu'il n'y en a qui les craignent trop peu, on prend souvent la témérité pour une vertu ; et elle éclate bien plus aux occasions que ne fait le vrai courage. Ainsi les prodigues ont coutume d'être plus loués que les libéraux; et ceux qui sont véritablement gens de bien n'acquièrent point tant la réputation d'être dévots que font les superstitieux et les hypocrites. Pour ce qui est des vraies vertus, elles ne viennent pas toutes d'une vraie connois

sance, mais il y en a qui naissent aussi quelquefois du défaut ou de l'erreur : ainsi la simplicité est souvent la cause de la bonté, souvent la peur donne de la dévotion, et le désespoir du courage. Or les vertus qui sont ainsi accompagnées de quelque imperfection sont différentes entre elles, et on leur a aussi donné divers noms. Mais celles qui sont si pures et si parfaites qu'elles ne viennent que de la seule connoissance du bien, sont toutes de même nature, et peuvent être comprises sous le seul nom de la sagesse. Car quiconque a une volonté ferme et constante d'user toujours de sa raison le mieux qu'il est en son pouvoir, et de faire en toutes ses actions ce qu'il juge être le meilleur, est véritablement sage autant que sa nature permet qu'il le soit; et par cela seul il est juste, courageux, modéré, et a toutes les autres vertus, mais tellement jointes ensemble qu'il n'y en a aucune qui paroisse plus que les autres : c'est pourquoi, encore qu'elles soient beaucoup plus parfaites que celles que le mélangede quelque défaut fait éclater, toutefois, à cause que le commun des hommes les remarque moins, on n'a pas coutume de leur donner tant de louanges. Outre cela, de deux choses qui sont requises à la sagesse ainsi décrite, à savoir que l'entendement connoisse tout ce qui est bien et que la volonté soit toujours disposée à le suivre, il n'y a que celle qui consiste en la volonté que tous les

que

hommes puissent également avoir, d'autant que l'entendement de quelques uns n'est pas si bon celui des autres. Mais encore que ceux qui n'ont pas tant d'esprit puissent être aussi parfaitement sages que leur nature le permet, et se rendre très agréables à Dieu par leur vertu, si seulement ils ont toujours une ferme résolution de faire tout le bien qu'ils sauront, et de n'omettre rien pour apprendre celui qu'ils ignorent; toutefois ceux qui avec une constante volonté de bien faire et un soin très particulier de s'instruire ont aussi un très excellent esprit, arrivent sans doute à un plus haut degré de sagesse que les autres. Et je vois que ces trois choses se trouvent très parfaitement en votre altesse. Car pour le soin qu'elle a eu de s'instruire il paroît assez, de ce que ni les divertissements de la cour, ni la façon dont les princesses ont coutume d'être nourries, qui les détournent entièrement de la connoissance des lettres, n'ont pu empêcher que vous n'ayez étudié avec beaucoup de soin tout ce qu'il y a de meilleur dans les sciences : et on connoît l'excellence de votre esprit en ce que vous les avez parfaitement apprises en fort peu de temps. Mais j'en ai encore une autre preuve qui m'est particulière, en ce que je n'ai jamais rencontré personne qui ait si généralement et si bien entendu tout ce qui est contenu dans mes écrits. Car il y en a plusieurs qui les trouvent très obscurs, même entre les

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