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61.

exemple, d'une substance étendue ou corporelle, bien que nous ne sachions pas encore certainement si une telle chose est à présent dans le monde, néanmoins, parceque nous en avons l'idée, nous pouvons conclure qu'elle peut être, et qu'en cas qu'elle existe, quelque partie que nous puissions déterminer de la pensée doit être distincte réellement de ses autres parties. De même, parcequ'un chacun de nous aperçoit en soi qu'il pense, et qu'il peut en pensant exclure de soi ou de son âme toute autre substance ou qui pense ou qui est étendue, nous pouvons conclure aussi qu'un chacun de nous ainsi considéré est réellement distinct de toute autre substance qui pense, et de toute substance corporelle. Et quand Dieu même joindroit si étroitement un corps à une âme qu'il fût impossible de les unir davantage, et feroit un composé de ces deux substances ainsi unies, nous concevons aussi qu'elles demeureroient toutes deux réellement distinctes, nonobstant cette union; parceque, quelque liaison que Dieu ait mis entre elles, il n'a pu se défaire de la puissance qu'il avoit de les séparer, ou bien de les conserver l'une sans l'autre, et que les choses que Dieu peut séparer ou conserver séparément les unes des autres sont réellement distinctes.

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Il

a deux sortes de distinction modale, à savoir, y tion modale, l'une entre le mode que nous avons appelé façon

De la distine

et la substance dont il dépend et qu'il diversifie; et l'autre entre deux différentes façons d'une même substance. La première est remarquable en ce que nous pouvons apercevoir clairement la substance sans la façon qui diffère d'elle en cette sorte; mais que réciproquement nous ne pouvons avoir une idée distincte d'une telle façon sans penser à une telle substance. Il y a, par exemple, une distinction modale entre la figure ou le mouvement et la substance corporelle dont ils dépendent tous deux; il y en a aussi entre assurer ou se ressouvenir et la chose qui pense. Pour l'autre sorte de distinction, qui est entre deux différentes façons d'une même substance, elle est remarquable en ce que nous pouvons connoître l'une de ces façons sans l'autre, comme la figure sans le mouvement, et le mouvement sans la figure; mais que nous ne pouvons penser distinctement ni à l'une ni à l'autre que nous ne sachions qu'elles dépendent toutes deux d'une même substance. Par exemple, si une pierre est mue, et avec cela carrée, nous pouvons connoître sa figure carrée sans savoir qu'elle soit mue, et réciproquement nous pouvons savoir qu'elle est mue sans savoir si elle est carrée; mais nous ne pouvons avoir une connoissance distincte de ce mouvement et de cette figure si nous ne connoissons qu'ils sont tous deux en une même chose, à savoir en la substance de cette pierre.

62.

De la distinc

par la pensée.

Pour ce qui est de la distinction dont la façon d'une substance est différente d'une autre substance ou bien de la façon d'une autre substance, comme le mouvement d'un corps est différent d'un autre corps ou d'une chose qui pense, ou bien comme le mouvement est différent du doute, il me semble qu'on la doit nommer réelle plutôt que modale, à cause que nous ne saurions connoître les modes sans les substances dont ils dépendent, et que les substances sont réellement distinctes les unes des autres.

Enfin, la distinction qui se fait par la pensée tion qui se fait consiste en ce que nous distinguons quelquefois une substance de quelqu'un de ses attributs, sans lequel néanmoins il n'est pas possible que nous en ayons une connoissance distincte; ou bien en ce que nous tâchons de séparer d'une même substance deux tels attributs, en pensant à l'un sans penser à l'autre. Cette distinction est remarquable en ce que nous ne saurions avoir une idée claire et distincte d'une telle substance si nous lui ôtons un tel attribut; ou bien en ce que nous ne saurions avoir une idée claire et distincte de l'un de deux ou plusieurs tels attributs si nous le séparons des autres. Par exemple, à cause qu'il n'y a point de substance qui ne cesse d'exister lorsqu'elle cesse de durer, la durée n'est distincte de la substance que par la pensée; et généralement tous les attributs

qui font que nous avons des pensées diverses d'une même chose, tels que sont par exemple l'étendue du corps et sa propriété d'être divisible en plusieurs parties, ne diffèrent du corps qui nous sert d'objet, et réciproquement l'un de l'autre, qu'à cause que nous pensons quelquefois confusément à l'un sans penser à l'autre. Il me souvient d'avoir mêlé la distinction qui se fait par la pensée avec la modale, sur la fin des réponses que j'ai faites aux premières objections qui m'ont été envoyées sur les Méditations de ma métaphysique; mais cela ne répugne point à ce que j'écris ici, parceque, n'ayant pas dessein de traiter pour lors fort amplement de cette matière, il me suffisoit de les distinguer toutes deux de la réelle.

Nous pouvons aussi considérer la pensée et l'étendue comme les choses principales qui constituent la nature de la substance intelligente et corporelle; et alors nous ne devons point les concevoir autrement que comme la substance même qui pense et qui est étendue, c'est-à-dire comme l'âme et le corps; car nous les connoissons en cette sorte très clairement et très distinctement. Il est même plus aisé de connoître une substance qui pense ou une substance étendue que la substance toute seule, laissant à part si elle pense ou si elle est étendue; parcequ'il y a quelque difficulté à séparer la notion que nous avons de la substance de celle

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64.

Comment on

concevoir

des ou attri

buts de ces

que nous avons de la pensée et de l'étendue : car elles ne diffèrent de la substance que par cela seul que nous considérons quelquefois la pensée ou l'étendue sans faire réflexion sur la chose même qui pense ou qui est étendue. Et notre conception n'est pas plus distincte parcequ'elle comprend peu de choses, mais parceque nous discernons soigneusement ce qu'elle comprend, et que nous prenons garde à ne le point confondre avec d'autres notions qui la rendroient plus obscure.

Nous pouvons considérer aussi la pensée et l'épeut aussi les tendue comme des modes ou des façons diffédistinctement rentes qui se trouvent en la substance; c'est-à-dire en les prenant pour des mo- que lorsque nous considérons qu'une même âme peut avoir plusieurs diverses pensées, et qu'un substances. même corps avec sa même grandeur peut être étendu en plusieurs façons, tantôt plus en longueur et moins en largeur ou en profondeur, et quelquefois au contraire plus en largeur et moins en longueur; et que nous ne distinguons la pensée et l'étendue de ce qui pense et de ce qui est étendu, que comme les dépendances d'une chose de la chose même dont elles dépendent; nous les connoissons aussi clairement et aussi distinctement que leurs substances, pourvu que nous ne pensions point qu'elles subsistent d'elles-mêmes, mais qu'elles sont seulement des façons ou des dépendances de quelques substances. Car, quand nous les

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