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ANALYSE

DU

DISCOURS DE LA MÉTHODE

Descartes a lui-même indiqué les six parties dont se compose ce discours.

PREMIÈRE PARTIE.

DIVERSES CONSIDÉRATIONS TOUCHANT LES SCIENCES.

Les hommes ne diffèrent point par l'esprit, mais par la manière dont ils l'emploient; l'essentiel est donc de se former une bonne méthode pour la découverte de la vérité. - Descartes s'en est fait une dont il a déjà recueilli d'excellents fruits et qu'il va exposer dans ce Discours. Il raconte alors comment il en vint à se convaincre de la stérilité des études ordinaires et prit la résolution de se replier en luimême pour y chercher quelles règles il devait suivre.

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Il a été nourri aux lettres dès son enfance, et quand il eut achevé // tout ce cours d'études au bout duquel on a coutume d'être reçu au rang des doctes, il lui sembla n'avoir fait d'autre profit en tâchant de s'instruire, sinon qu'il avait découvert de plus en plus son ignorance. Viennent alors les jugements qu'il porte sur les exercices auxquels on a coutume de se livrer dans les écoles :

1o Sur les langues, nécessaires pour l'intelligence des livres anciens, mais dont il ne faut pas être trop curieux;

2o Sur l'éloquence qu'il estime fort, et la poésie dont il est amoureux, mais qu'il regarde l'une et l'autre comme des dons de l'esprit plutôt que comme des fruits de l'étude;

3o Sur les mathématiques, qui lui plaisent à cause de la certitude et de l'évidence de leurs raisons, mais qui n'ont encore rien produit de solide;

40 Sur la théologie qu'il révère, mais qui est inutile pour gagner le ciel, dont le chemin n'est pas moins ouvert aux plus ignorants qu'aux plus doctes;

50 Sur la philosophie, dans laquelle, bien qu'elle ait été cultivée par les plus excellents esprits depuis plusieurs siècles, on ne trouve aucune chose dont on ne dispute et par conséquent qui ne soit douteuse;

6o Sur toutes les autres sciences enfin, qui empruntent leurs principes de la philosophie et ne peuvent avoir rien bâti de solide sur des fondements si peu fermes.

"Convaincu de la vanité des connaissances humaines et possédé d'un ardent désir de connaître la vérité, sitôt que l'âge lui permet de sortir de la sujétion de ses précepteurs, il quitte l'étude des lettres, et se résolvant de ne plus chercher d'autre science que celle qui se pourrait trouver en lui-même ou dans le grand livre du monde, il emploie le reste de sa jeunesse à voyager, à fréquenter des gens de diverses humeurs et conditions, et à faire telle réflexion sur les choses qui se présentent, qu'il puisse en tirer quelque profit.

DEUXIÈME PARTIE.

RÈGLES DE LA MÉTHODE.

Après avoir ainsi passé quelques années, Descartes découvrit un jour les voies qu'il devait suivre pour arriver à distinguer le vrai du faux, et élever son esprit au plus haut point où la courte durée de la vie permette d'atteindre.

Il était alors en Allemagne où la guerre l'avait appelé. Le mauvais temps et les circonstances le forcèrent de demeurer tout le jour enfermé dans un poéle, où il eut le loisir de s'entretenir de ses pensées. Entre lesquelles l'une des premières fut qu'il s'avisa de considérer, que souvent il n'y a pas tant de perfection dans les ouvrages composés de plusieurs pièces et faits de la main de divers maîtres, qu'en ceux auxquels un seul a travaillé (il en donne pour exemples: la construction d'un bâtiment, d'une ville, les lois de Sparte), et qu'il est bien difficile en travaillant sur les ouvrages d'autrui de faire des choses fort accomplies. - De même l'éducation qui nous est donnée par plusieurs précepteurs souvent contraires les uns aux autres, et qui ne nous conseillent peutêtre pas toujours le meilleur, doit nous avoir rempli l'esprit de préjugés. De là la nécessité de rebâtir à neuf l'édifice de ses connaissances. Mais comme on ne rejette pas tous les matériaux d'une maison qu'on veut reconstruire, et qu'on emploie tous ceux dont on peut tirer quelque profit, de même Descartes croit ne pouvoir mieux faire que d'ôter une bonne fois de son esprit toutes les opinions qui s'y sont introduites, afin d'en remettre par après, ou d'autres meilleures, ou bien les mêmes, lorsqu'il les aura ajustées au niveau de sa raison.

