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4-8-27. Embo,

INTRODUCTION

HISTORIQUE ET LITTÉRAIRE

I.

NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR DESCARTES'.

René Descartes (en latin Cartesius, d'où le nom de Cartésiens donné à ses disciples) naquit à La Haye en Touraine, en 1596, d'une famille noble, fit avec distinction ses études au collège de La Flèche, sous les jésuites (1604-1612), passa quelques années à Paris, fuyant déjà le monde et recherchant la solitude, s'engagea comme volontaire au service de plusieurs princes allemands; puis, renonçant à la carrière des armes, il se mit à voyager, parcourut l'Allemagne, la Hollande, l'Italie, revint à plusieurs reprises à Paris, toujours indécis sur le choix d'un état; enfin, résolu de se livrer tout entier à la méditation, il abandonna définitivement la France (1629), et alla chercher en Hollande, où il ne connaissait personne, une retraite profonde, un climat plus froid que celui de Paris qu'il accusait de porter son esprit aux chimères, et peut-être aussi une liberté philosophique plus grande qu'en France. C'est là qu'il vécut vingt ans, absorbé par les méditations philosophiques. De cette solitude, il communiquait avec les savants de tous les pays par l'intermédiaire du père Mersenne, son ancien condisciple au collège de La Flèche et son ami, qui ne le laissait étranger à aucune découverte scientifique. C'est Mersenne qui transmettait à Descartes tous les problèmes, toutes les objections des mathématiciens, des philosophes et des théologiens, et qui lui en imaginait au besoin. C'était à lui que Descartes faisait passer les réponses et les solutions.

En 1649, il quitta la Hollande pour se rendre en Suède, à la prière de la reine Christine, avide de connaître de la bouche même du maître la nouvelle philosophie; mais n'ayant pu supporter la rigueur du climat ni le dérangement brusque de ses habitudes, il mourut au bout de quelques mois (1650) à Stockholm, à l'âge de cinquante-trois ans. Dix-sept ans plus tard, son corps fut rapporté en France, à la demande de ses amis et de ses disciples, et on lui éleva un monument dans

1. Notice biographique d'après Baillet, Vie de Descartes, 2 vol. in-4° (1691).

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l'église Saint-Étienne-du-Mont, à Paris.

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Ses principaux ouvrages philosophiques sont le Discours de la Méthode, les Méditations, les Principes de la Philosophie, et le Traité des Passions.

II.

DESCARTES PHILOSOPHE ET ÉCRIVAIN.

Pour bien apprécier Descartes, il faut songer à ce qui l'avait précédé. L'autorité d'Aristote avait régné sans partage pendant tout le moyen âge; la philosophie du xvIe siècle l'avait ébranlée, mais ne l'avait pas renversée. D'ailleurs, on ne l'avait guère combattue qu'en lui opposant une autre autorité: tantôt celle de Platon, qui lui aussi était un ancien et un maître, et que venaient de faire connaître les Grecs chassés de Constantinople; tantôt celle d'Aristote lui-même, mieux connų et moins défiguré par les commentateurs scholastiques. Aussi avait-on vu se reproduire tous les systèmes de la philosophie grecque, jusqu'au scepticisme, auquel la raison épuisée partant de tentatives infructueuses devait nécessairement aboutir. Levieux systèmes plus ou moins rajeunis, embrassant, comme à l'origine de la philosophie, l'universalité des choses; la raison, comme enivrée de sa nouvelle indépendance, se laissant aller à tous les caprices de l'imagination; les esprits les plus distingués, curieux avant tout d'érudition, cherchant le merveilleux plutôt que le vrai dans l'étude de la nature, admettant sans critique des faits incroyables et les expliquant par des hypothèses extravagantes; des livres agréables, mais sans plan, sans proportion, sans conclusion: voilà ce qu'on trouve au sortir du xvie siècle, voilà où en était la philosophie quand parut Descartes.

Dès l'abord, il rompt avec le passé. Regardant comme provisoires toutes les notions qui ont fait la croyance des temps écoulés jusqu'à lui, il n'en veut «<admettre aucune comme définitive, qu'après l'avoir recon«< nue vraie par une opération de son propre jugement. » Peu lui importe ce qu'ont pensé ou dit ses prédécesseurs, il ne veut même pas savoir s'il a existé d'autres hommes avant lui. Il ne recherche qu'une chose, la vérité. Appuyé sur la raison, ne reconnaissant d'autre autorité que celle de l'évidence, il se pose hardiment le triple problème de l'homme, de Dieu et du monde extérieur, avec les rapports qui les unissent; et la solution qu'il en donne reste, même pour ceux qui ne l'admettent pas, un des monuments les plus grandioses qu'ait jamais élevés l'esprit de l'homme. Il crée un de ces systèmes complets qui changent et renouvellent la face de la science tout entière. Il accomplit une de ces révolutions immenses, dont les résultats ne se peuvent borner à un siècle, parce qu'elles ouvrent à l'esprit des voies nouvelles à

parcourir et de nouveaux champs à exploiter. Non-seulement, en effet, l'influence de Descartes se fait sentir sur tout le xvne siècle; non-seulement il pénètre de son esprit la philosophie, les sciences mathématiques et physiques, la littérature elle-même; mais encore l'exposition de son système est comme l'avénement d'un monde nouveau; son esprit, sa méthode sont comme une lumière qu'il apporte aux hommes et qui ne s'éteindra plus. Ceux qui n'adopteront pas ses doctrines ou ne les adopteront qu'en partie, « seront encore cartésiens, par sa mé«<thode qu'ils approprieront à tous les ordres d'idées comme à tous les « genres. » On l'attaquera, mais avec ses propres armes. « Aussi tout « ce qu'on a tenté depuis lui et tout ce qu'on accomplira désormais « datera de lui, quoi qu'on fasse. Si le cartésianisme comme système « a péri, l'esprit du cartésianisme est immortel. »

