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MESSIEURS DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE.

Messieurs,

C'est à vous que doit être dédié ce livre. Il vous appartient pour ainsi dire. La plupart des écrivains qui en ont fourni la matière, Girard, Beauzée, d'Alembert, Voltaire et Condillac, ont été du nombre de vos prédécesseurs. Je n'ai guère eu qu'à réunir et à coordonner leurs travaux conformément aux vues de Fontanes et aux conseils de M. Guizot, autres noms dont s'honore votre illustre compagnie.

Pour exercer une grande influence, le Dictionnaire des synonymes de la langue française aurait besoin, je le sens, d'émaner de vous tout entier et tel qu'il s'est transformé entre mes mains. Mais, ainsi que l'Académie elle-même l'a reconnu dès le commencement, un ouvrage systématique n'est pas de nature à pouvoir se faire en commun. Daignez accorder à celui-ci, déjà recommandé par le suffrage de l'Institut, l'honneur de paraître sous. vos auspices. Vous lui communiquerez ainsi une partie au moins de votre puissante et incontestable autorité.

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Dépositaires des traditions du bon goût, conservateurs de l'esprit littéraire, guides des jeunes talents qui se disputent vos couronnes, mais d'abord régulateurs de la langue et établis surtout pour en constater l'usage, vous avez atteint le principal but de votre institution. C'est sous sa forme définitive qu'a été publié votre Dictionnaire en 1835, et désormais l'objet dont vous vous occupez en commun, c'est de composer le dictionnaire historique de la langue en recherchant quelles ont été les acceptions successives des mots aux différentes époques de la littérature nationale. Puissiez-vous néanmoins accueillir favorablement une œuvre entreprise pour continuer votre première tâche, qui était achevée sans doute, mais non pas, j'ose le dire, d'une manière absolument suffisante! Il restait après vous quelque chose à faire pour l'exacte intelligence et l'emploi éclairé de notre langue classique à cette belle littérature qui fait l'orgueil de la France et l'admiration du monde il manquait un livre consacré à la distinction des termes en apparence équivalents, livre méthodiquement conçu et fait d'une seule main, dans lequel tous les travaux partiels du même genre fussent non pas seulement rassemblés, mais fondus en un tout.

J'ai mis mon ambition, j'ai employé ma vie presque entière à remplir cette lacune. En vous faisant hommage du résultat de mes efforts, je cède avant tout au besoin de témoigner publiquement combien je suis redevable à plusieurs académiciens, anciens ou nouveaux, et avec quels sentiments de respectueuse déférence je suis de vous tous,

Septembre, 1857.

Messieurs,

Le très-humble et très-dévoué serviteur,

LAFAYE.

PRÉFACE.

Il y a plus de vingt ans que je commençai à prendre pour objet spécial de mes études la synonymie française. J'y fus amené par la découverte d'un dictionnaire de Condillac encore présentement inédit. Cet ouvrage, d'un auteur si justement renommé parmi les grammairiens philosophes, excita d'abord ma curiosité, et, à la lecture, il me parut en effet très-remarquable relativement aux définitions. Un esprit aussi droit n'avait pu ignorer combien sous ce rapport tous les dictionnaires sont défectueux et peu satisfaisants. Choqué de ce vice, il avait conçu comme Girard le moyen d'y porter remède, mais différemment la manière de l'appliquer. Suivant Girard, il doit exister dans chaque langue, indépendamment et séparément du vocabulaire, un livre des synonymes qui en soit le complément indispensable. Condillac n'est pas de cet avis. Si on l'en croit, les distinctions synonymiques ne seront point isolées des définitions qu'elles ont pour but d'éclaircir ou de justifier; mais dans le dictionnaire général, au commencement de chaque article, on comparera le mot, dont il y est question, avec tous ceux qui lui ressemblent le plus pour le sens, ou on renverra à l'article où cette comparaison a lieu, de telle sorte que la valeur du mot soit déterminée immédiatement et tout d'un coup.

Exécuté selon ce plan, le dictionnaire de Condillac se distingue par l'originalité de sa composition. Mais ce qui me frappa le plus en le lisant et ce qu'il s'agit surtout de constater ici, c'est qu'il contient une foule de synonymes, rangés en familles et expliqués avec cette netteté qui fait le charme et le prix de tous les écrits sortis de la même plume. Ma première idée fut de mettre au jour ces richesses, enfouies jusque

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là, en les joignant à celles que M. Guizot avait recueillies dans son Nouveau dictionnaire des synonymes, Mais je ne tardai guère à étendre mes vues, à m'élever dans ma pensée au-dessus du rôle de simple éditeur. J'avais pris goût à ce genre de recherches; je m'y adonnais avec ardeur; je m'entourais de tous les livres qui traitent de la distinction des mots synonymes dans les langues modernes ou anciennes. Outre celui de Condillac, pour ce qui regarde la synonymie française, je m'en étais procuré plusieurs, publiés depuis peu, mais sans succès, quoique ayant des parties estimables, et, entre autres, le Nouveau choix de synonymes français de Leroy de Flagis'. D'ailleurs, l'étude attentive des traités de synonymie étrangère, qu'aucun philologue français n'avait encore pris la peine de consulter, me démontra bientôt qu'il était possible, avec des précautions, d'en tirer le plus grand parti. Les étrangers avaient commencé par tourner au profit de leurs langues les distinctions de Girard; il devint évident pour moi que rien n'empêche qu'ils ne nous rendent à leur tour un service analogue, pourvu que nous sachions le leur demander.

Je conçus donc une vaste entreprise, ayant pour objet d'élever à la synonymie française un véritable monument, en employant et en fondant dans une œuvre unique, selon des règles certaines, tous les essais antérieurs, tant ceux qu'avait rassemblés l'auteur du dernier recueil général, M. Guizot, que ceux qu'il n'avait pu connaître. C'était dans la circonstance, pour le bien de la science et l'utilité des lecteurs, le seul parti convenable. Fallait-il aux anciennes distinctions continuer sans fin et sans fruit à en ajouter d'autres, ou identiques ou contradictoires, qui viendraient s'entasser pêle-mêle et comme par alluvion dans une compilation indigeste? Non sans doute; c'eût été augmenter de plus en plus le désordre, la confusion et l'incertitude, qui rendent si

1. Paris, 1812, 2 vol. in-8°.

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