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14.

Quelle diffé

entre le lieu

et l'espace.

Toutefois le lieu et l'espace sont différents en rence il y a leurs noms, parceque le lieu nous marque plus expressément la situation que la grandeur ou la figure, et qu'au contraire nous pensons plutôt à celles-ci lorsqu'on nous parle de l'espace; car nous disons qu'une chose est entrée en la place d'une autre, bien qu'elle n'en ait exactement ni la grandeur ni la figure, et n'entendons point qu'elle occupe pour cela le même espace qu'occupoit cette autre chose; et lorsque la situation est changée nous disons que le lieu est aussi changé, quoiqu'il soit de même grandeur et de même figure qu'auparavant : de sorte que si nous disons qu'une chose est en un tel lieu, nous entendons seulement qu'elle est située de telle façon à l'égard de quelques autres choses; mais si nous ajoutons qu'elle occupe un tel espace, ou un tel lieu, nous entendons outre cela qu'elle est de telle grandeur et de telle figure qu'elle peut le remplir tout justement.

15. Comment la

environne un

corps peut

être prise pour son lieu extérieur.

Ainsi nous ne distinguons jamais l'espace d'avec superficie qui l'étendue en longueur, largeur et profondeur; mais nous considérons quelquefois le lieu comme s'il étoit en la chose qui est placée, et quelquefois aussi comme s'il en étoit dehors. L'intérieur ne diffère en aucune façon de l'espace; mais nous prenons quelquefois l'extérieur ou pour la superficie qui environne immédiatement la chose qui est pla

cée (et il est à remarquer que par la superficie on
ne doit entendre aucune partie du corps qui envi-
ronne, mais seulement l'extrémité qui est entre le
corps qui environne et celui qui est environné,
qui n'est rien qu'un mode ou une façon), ou bien
pour la superficie en général, qui n'est point par-
tie d'un corps plutôt que d'un autre, et qui semble
toujours la même, tant qu'elle est de même gran-
deur et de même figure; car, encore que nous
voyions que le corps qui environne un autre corps
passe ailleurs avec sa superficie, nous n'avons pas
coutume de dire que celui qui en étoit environné
ait
pour
cela changé de place lorsqu'il demeure en
la même situation à l'égard des autres corps que
nous considérons comme immobiles. Ainsi nous
disons qu'un bateau qui est emporté par le cours
d'une rivière, et qui en même temps est repoussé
par le vent d'une force si égale qu'il ne change point
de situation à l'égard des rivages, demeure en même
lieu, bien que nous voyions que toute la superficie
qui l'environne change incessamment.

16. Qu'il ne peut

y

avoir aucun

vide au sens

'Pour ce qui est du vide, au sens que les philosophes prennent ce mot, à savoir pour un espace où il n'y a point de substance, il est évident qu'il que les philo n'y a point d'espace en l'univers qui soit tel, par, par- sophes preńceque l'extension de l'espace ou du lieu intérieur n'est point différente de l'extension du corps. Et, comme de cela seul qu'un corps est étendu en

nent ce mot.

17.

Que le mot de

vide pris se

dinaire n'ex

clut point

corps.

longueur, largeur et profondeur, nous avons raison de conclure qu'il est une substance, à cause que nous concevons qu'il n'est pas possible que ce qui n'est rien ait de l'extension, nous devons conclure le même de l'espace qu'on suppose vide, à savoir que puisqu'il y a en lui de l'extension il y a nécessairement aussi de la substance.

pas

Mais lorsque nous prenons ce mot selon l'usage ordinaire, et que nous disons qu'un lieu est vide, lon l'usage or il est constant que nous ne voulons dire qu'il toute sorte de n'y a rien du tout en ce lieu ou en cet espace, mais seulement qu'il n'y a rien de ce que nous présumons y devoir être. Ainsi, parcequ'une cruche est faite pour tenir de l'eau, nous disons qu'elle est vide lorsqu'elle ne contient que de l'air; et s'il n'y a point de poisson dans un vivier, nous disons qu'il n'y a rien dedans, quoiqu'il soit plein d'eau; ainsi nous disons qu'un vaisseau est vide, lorsqu'au lieu des marchandises dont on le charge d'ordinaire on ne l'a chargé que de sable, afin qu'il pût résister à l'impétuosité du vent et c'est en ce même sens que nous disons qu'un espace est vide lorsqu'il ne contient rien qui nous soit sensible core qu'il contienne une matière créée et une substance étendue. Car nous ne considérons ordinairement les corps qui sont proches de nous qu'en tant qu'ils causent dans les organes de nos sens des impressions si fortes que nous les pouvons

en

sentir. Et si, au lieu de nous souvenir de ce que nous devons entendre par ces mots de vide ou de rien, nous pensions par après qu'un tel espace où nos sens ne nous font rien apercevoir, ne contient aucune chose créée, nous tomberions en une erreur aussi grossière que si, à cause qu'on dit ordinairement qu'une cruche est vide dans laquelle il n'y a que de l'air, nous jugions que l'air qu'elle contient n'est pas une chose ou une sub

stance.

Nous avons presque tous été préoccupés de cette erreur dès le commencement de notre vie, parceque, voyant qu'il n'y a point de liaison nécessaire entre le vase et le corps qu'il contient, il nous a semblé que Dieu pourroit ôter tout le corps qui est contenu dans un vase, et conserver ce vase en son même état sans qu'il fût besoin qu'aucun autre corps succédât en la place de celui qu'il auroit ôté. Mais, afin que nous puissions maintenant corriger une si fausse opinion, nous remarquerons qu'il n'y a point de liaison nécessaire entre le vase et un tel corps qui le remplit, mais qu'elle est si absolument nécessaire entre la figure concave qu'a ce vase et l'étendue qui doit être comprise en cette concavité, qu'il n'y a pas plus de répugnance à concevoir une montagne sans vallée qu'une telle concavité sans l'extension qu'elle contient, et cette extension sans quelque chose d'é

18. Comment on peut corriger

la fausse opi

nion dont on

est préoccupé

touchant le

vide.

19. Que cela con

tendu, à cause que le néant, comme il a été déjà remarqué plusieurs fois, ne peut avoir d'extension. C'est pourquoi, si on nous demande ce qui arriveroit en cas que Dieu ôtât tout le corps qui est dans un vase sans qu'il permît qu'il en rentrât d'autre, nous répondrons que les côtés de ce vase se trouveroient si proches qu'ils se toucheroient immédiatement. Car il faut que deux corps s'entre-touchent lorsqu'il n'y a rien entre deux, parcequ'il y auroit contradiction que deux corps fussent éloignés, c'est-à-dire qu'il y eût de la distance de l'un à l'autre, et que néanmoins cette distance ne fût rien car la distance est une propriété de l'étendue qui ne sauroit subsister sans quelque chose d'étendu.

Après qu'on a remarqué que la nature de la subfirme ce qui a stance matérielle ou du corps ne consiste qu'en raréfaction. ce qu'il est quelque chose d'étendu, et que son

été dit de la

extension ne diffère point de celle qu'on attribue à l'espace vide, il est aisé de connoître qu'il n'est pas possible qu'en quelque façon que ce soit aucune de ses parties occupe plus d'espace une fois que l'autre, et puisse être autrement raréfiée qu'en la façon qui a été exposée ci-dessus; ou bien qu'il y ait plus de matière ou de corps dans un vase lorsqu'il est plein d'or ou de plomb, ou de quelque autre corps pesant et dur, que lorsqu'il ne contient que de l'air et qu'il paroît vide: car la grandeur

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