L'apparition du Discours de la Méthode, en 1637, fut comme le signal de cette révolution. Jamais si petit ouvrage n'eut dans le monde de la pensée un tel retentissement, n'exerça sur la direction des esprits et le mouvement des idées une pareille influence. La forme aussi y aida. Renonçant au latin par lequel on ne communiquait qu'avec les savants, Descartes l'écrivit en français pour être compris de tout le monde, rompant ainsi avec la langue du passé comme il rompait avec ses idées. Or Descartes n'est pas moins grand écrivain que grand philosophe, et le Discours de la Méthode n'est pas moins remarquable au point de vue de la composition et du style qu'au point de vue de la grandeur et de la justesse des idées. Mais écoutons, sur les mérites de la prose de Descartes, un philosophe de nos jours, son disciple et son admirateur, et qui lui aussi est passé maître en fait de style. Après avoir énuméré toutes les grandes créations de Descartes, M. Cousin ajoute : « Pour les « exprimer, il a créé un langage digne d'elles, naif et mâle, sévère et « hardi, cherchant avant tout la clarté et trouvant par surcroît la gran« deur. C'est Descartes qui a porté le coup mortel, non-seulement à la « scholastique qui partout succombait, mais à la philosophie et à la lit«térature maniérée de la Renaissance. Il est le Malherbe de la prose; << ajoutons qu'il en est le Malherbe et le Corneille tout à la fois..... Dès « que le Discours de la Méthode parut, à peu près en même temps que « le Cid, tout ce qu'il y avait en France d'esprits solides, fatigués d'imi«tations impuissantes, amateurs du vrai, du beau et du grand, recon<< nurent à l'instant même le langage qu'ils cherchaient. Depuis on ne parla plus que celui-là, les faibles médiocrement, les forts en y ajou«tant leurs qualités diverses, mais sur un fond invariable, devenu le << patrimoine et la règle de tous. >>

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M. Nisard, dans son Histoire de la littérature française, na pas moins d'admiration pour le style de Descartes, qu'il regarde comme le style français par excellence. « En même temps que Descartes donnait « le premier une image de l'esprit français, dit-il, il portait la langue

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INTRODUCTION HISTORIQUE ET LITTÉRAIRE.

« française à son plus haut point de perfection. » Puis, pour en caractériser d'une manière plus précise le genre de mérite, il ajoute : « Ce n'est « pourtant pas encore là toute la langue; mais c'est tout ce qui n'en chan«gera pas et la rendra toujours claire pour les esprits cultivés; c'est, si je puis parler ainsi, la langue générale. L'effet d'une langue étant de « rendre universelle la communication des idées, et les hommes ne « communiquant point entre eux par leurs différences, mais par leurs « ressemblances, et par la principale qu'ils ont entre eux, qui est la rai« son, une langue est arrivée à sa perfection quand elle est conforme à « ce que nous avons de commun entre nous, à la raison. Telle est la langue de Descartes. Les choses ne peuvent pas toujours y être com« prises du premier effort, ni communiquées par une première lecture, «<et peut-être même sont-elles inaccessibles à bon nombre d'esprits ou « trop peu cultivés, ou trop indifférents à ces grandes matières; mais « la faute n'en est jamais à la langue. Si le lecteur n'arrive pas jusqu'à «la force du mot, ou s'il la dépasse, c'est par trop ou trop peu d'atten«tion, ou parce que son imagination s'est ingérée dans le travail de << sa raison. »>

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Il faut donc, avec Descartes, pénétrer au fond des choses, revenir à la charge et ne pas se rebuter. « Si deux lectures n'y suffisent pas, il « faut lire une troisième fois ces raisons qui s'entre-suivent de telle « sorte, dit-il, que comme les dernières sont démontrées par les pre«mières qui sont leurs causes, les premières le sont réciproquement « par les dernières qui sont leurs effets. » Il ne suffit pas d'une attention ordinaire pour s'approprier ou pour avoir le droit de rejeter ce qui est le fruit d'une méditation profonde; « il ne faut pas espérer savoir en un jour ce qu'il a pensé en vingt années. » La fuite ici n'est pas possible avec honneur. Ce serait s'avouer incapable d'attention que de lâcher prise après un premier effort ou de n'oser le tenter. Aussi n'est-il pas d'ouvrage dont la lecture puisse être plus utile à ceux qui débutent dans l'étude de la philosophie, et l'expérience de l'enseignement nous a-t-elle appris que le Discours de la Méthode est comme la pierre de touche à l'aide de laquelle le maître peut reconnaître si un élève a ou n'a pas d'aptitude pour les études philosophiques.

Nous serons donc heureux si, par les notes nombreuses et détaillées que nous avons jointes à cette nouvelle édition, nous parvenons à aplanir quelques-unes de ces difficultés dont les débuts d'une science sont toujours hérissés, et à ramener à cette philosophie trop délaissée bon nombre de jeunes esprits auxquels il n'a manqué pour l'aimer que de la mieux connaître.

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