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considérons comme les propriétés des substances dont elles dépendent, nous les distinguons aisément de ces substances, et les prenons pour telles qu'elles sont véritablement: au lieu que si nous voulions les considérer sans substance, cela pourroit être cause que nous les prendrions pour des choses qui subsistent d'elles-mêmes; en sorte que nous confondrions l'idée que nous devons avoir de la substance avec celle que nous devons avoir de ses propriétés.

65. Comment on

leurs diverses

propriétés ou attributs.

Nous pouvons aussi concevoir fort distinctement plusieurs diverses façons de penser, comme enten- conçoit aussi dre, vouloir, imaginer, etc.; et plusieurs diverses façons d'étendue, ou qui appartiennent à l'étendue, comme généralement toutes les figures, la situation des parties et leurs mouvements, pourvu que nous les considérions simplement comme des dépendances des substances où elles sont; et quant à ce qui est du mouvement, pourvu que nous pensions seulement à celui qui se fait d'un lieu en un autre, sans rechercher la force qui le produit, laquelle toutefois j'essaierai de faire connoître lorsqu'il en sera temps.

Il ne reste plus que les sentiments, les affections et les appétits, desquels nous pouvons avoir aussi une connoissance claire et distincte, pourvu que nous prenions garde à ne comprendre dans les jugements que nous en ferons que ce que nous

66. Que nous

avons aussi distinctes de

des notions

nos sentiments, de nos

tits, bien que

souvent nous nous trom

pons aux ju

nous en

faisons.

de nos appe- connoîtrons précisément par la clarté de notre perception, et dont nous serons assurés par la raison. Mais il est malaisé d'user continuellement d'une gements que telle précaution, au moins à l'égard de nos sentiments, à cause que nous avons cru dès le commencement de notre vie que toutes les choses que nous sentions avoient une existence hors de notre pensée, et qu'elles étoient entièrement semblables aux sentiments ou aux idées que nous avions à leur occasion. Ainsi lorsque nous avons vu, par exemple, une certaine couleur, nous avons cru voir une chose qui subsistoit hors de nous, et qui étoit semblable à l'idée que nous avions. Or nous avons ainsi jugé en tant de rencontres, et il nous a semblé voir cela si clairement et si distinctement, à cause que nous étions accoutumés à juger de la sorte, qu'on ne doit pas trouver étrange que quelques uns demeurent ensuite tellement persuadés de ce faux préjugé qu'ils ne puissent pas même se résoudre à en douter.

67.

Que souvent

même nous nous trom

pons en ju

geant que nous sentons

de la douleur en quelque

partie de

notre corps.

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La même prévention a eu lieu en tous nos autres sentiments, même en ce qui est du chatouillement et de la douleur. Car encore que nous n'ayons pas cru qu'il y eût hors de nous dans les objets extérieurs des choses qui fussent semblables au chatouillement ou à la douleur qu'ils nous faisoient sentir, nous n'avons pourtant pas considéré ces sentiments comme des idées qui étoient seulement

en notre âme, mais aussi nous avons cru qu'ils étoient dans nos mains, dans nos pieds, et dans les autres parties de notre corps: sans toutefois qu'il y ait aucune raison qui nous oblige à croire que la douleur que nous sentons, par exemple au pied, soit quelque chose hors de notre pensée qui soit dans notre pied, ni que la lumière que nous pensons voir dans le soleil soit dans le soleil ainsi qu'elle est en nous. Et si quelques uns se laissent encore persuader à une si fausse opinion, ce n'est qu'à cause qu'ils font si grand cas des jugements qu'ils ont faits lorsqu'ils étoient enfants, qu'ils ne sauroient les oublier pour en faire d'autres plus solides, comme il paroîtra encore plus manifestement par ce qui suit.

68. Comment on

doit distinchoses ce en quoi on peut

guer en telles

se tromper d'avec ce qu'on connoît

Mais afin que nous puissions distinguer ici ce qu'il y a de clair en nos sentiments d'avec ce qui est obscur, nous remarquerons en premier lieu que nous connoissons clairement et distinctement la douleur, la couleur, et les autres sentiments, lorsque nous les considérons simplement comme clairement. des pensées; mais que, quand nous voulons juger que la couleur, ou que la douleur, etc., sont des choses qui subsistent hors de notre pensée, nous ne concevons en aucune façon quelle chose c'est que cette couleur ou cette douleur, etc. Il en est de même lorsque quelqu'un nous dit qu'il voit de la couleur dans un corps, ou qu'il sent de la douleur

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69. Quon con

noît tout au

trement les

que les cou

leurs et les

douleurs, etc.

en quelqu'un de ses membres; car c'est de même que s'il nous disoit qu'il voit ou qu'il sent quelque chose, mais qu'il ignore entièrement quelle est la nature de cette chose, ou bien qu'il n'a pas une connoissance distincte de ce qu'il voit et de ce qu'il sent. Car encore que, lorsqu'il n'examine pas ses pensées avec attention, il se persuade peut-être qu'il en a quelque connoissance, à cause qu'il suppose que la couleur qu'il croit voir dans un objet a de la ressemblance avec le sentiment qu'il éprouve en soi, néanmoins, s'il fait réflexion sur ce qui lui est représenté par la couleur ou par la douleur, en tant qu'elles existent dans un corps coloré ou bien dans une partie blessée, il trouvera sans doute qu'il n'en a pas de connoissance.

Principalement s'il considère qu'il connoît bien d'une autre façon ce que c'est que la grandeur grandeurs, les dans le corps qu'il aperçoit, ou la figure, ou le figures, etc., mouvement, au moins celui qui se fait d'un lieu en un autre (car les philosophes, en feignant d'autres mouvements que celui-ci, ont fait voir qu'ils ne connoissoient pas bien sa vraie nature), ou la situation des parties, ou la durée, ou le nombre, et les autres propriétés que nous apercevons clairement en tous les corps, comme il a été déjà remarqué; que non pas ce que c'est que la couleur dans ce même corps, ou la douleur, l'odeur, le goût, la saveur, et tout ce que j'ai dit devoir être attribué au

sens. Car encore que voyant un corps nous ne soyons pas moins assurés de son existence par la couleur que nous apercevons à son occasion que par la figure qui le termine, toutefois il est certain que nous connoissons tout autrement en lui cette propriété qui est cause que nous disons qu'il est figuré que celle qui fait qu'il nous semble qu'il est coloré.

Il est donc évident, lorsque nous disons à quelqu'un que nous apercevons des couleurs dans les objets, qu'il en est de même que si nous lui disions que nous apercevons en ces objets je ne sais quoi dont nous ignorons la nature, mais qui cause pourtant en nous un certain sentiment fort clair et fort manifeste qu'on nomme le sentiment des couleurs. Mais il y a bien de la différence en nos jugements. Car, tant que nous nous contentons de croire qu'il y a je ne sais quoi dans les objets (c'est-à-dire dans les choses telles qu'elles soient) qui cause en nous ces pensées confuses qu'on nomme sentiments, tant s'en faut que nous nous méprenions, qu'au contraire nous évitons la surprise qui nous pourroit faire méprendre, à cause que nous ne nous emportons pas sitôt à juger témérairement d'une chose que nous remarquons ne pas bien connoître. Mais lorsque nous croyons apercevoir une certaine couleur dans un objet, bien que nous n'ayons aucune connoissance dis

70.

Que nous

pouvons jufaçons des

ger en deux

choses sensibles, par l'une desquelles nous tombons

en l'erreur, et

par l'autre nous l'évitons.

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