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8.

Que la grandeur ne diffè

re de ce qui est grand, ni le nombre des choses nom

notre pensée.

voir qu'on puisse ajouter de la grandeur ou de l'extension à une chose par aucun autre moyen qu'en y ajoutant une chose grande et étendue, comme il paroîtra encore plus clairement par ce qui suit. Dont la raison est que la grandeur ne diffère de ce qui est grand, et le nombre de ce qui est nombré, que par notre pensée: c'est-à-dire qu'encore que nous puissions penser à ce qui est de la nature d'une chose étendue qui est comprise en un espace brees, que par de dix pieds, sans prendre garde à cette mesure de dix pieds, à cause que cette chose est de même nature en chacune de ses parties comme dans le tout; et que nous puissions penser à un nombre de dix, ou bien à une grandeur continue de dix pieds, sans penser à une telle chose, à cause que l'idée que nous avons du nombre de dix est la même, soit que nous considérions un nombre de dix pieds, ou quelque autre dizaine; et que nous puissions même concevoir une grandeur continue de dix pieds, sans faire réflexion sur telle ou telle chose, bien que nous ne puissions la concevoir sans quelque chose d'étendu : toutefois il est évident qu'on ne sauroit ôter aucune partie d'une telle grandeur, ou d'une telle extension, qu'on ne retranche par même moyen tout autant de la chose; et réciproquement, qu'on ne sauroit retrancher de la chose, qu'on n'ôte par même moyen tout autant de la grandeur oude l'extension. Si quelques uns s'expliquent autrement sur ce stance corpo

9.

Que la sub

être claire

sans son ex

relle ne peut sujet, je ne pense pourtant pas qu'ils conçoivent aument conçue tre chose que ce que je viens de dire; car lorsqu'ils distinguent la substance corporelle ou matérielle d'avec l'extension et la grandeur, ou ils n'entendent rien par le mot de substance corporelle, ou ils forment seulement en leur esprit une idée confuse de la substance immatérielle, qu'ils attribuent faussement à la substance corporelle, et laissent à l'extension la véritable idée de cette substance corporelle; laquelle extension ils nomment un accident, mais si improprement qu'il est aisé de connoître que leurs paroles n'ont point de rapport avec leurs pensées.

Ce

10.

que c'est

ou le lieu in

térieur.

L'espace, ou le lieu intérieur, et le corps qui est que l'espace compris en cet espace, ne sont différents aussi que par notre pensée. Car, en effet, la même étendue en longueur, largeur et profondeur qui constitue l'espace, constitue le corps; et la différence qui est entre eux ne consiste qu'en ce que nous attribuons au corps une étendue particulière, que nous concevons changer de place avec lui toutes fois et quantes qu'il est transporté, et que nous en attribuons à l'espace une si générale et si vague, qu'après avoir ôté d'un certain espace le corps qui l'occupoit, nous ne pensons pas avoir aussi transporté l'étendue de cet espace, à cause qu'il nous semble que la même étendue y demeure toujours pendant qu'il est de même grandeur et de même figure, et qu'il n'a point changé de situation au regard des

que

la même éten

genre ou

corps de dehors par lesquels nous le déterminons.
Mais il sera aisé de connoître
due qui constitue la nature du corps constitue
aussi la nature de l'espace, en sorte qu'ils ne dif-
fèrent entre eux que comme la nature du
de l'espèce diffère de la nature de l'individu, si,
pour mieux discerner quelle est la véritable idée
que nous avons du corps, nous prenons pour
exemple une pierre et en ôtons tout ce que nous
saurons ne point appartenir à la nature du corps.
Otons-en donc premièrement la dureté, parce-
que, si on réduisoit cette pierre en poudre, elle
n'auroit plus de dureté, et ne laisseroit pas pour
cela d'être un corps; ôtons-en aussi la couleur,
parceque nous avons pu voir quelquefois des pier-
res si transparentes qu'elles n'avoient point de cou-
leur; ôtons-en la pesanteur, parceque nous voyons
que le feu, quoiqu'il soit très léger, ne laisse pas
d'être un corps; ôtons-en le froid, la chaleur, et
toutes les autres qualités de ce genre, parceque
nous ne pensons point qu'elles soient dans la pierre,
ou bien que cette pierre change de nature parce-
qu'elle nous semble tantôt chaude et tantôt froide.
Après avoir ainsi examiné cette pierre, nous trou-
verons que la véritable idée qui nous fait conce-
voir qu'elle est un corps consiste en cela seul
que nous apercevons distinctement qu'elle est
une substance étendue en longueur, largeur et pro-

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12.

Et en quel sens il en est

différent.

13.

Ce que c'est

térieur.

fondeur: or cela même est compris en l'idée que

nous avons de l'espace, non seulement de celui qui est plein de corps, mais encore de celui qu'on appelle vide.

Il est vrai qu'il y a de la différence en notre façon de penser; car si on a ôté une pierre de l'espace ou du lieu où elle étoit, nous entendons qu'on en a ôté l'étendue de cette pierre, parceque nous les jugeons inséparables l'une de l'autre: et toutefois nous pensons que la même étendue du lieu où étoit cette pierre est demeurée, nonobstant que le lieu qu'elle occupoit auparavant ait été rempli de bois, ou d'eau, ou d'air, ou de quelque autre corps, ou que même il paroisse vide, parceque nous prenons l'étendue en général, et qu'il nous semble que la même peut être commune aux pierres, au bois, à l'eau, à l'air, et à tous les autres corps, et aussi au vide s'il y en a, pourvu qu'elle soit de même grandeur et de même figure qu'auparavant, et qu'elle conserve une même situation à l'égard des corps de dehors qui déterminent cet espace.

Dont la raison est que les mots de lieu et d'esque le lien ex- pace ne signifient rien qui diffère véritablement du corps que nous disons être en quelque lieu, et nous marquent seulement sa grandeur, sa figure, et comment il est situé entre les autres corps. Car il faut, pour déterminer cette situation, en remarquer quelques autres que nous considérions comme

immobiles; mais, selon que ceux que nous considérons ainsi sont divers, nous pouvons dire qu'une même chose en même temps change de lieu et n'en change point. Par exemple, si nous considérons un homme assis à la poupe d'un vaisseau que le vent emporte hors du port, et ne prenons garde qu'à ce vaisseau, il nous semblera que cet homme ne change point de lieu, parceque nous voyons qu'il demeure toujours en une même situation à l'égard des parties du vaisseau sur lequel il est; et si nous prenons garde aux terres voisines, il nous semblera aussi que cet homme change incessamment de lieu, parcequ'il s'éloigne de celles-ci, et qu'il approche de quelques autres; si outre cela nous supposons que la terre tourne sur son essieu, et qu'elle fait précisément autant de chemin du couchant au levant comme ce vaisseau en fait du levant au couchant, il nous semblera derechef que celui qui est assis à la poupe ne change point de lieu, parceque nous déterminerons ce lieu par quelques points immobiles que nous imaginerons être au ciel. Mais si nous pensons qu'on ne sauroit rencontrer en tout l'univers aucun point qui soit véritablement immobile,comme on connoîtra par ce qui suit que cela peut être démontré, nous conclurons qu'il n'y a point de lieu d'aucune chose au monde qui soit ferme et arrêté, sinon en tant que nous l'arrêtons en notre pensée.

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