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(Ici, ne voulant pas qu'on le prenne pour une de ces humeurs brouillonnes et inquiètes qui, n'étant appelées, ni par leur fortune, ni par leur naissance, au maniement des affaires publiques, ne laissent pas cependant d'y faire toujours en idée quelque réformation, il déclare que son dessein ne s'est jamais étendu plus avant que de tâcher à réformer ses propres pensées et bâtir sur un fonds qui fût tout à lui. Il ajoute même que la seule résolution de se défaire de toutes les opinions

qu'on a reçues auparavant en sa créance, n'est pas un exemple que qua

chacun doive suivre, et que le monde n'est presque composé que de deux sortes d'esprits auxquels il ne convient nullement ; ceux qui, se croyant plus habiles qu'ils ne sont, ne se peuvent empêcher de précipiter leurs jugements, et ceux qui, ayant assez de raison ou de modestie pour juger qu'ils sont moins capables de distinguer le vrai d'avec le faux que quelques autres par lesquels ils peuvent être instruits, aiment mieux suivre les opinions des autres, qu'en chercher euxmêmes de meilleures. - Et s'il n'a pas été du nombre de ces derniers, c'est qu'il n'a pu choisir personne dont les opinions lui semblassent devoir être préférées à celles des autres, et qu'il s'est trouvé comme contraint d'entreprendre de se conduire lui-même.)

Toutefois, comme un homme qui marche seul dans les ténèbres, il procédera avec circonspection. Il renonce au syllogisme, qui sert plutôt à expliquer aux autres les choses qu'on sait qu'à s'instruire soi-même, et au lieu de ce grand nombre de préceptes que renferme la logique, il croit en avoir assez des quatre suivants, pourvu qu'il ne manque jamais à les observer: les & preceptes de bescartes:

1° Ne recevoir jamais aucune chose pour vraie qu'il ne la connút évidemment étre telle, éviter la précipitation et la prévention, et ne rien comprendre de plus en ses jugements que ce qui se présenterait si clairement à son esprit qu'il n'eût aucune occasion de le mettre en doute. 2o Diviser chacune des difficultés à examiner en autant de parcelles qu'il se pourrait, et qu'il serait requis pour les mieux résoudre.

3° Conduire par ordre ses pensées en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour s'élever, comme par degrés, à la connaissance des plus composés.

4° Faire partout des dénombrements si entiers et des revues si géné rales qu'il fut assuré de ne rien omettre.

L'exacte observation de ce peu de préceptes lui donna une telle facilité à démêler toutes les questions que comprennent l'algèbre et la géométrie, qu'en deux ou trois mois qu'il employa à les examiner, nonseulement il vint à bout de plusieurs qu'il avait jugées autrefois trèsdifficiles, mais il put même déterminer, en celles qu'il ignorait, par quels moyens et jusqu'où il était possible de les résoudre. Aussi se propose-t-il d'appliquer un jour cette Méthode à la grande réforme philosophique qu'il médite.

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TROISIÈME PARTIE.

QUELQUES RÈGLES DE MORALE QU'IL A TIRÉES DE CETTE MÉTHODE.

Les règles exposées dans la deuxième partie devaient conduire Descartes à déraciner de son esprit toutes les opinions qu'il avait précédemment reçues. Il raconte alors comment, pendant que sa raison le forçait de rester irrésolu dans ses jugements, il se forma une morale par provision, pour ne pas être irrésolu dans ses actions. Les règles de cette morale sont :

1o Garder la religion dans laquelle on est né, obéir aux lois et coutumes du pays qu'on habite, et suivre en toutes choses les opinions les plus modérées sans engager sa liberté.

