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2.

Comment

aussi que notre âme est jointe à un corps.

existe à présent dans le monde, avec toutes les propriétés que nous connoissons manifestement lui appartenir. Et cette substance étendue est ce qu'on nomme proprement le corps, ou la substance des

choses matérielles.

Nous devons conclure aussi qu'un certain corps nous savons est plus étroitement uni à notre âme que tous les autres qui sont au monde, parceque nous apercevons clairement que la douleur et plusieurs autres sentiments nous arrivent sans que nous les ayons prévus, et que notre âme, par une connoissance qui lui est naturelle, juge que ces sentiments ne procèdent point d'elle seule, en tant qu'elle est une chose qui pense, mais en tant qu'elle est unie à une chose étendue qui se meut par la disposition de ses organes, qu'on nomme proprement le corps d'un homme. Mais ce n'est pas ici l'endroit où je prétends traiter particulièrement de ces choses. Il suffira que nous remarquions seulement que tout ce que nous apercevons par l'entremise de nos la nature des sens se rapporte à l'étroite union qu'a l'âme avec seulement ce corps, et que nous connoissons ordinairement nous sont uti par leur moyen ce en quoi les corps de dehors nous peuvent profiter ou nuire, mais non pas quelle est leur nature, si ce n'est peut-être rarement et par hasard. Car, après cette réflexion, nous quitterons sans peine tous les préjugés qui ne sont fondés que sur nos sens, et ne nous ser

3.

Que nos sens

ne nous en

seignent pas

choses, mais

en quoi elles

les ou nuisi

bles.

le

virons que
de notre entendement pour en exami-
ner la nature, parceque c'est en lui seul que les
premières notions ou idées, qui sont comme les
semences des vérités que nous sommes capables de
connoître, se trouvent naturellement.

En ce faisant, nous saurons que la nature de la
matière ou du corps pris en général ne consiste
point en ce qu'il est une chose dure, ou pesante,
ou colorée, ou qui touche nos sens de quelque au-
tre façon, mais seulement en ce qu'il est une sub-
stance étendue en longueur, largeur et profondeur.
Pour ce qui est de la dureté, nous n'en connoissons
autre chose par le moyen de l'attouchement, sinon
que les parties des
corps durs résistent au mouve-
ment de nos mains lorsqu'elles les rencontrent:
mais si toutes les fois que nous portons nos mains
quelque part les corps qui sont en cet endroit-là
se retiroient aussi vite comme elles en approchent,
il est certain que nous ne sentirions jamais de du-
reté; et néanmoins nous n'avons aucune raison qui
nous puisse faire croire que les corps qui se reti-
reroient de cette sorte perdissent pour cela ce qui
les fait corps. D'où il suit que leur nature ne con-
siste pas en la dureté que nous sentons quelque-
fois à leur occasion, ni aussi en la pesanteur, cha-
leur, et autres qualités de ce genre: car si nous
examinons quelque corps que ce soit, nous pou-
vons penser qu'il n'a en soi aucunes de ces qualités,

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5. Que cette vé

et cependant nous connoissons clairement et distinctement qu'il a tout ce qui le fait corps, pourvu qu'il ait de l'extension en longueur, largeur et profondeur; d'où il suit aussi que pour être il n'a besoin d'elles en aucune façon, et que sa nature consiste en cela seul qu'il est une substance qui a de l'extension.

Pour rendre cette vérité entièrement évidente, il ne reste ici que deux difficultés à éclaircir. La les opinions première consiste en ce que quelques uns, voyant

rité est obs

curcie par

dont on est

touchant la

raréfaction et

préoccupé proche de nous des corps qui sont quelquefois plus et quelquefois moins raréfiés, se sont imale vide. giné qu'un même corps a plus d'extension lorsqu'il est raréfié que lorsqu'il est condensé; il y en a même qui ont subtilisé jusques à vouloir distinguer la substance d'un corps d'avec sa propre grandeur, et la grandeur même d'avec son extension. L'autre n'est fondée que sur une façon de penser qui est en usage, à savoir qu'on n'entend pas qu'il y ait un corps où l'on dit qu'il n'y a qu'une étendue en longueur, largeur et profondeur, mais seulement un espace, et encore un espace vide, qu'on se persuade aisément n'être rien.

6.

Comment se

Pour ce qui est de la raréfaction et de la condenfait la raréfac-sation, quiconque voudra examiner ses pensées, et

tion.

ne rien admettre sur ce sujet que ce dont il aura une idée claire et distincte, ne croira pas qu'elles se fassent autrement que par un changement de fi

gure qui arrive au corps, lequel est raréfié ou condensé; c'est-à-dire que toutes fois et quantes que nous voyons qu'un corps est raréfié, nous devons penser qu'il y a plusieurs intervalles entre ses parties, lesquels sont remplis de quelque autre corps, et que lorsqu'il est condensé, ses mêmes parties sont plus proches les unes des autres qu'elles n'étoient, soit qu'on ait rendu les intervalles qui étoient entre elles plus petits, ou qu'on les ait entièrement ôtés, auquel cas on ne sauroit concevoir qu'un corps puisse être davantage condensé; et toutefois il ne laisse pas d'avoir tout autant d'extension que lorsque ces mêmes parties étant éloignées les unes des autres, et comme éparses en plusieurs branches, embrassoient un plus grand espace. Car nous ne devons point lui attribuer l'étendue qui est dans les pores ou intervalles que ses parties n'occupent point lorsqu'il est raréfié, mais aux autres corps qui remplissent ces intervalles; tout de même que voyant une éponge pleine d'eau ou de quelque autre liqueur, nous n'entendons point que chaque partie de cette éponge ait pour cela plus d'étendue, mais seulement qu'il y a des pores ou intervalles entre ses parties qui sont plus grands que lorsqu'elle est sèche et plus serrée.

Qu'elle ne

Je ne sais pourquoi, lorsqu'on a voulu expliquer comment un corps est raréfié, on a mieux peut être intelligiblement aimé dire que c'étoit par l'augmentation de sa expliquée

ici proposée.

qu'en la facon, quantité, que de se servir de l'exemple de cette éponge. Car bien que nous ne voyions point, lorsque l'air ou l'eau sont raréfiés, les pores qui sont entre les parties de ces corps, ni comment ils sont devenus plus grands, ni même le corps qui les remplit, il est toutefois beaucoup moins raisonnable de feindre je ne sais quoi qui n'est pas intelligible, pour expliquer seulement en apparence, et par des termes qui n'ont aucun sens, la façon dont un corps est raréfié, que de conclure, en conséquence de ce qu'il est raréfié, qu'il y a des pores ou intervalles entre ses parties qui sont devenus plus grands, et qui sont pleins de quelque autre corps. Et nous ne devons pas faire difficulté de croire que la raréfaction ne se fasse ainsi que je dis, bien que nous n'apercevions par aucun de nos sens le corps qui les remplit, parcequ'il n'y a point de raison qui nous oblige à croire que nous devions apercevoir par nos sens tous les corps qui sont autour de nous, et que nous voyons qu'il est très aisé de l'expliquer en cette sorte, et qu'il est impossible de la concevoir autrement; car, enfin, il y auroit, ce me semble, une contradiction manifeste qu'une chose fût augmentée d'une grandeur ou d'une extension qu'elle n'avoit point, et qu'elle ne fût pas accrue par même moyen d'une nouvelle substance étendue ou bien d'un nouveau corps, à cause qu'il n'est pas possible de conce

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