2o Demeurer fidèle au plan de conduite qu'on s'est une fois tracé, à l'exemple des voyageurs qui, se trouvant égarés en une forêt, ne doivent pas errer en tournoyant, tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, ni encore moins s'arrêter en une place, mais marcher toujours le plus droit qu'ils peuvent vers un même côté; car, par ce moyen, s'ils ne vont justement où ils désirent, ils arriveront au moins quelque part où vraisemblablement ils seront mieux qu'au milieu de la forêt.

3o Tâcher toujours à se vaincre plutôt que la fortune, et à changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde; et généralement s'accoutumer à croire qu'il n'y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées.

4o Comme conclusion de cette morale, il s'avisa de passer en revue les diverses occupations qu'ont les hommes en cette vie, pour tâcher à faire choix de la meilleure, et pensa qu'il ne pouvait rien faire de mieux que d'employer toute sa vie à cultiver sa raison, et à s'avancer, autant qu'il le pourrait, en la connaissance de la vérité, suivant la méthode qu'il s'était prescrite.

Lorsque Descartes se fut tracé ces règles de conduite, neuf années s'écoulèrent encore durant lesquelles il ne fit autre chose que s'exercer en sa méthode et déraciner peu à peu de son esprit toutes les erreurs qui avaient pu s'y glisser, non qu'il imitât pour cela les sceptiques qui ne doutent que pour douter; car, au contraire, tout son dessein ne tendait qu'à rejeter la terre mouvante et le sable pour trouver le roc et l'argile.

QUATRIÈME PARTIE.

RAISONS PAR LESQUELLES IL PROUVE Ll'existence de dieu
ET DE L'AME HUMAINE.

Descartes s'étant retiré dans la solitude (à Amsterdam) mit enfin à exécution son grand dessein. Il expose dans cette quatrième partie les raisons par lesquelles il prouve l'existence de Dieu et de l'âme humaine, vérités qui sont le fondement de sa métaphysique. On peut résumer ce qu'il en dit dans les six propositions suivantes :

1° Doute méthodique. Les sens nous trompent quelquefois; il suppose que les choses ne sont pas telles qu'ils nous les font imaginer. Les plus habiles se trompent en raisonnant et font des paralogismes; il rejette comme fausses toutes les raisons qu'il a prises jusque-là comme des démonstrations. Enfin, les pensées que nous avons étant éveillés nous peuvent venir aussi quand nous dormons, sans qu'il y en ait aucune pour lors qui soit vraie; il feint que les perceptions de la veille sont aussi vaines que les illusions des songes. - Mais, en voulant douter de tout, il ne peut pas douter de cette vérité : je pense, donc je suis, et il juge qu'il peut la recevoir sans scrupule pour le premier principe de la philosophie qu'il cherche.

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2° Distinction de l'âme et du corps. Puis, examinant avec attention ce qu'il était, et voyant qu'il pouvait bien feindre qu'il n'avait aucun corps, mais qu'il ne pouvait pas feindre pour cela qu'il n'était pas, puisqu'en doutant de la vérité des autres choses il pensait, et que pour penser il faut être, il reconnut qu'il était une substance dont toute la nature et l'essence n'est que de penser, en sorte que ce moi, c'est-àdire l'âme, par laquelle nous sommes ce que nous sommes, est entièrement distinct du corps et pourrait exister sans lui.

3° L'évidence posée comme critérium de la certitude.- Remarquant ensuite qu'il n'avait cru à la vérité de cette proposition: je pense, donc je suis, que parce qu'elle lui apparaissait comme évidente, il juge qu'il peut établir en règle générale que les choses qu'il conçoit fort clairement et fort distinctement sont vraies.

4o Preuve de l'existence de Dieu.-- Faisant alors réflexion qu'il doute et que son être n'est pas parfait, car c'est une perfection plus grande de connaître que de douter, il cherche d'où il peut avoir appris à penser à quelque chose de plus parfait qu'il n'est lui-même. Cette idée de la perfection ne pouvait lui venir du néant, qui ne peut rien produire; ni de lui-même, parce que le parfait ne peut procéder de l'imparfait. - Il restait donc qu'elle eût été mise en lui par une nature qui fût vé

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